Ozempic, likes et corps en danger : plongée dans l’obsession minceur des ados américains

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Parfois, une révolution médicale devient un mirage collectif. Depuis les couloirs aseptisés des laboratoires jusqu’aux hashtags clinquants de TikTok, l’Ozempic – médicament antidiabétique devenu star de la perte de poids – s’est métamorphosé en icône pop, en totem chimique d’une génération hantée par la balance. Reportage aux frontières de la médecine, de l’économie de l’attention et d’un mal-être adolescent sous perfusion numérique.

L’aiguille dans la story

Jackelin a 15 ans. Elle vit en Californie, adore les vidéos ASMR, les smoothies aux baies d’açaï et les vêtements baggy. Depuis un an, elle s’injecte du sémaglutide chaque semaine – le principe actif d’Ozempic, plus connu sous le nom commercial Wegovy quand il est utilisé pour traiter l’obésité. Diagnostiquée pré-diabétique, elle fait partie des 25 000 ados américains à qui le traitement a été prescrit en 2023 selon l’American Academy of Pediatrics. Mais autour d’elle, tout le monde n’a pas d’ordonnance.

Sur Snapchat et TikTok, des milliers de comptes proposent des conseils, détournent les prescriptions, parfois même revendent les stylos injectables au marché noir. Dans les vidéos, les visages sont jeunes, souvent blanchis par un filtre. Les phrases défilent : “Lost 20 lbs in 2 months”“No appetite anymore”“Just trust the Oz”. Des montages avant/après, en musique. Des likes. Des partages. Une boucle algorithmique.

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Une demande qui explose, une science qui tâtonne

À l’origine, l’Ozempic est un médicament antidiabétique de type 2 destiné aux adultes. Son effet secondaire majeur – une perte de poids significative – en a fait un produit prisé des stars hollywoodiennes, puis des influenceurs et enfin… des lycéens. En 2021, la FDA a étendu l’approbation du Wegovy aux adolescents obèses de plus de 12 ans. Depuis, les prescriptions se sont envolées : +600 % chez les 12–17 ans entre 2021 et 2024, selon les données de NBC News.

Mais la science reste prudente. Une étude publiée en février 2024 dans The New England Journal of Medicine montre qu’en 68 semaines, les ados traités ont perdu en moyenne 16 % de leur poids corporel. Impressionnant, mais à quel prix ? Nausées, troubles digestifs, pancréatites, et, surtout, une dépendance potentielle à vie à une molécule coûteuse (environ 1 300 dollars par mois aux États-Unis, rarement remboursée).

“On ne sait pas comment ces jeunes réagiront dans 10 ou 15 ans”, alerte le Dr Samantha Lee, endocrinologue pédiatrique à Boston. “Le corps est en croissance. Supprimer l’appétit de façon artificielle pourrait déséquilibrer durablement le système métabolique et hormonal.”

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La minceur comme storytelling social

Au lycée de Phoenix où enseigne Laura Hernandez, conseillère d’orientation, le phénomène est devenu un tabou public. “Les jeunes filles se comparent sur BeReal, sur Insta, sur TikTok. Elles comptent les grammes comme on comptait les likes. L’Ozempic, c’est devenu une forme de dissimulation chimique : on efface le corps pour entrer dans le moule.”

Certains élèves se filment en train de refuser un muffin à la cafétéria, d’autres demandent à leur médecin un “petit coup de pouce” pour l’été. On murmure aussi l’usage détourné d’un dérivé, surnommé “Oatzempic” sur TikTok : un mélange de flocons d’avoine, de sirop et de laxatifs naturels censé “mimer l’effet coupe-faim”. La frontière entre médecine et trouble alimentaire s’efface dans les effets de transition, les cuts TikTok, les plans de repas et les visages émaciés, admirés comme des trophées.

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Parents dépassés, médecins sous pression

Du côté des parents, les avis divergent. Certains y voient une opportunité de briser le cycle de l’obésité, d’éviter les moqueries, les risques de diabète, les discriminations. D’autres s’inquiètent de voir leur ado se soumettre à une injection hebdomadaire pour correspondre à des standards irréels.

Sur les forums Reddit, les témoignages se multiplient : “Ma fille a 14 ans, elle a perdu 10 kg, elle se sent mieux, mais elle refuse désormais tout repas sans surveillance”, écrit une mère. Un autre utilisateur déclare : “Mon neveu a chopé une boîte d’Ozempic sur Vinted. Il l’a injectée en soirée.”

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Vers une génération sous injection ?

Face à l’ampleur du phénomène, les autorités sanitaires tâtonnent. Le CDC appelle à la vigilance, la FDA renforce le contrôle des prescriptions, mais le marché parallèle explose. Le problème est aussi culturel : l’obsession du corps “idéal” trouve dans ces molécules un raccourci technologique au lieu d’un débat de fond.

Une étude publiée par Michigan Medicine en mai 2024 révèle que 38 % des adolescents américains de 13 à 17 ans considèrent prendre un médicament pour perdre du poids, même sans obésité déclarée. Pour eux, le Ozempic n’est plus un traitement, c’est une promesse de transformation.

Le symptôme d’un mal plus vaste

L’Ozempic n’est pas en cause en tant que molécule : dans un cadre médical encadré, il sauve des vies. Mais son usage viral chez les adolescents américains, catalysé par les réseaux sociaux et l’économie de l’apparence, révèle une faille culturelle profonde. Dans une société qui valorise l’image plus que la santé, la transformation plus que l’acceptation, l’injection hebdomadaire devient un rite de passage. Le corps est hacké, la puberté contournée, la souffrance normalisée. En fin de compte, ce n’est pas d’un médicament dont cette génération aurait besoin, mais d’un antidote culturel.

  • Perte de poids moyenne : 16 % du poids corporel après 68 semaines.
  • Effets secondaires fréquents : nausées, fatigue, troubles digestifs.
  • Coût moyen : environ 1 300 $/mois, non remboursé.
  • FDA : autorisation pour les adolescents obèses de plus de 12 ans (2021).