Il fallait être curieux pour pousser les portes de l’opéra de Rennes la semaine passée. L’art du Pansori par Lee Myeng-kook ? Mis à part les quelques Coréens présents dans l’assistance et dont on comprend qu’ils étaient venus prendre un peu l’air du pays, le reste du public n’avait sans doute peu ou pas entendu parler de cette manifestation de la culture du pays des matins calmes.
Ayons à cœur de ne pas vous laisser attendre en vous donnant dès maintenant une définition, laquelle, à défaut de vous éclairer complètement, vous permettra au moins de vous forger une idée de ce que cela peut être. Pansori : c’est un long drame chanté et déclamé par un chanteur-acteur et ponctué par un tambour. Certains spécialistes occidentaux l’ont donc appelé opéra à un seul acteur. Pas encore complètement évident n’est-ce pas ?
On devine pourtant que périodes parlées ou chantées s’alternent. C’est encore plus subtil que cela, car la voix peut être intimiste, expressive et le moment d’après se transformer en cri ou en vocifération. Mêmes nuances et d’une égale intensité pendant les périodes chantées. L’acteur-chanteur, grâce à ses qualités d’expression et d’interprétation arrive donc à complètement captiver l’assistance, impératif catégorique, lorsque l’on sait que ces œuvres peuvent se dérouler sur des laps de temps se situant entre trois et neuf heures. Pour soutenir son propos, l’interprète utilise, au choix, un éventail ou un mouchoir. Cet objet, au cours de la narration, devient bâton, ombrelle, lettre ou palanquin, suivant l’imaginaire du narrateur.
À notre arrivée dans la salle, un long tapis occupe le sol de la scène, à l’extrémité, un tambour tendu de cuir et un coussin attendent sagement les interprètes. Passée l’indispensable présentation Lee Myeng-kook, notre hôtesse d’un soir, apparaît en costume traditionnel coréen. Une très courte veste gris souris, fermée par un ruban fuchsia, ornée de broderies représentant des pivoines surmonte une ample robe, presque bouffante, qui remonte très haut jusque sous la poitrine. Si ce n’était plus seyant, cela rappellerait presque les robes de grossesse d’un passé pas si lointain. Son accompagnateur au tambour la rejoint, vêtu d’un léger pantalon et d’une chemise blanche, le tout couvert par une longue chasuble de la même teinte. Lee Myeng-kook est une véritable star dans son pays. Elle est une sorte de trésor national, comme certains calligraphes japonais le sont sur leur île. Elle est capable d’interpréter les cinq drames du Pansori dans leur intégralité, elle est l’unique dépositaire de deux d’entre eux.
Si les premières minutes nous ont un peu décontenancées, peu à peu nous avons été comme fascinés par la puissance de l’expression de notre narratrice. Pas un geste, un cri, un regard qui ne soit porteur d’un message adressé au public avec lequel s’établissent parfois des interactions. Les Coréens présents expriment par des interventions brèves, des interjections, leur accord, leur surprise ou leur désapprobation. Ils ne se privent pas, le cas échéant, d’éclater de rire. La traduction du texte qui apparaît en fond de scène de manière particulièrement lisible permet de suivre toute l’histoire. Le public se trouve comme une classe de primaire à laquelle une maîtresse d’école bienveillante raconterait une belle histoire. Pas question d’en perdre une miette. Toute la première partie sera occupée par « Le chant de la fidèle Chunhyang », conte mettant en scène une jeune épouse qu’une mésalliance a écartée de son mari et qui lui reste fidèle malgré les nombreuses épreuves qui en découlent. Vous l’imaginez aisément, c’est éminemment moral et édifiant, mais l’intérêt vient surtout de la performance assez hors du commun de Lee Myeng-kook et de Jo Young-je au tambour buk.
Avec la récente venue d’une chanteuse syrienne s’accompagnant de son oud, fortement symbolique au regard de l’actualité, ce spectacle étonnant confirme les lettres de noblesse acquises par cette passionnante série de concerts initiée il y a déjà trois ans et qui porte le titre de « Divas du monde ». Encore une réussite à mettre au compte de Alain Surrans, directeur de notre opéra local, qui confirme, s’il en était besoin, son talent incomparable en terme de programmation ? Mieux encore, comme certains personnages de Molière, il a la capacité de faire bonne chère avec peu d’argent… (i.e : nous régaler des propositions riches et variées avec un budget contraint) ah ! l’habile homme.
Divas du monde, l’art du Pansori, Corée, Opéra de Rennes, 4 mars 2016
En partenariat avec La Maison des Cultures du Monde
Centre Français du Patrimoine Culturel Immatériel
Manifestation organisée dans le cadre de l’Année France Corée 2015-2016
Prochaine date Divas du Monde : Mardi 19 avril avec les musiques de Mongolie
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Lee Myeng-kook est reconnue comme l’une des plus grandes chanteuses de Pansori de sa génération. Née en 1962, elle a été formée par deux maîtres historiques : Jeong Gwang-su (1909-2003) et Seong Woo-hyang (1935-2014). Lee Myengkook est une des rares chanteuses de pansori capable d’interpréter les cinq drames dans leur intégralité et elle est l’unique dépositaire de la version du Chant de la Falaise Rouge (Jeokbyek-ga) de l’école de Jeong Gwang-su. Lee Myeng-kook a remporté le Grand Prix du Concours National Gugak organisé par le Centre national Gugak chargé de la préservation des arts traditionnels coréens. Le Pansori a été proclamé en 2003 chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Unesco : Les histoires chantées exaltent les vertus morales telles que l’amour filial, la fidélité, la piété, le respect de l’autorité et le sens du devoir, mais introduisent en même temps une critique sociale, une réflexion sur l’injustice du monde, un certain fatalisme. Lee Myeng-kook a interprété à Rennes des extraits de deux récits qui illustrent des facettes différentes de cet art. Le premier, Le Chant de Chunhyang, est le plus célèbre ; il s’agit d’un mélodrame entre un étudiant et une fille de courtisane dont l’amour est contrarié par un gouverneur félon ; le second, Le Chant de Heungbo, relève de la fable morale et du comique paysan avec ses scènes pleines de malice.
Chunhyang, un véritable mythe en Corée :
Récit anonyme longtemps colporté oralement, l’histoire de Chunhyang jouit en Corée d’une telle célébrité qu’elle a pris, au fil du temps, toutes les formes possibles : drame, poème, pansori, roman, BD ou film. Le 5 mai, on fête en Corée la première rencontre de Chunhyang et Mongnyong, baptisée Fête des balançoires, avec de nombreuses manifestations, dont un concours de beauté élisant une miss Chunhyang.