Peintre, graveur, anarchiste, chroniqueur sensible de la modernité industrielle : Maximilien Luce (1858-1941) fut tout cela à la fois. À travers l’exposition L’instinct du paysage, le Musée de Montmartre rend justice à une œuvre longtemps marginalisée, pourtant essentielle pour comprendre les bouleversements visuels, sociaux et politiques de la fin du XIXe siècle. Organisée sous la houlette d’Alice Legé, en collaboration avec Jeanne Paquet, cette exposition ambitieuse rassemble des prêts prestigieux du musée d’Orsay, du musée d’Ixelles, du musée de l’Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie, entre autres. Un hommage pictural, mais aussi un geste de réhabilitation critique.
En voisin du passé — il vécut rue Cortot de 1887 à 1900 — Luce revient symboliquement chez lui. Le parcours invite à suivre ses pas depuis les hauteurs de Montmartre jusqu’aux rives de la Seine à Rolleboise, en passant par les mines de Charleroi, les plages de Normandie, ou encore Londres et Saint-Tropez. Une géographie affective et militante, où l’œil du peintre s’attarde autant sur les paysages que sur ceux qui les traversent ou les transforment.

Un regard social façonné par la guerre et l’encre
Formé à la gravure sur bois dès 14 ans, Luce porte sur le monde le regard précis du dessinateur et la sensibilité éruptive de l’homme révolté. La répression sanglante de la Commune de Paris, à laquelle il assiste enfant, marquera son engagement politique, aux côtés des anarchistes et des antimilitaristes. Plus tard, son art restera fidèle à cette conscience tragique : dénonciation des bagnes pour enfants, des massacres coloniaux, soutien aux grévistes… Luce n’aura jamais séparé la peinture du combat.

Dans les années 1880, Luce se rapproche du cercle néo-impressionniste — Seurat, Signac, Cross — et adopte la technique du divisionnisme, qu’il infléchit d’une touche plus expressive et moins doctrinaire. Il expose dès 1887 à la Société des Artistes Indépendants, dont il devient vice-président, avant d’en démissionner en 1940 pour protester contre la politique antisémite du régime de Vichy. Un geste ultime d’intégrité, à l’image de toute une vie.
La ville, le labeur, la lumière
À l’orée du XXe siècle, Paris est en chantier. Luce la peint comme on chronique une mutation organique : ouvriers, grues, échafaudages, boue, fer, ciel zébré de vapeur. Il magnifie l’effort anonyme des bâtisseurs et trouve, dans la verticalité des formes haussmanniennes, une nouvelle géométrie picturale. Ses scènes urbaines — la rue des Abbesses, le quai Saint-Michel, les bouquinistes — capturent la trépidation sociale autant que l’élégance du quotidien.

À Charleroi, dans les mines et les aciéries, il change d’échelle. La lumière des hauts fourneaux remplace celle du ciel parisien. Le paysage industriel devient matière plastique, presque mystique. C’est ici que son anarchisme rencontre le monde : non dans les théories, mais dans les visages des forçats modernes.

Paysages, baignades et utopies
Mais Luce n’est pas qu’un peintre du tumulte. Il y a chez lui une respiration, une lumière intérieure. À Rolleboise, dans l’intimité des rivières et des collines, il peint des scènes de baignades, presque arcadiennes, où les corps se détendent loin du bruit des machines. Cette coexistence entre la ville et la nature, entre l’usine et le jardin, donne toute sa densité à son œuvre. Il peint l’utopie sans illusion, la beauté sans naïveté.

En près de 4 000 toiles et autant de dessins, Maximilien Luce laisse une œuvre cohérente, poignante, lumineuse. Loin des stratégies de carrière et des honneurs officiels, il incarne cette figure rare : celle d’un artiste debout. Et c’est là toute la force de l’exposition du Musée de Montmartre : rendre à Luce sa place dans la lumière, celle qu’il a tant aimée, tant travaillée — et qu’on lui a trop longtemps refusée.
INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition : L’instinct du paysage – Maximilien Luce
Lieu : Musée de Montmartre – 12, rue Cortot, Paris 18e
Dates : À partir du 2 juillet 2025
Horaires : Tous les jours de 10h à 19h (y compris fériés) — Nocturnes les mercredis jusqu’à 22h avec visite des collections, exposition Luce, et jardins Renoir à la lueur du crépuscule
Contact : 01 49 25 89 39 / infos@museedemontmartre.fr

