Comme à chaque édition, le festival Court Métrange rime avec jury d’exception. Aux côtés de Guy Astic, Catriona Maccoll, Hervé Mahieux, Joyce Nashawati, Karel Quistrebert et Christophe Taudière, Pascal Laugier succède au cinéaste belge Fabrice Du Welz et préside la compétition internationale 2019. Festival Court Métrange, parcours, court-métrage et cinéma de genre, le menu d’une rencontre fantastique.
Alors qu’il s’est fait repérer avec ses courts métrages – notamment Tête de Citrouille (1993), Saint-Ange (2003), Martyrs (2008), The Secret (2012) et Ghostland (2018) sont autant de films que d’univers singuliers créés par le réalisateur français Pascal Laugier.
À la fois angoissant, horrifique et dérangeant, ses longs-métrages ont attisé les foules d’émotions multiples. Le chemin a été semé d’embûches, mais il a su se faire un nom dans le cinéma français après des années à promouvoir un genre à l’époque peu plébiscité. Unidivers l’a rencontré pour l’occasion.
Unidivers – L’année dernière Cyrielle Dozières, nommée nouvelle directrice du festival Court Métrange, recommandait aux lecteurs d’Unidivers Ghostland (2018), votre dernier film. Vous voilà président du jury. Connaissiez-vous le festival avant d’y participer ?
Pascal Laugier – Je le connaissais de réputation. L’équipe m’invite depuis deux ou trois ans, mais ça tombait toujours mal. J’étais en tournage ou en préparation. Le festival tombait entre deux projets cette année donc j’étais disponible, avec l’envie d’y aller. On se tourne autour depuis un petit moment et ça a enfin pu se concrétiser.
Unidivers – Que vous inspire la thématique de cette 16e édition : Fantômes, hantises du passé et cinéma de l’invisible ?
Pascal Laugier – Une thématique c’est un peu comme un label, pour la communication et le public, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Ce qui est intéressant dans ce genre de manifestation c’est de voir un panel important de court-métrages réalisés par des jeunes garçons et filles qui représentent l’avenir du cinéma en théorie.
Pendant quatre jours, on prend un gros shoot de cinéma en constatant les qualités et les faiblesses de chacun, ce qui m’intéresse et ce qui m’intéresse moins.
ce qui est chouette dans Court Métrange c’est de Voir ce que ces jeunes proposent et la manière dont ils profitent de l’espace de liberté qu’est le court-métrage, notamment à travers un genre que j’adore, le fantastique.
Unidivers – Le cinéma de genre peut être difficile à définir. Il peut s’agir d’horreur, de fantastique, de policier, etc. Au final, comment définiriez-vous le cinéma de genre ?
Pascal Laugier – Je ne le définis pas forcément. Aujourd’hui je fais plutôt parti de ceux qui réfutent l’appellation « films de genre » qui nous est réservée sans trop savoir pourquoi. Le genre est partout et nulle part. La comédie française est un genre, le drame historique et le biopic américain aussi, tout comme les films de super-héros… On parle de cinéma de genre en France quand il est question de fantastique, d’épouvante ou de science-fiction, c’est une façon de mettre le film dans un ghetto ; d’un côté le cinéma français dit d’auteur ou populaire et de l’autre, le cinéma de genre. Ça ne veut strictement rien dire donc j’ai tendance à dire que je ne fais pas de films de genre, mais des films à moi.
Je viens d’un cinéma profondément méprisé à la base et quand je discute avec un vieux cinéphile, on se met facilement d’accord sur ce que signifie le cinéma de genre. Quand j’étais jeune, la presse de cinéma mainstream vendait le plus – Première, Studio Magazine, etc. Ils parlaient de films français avec Romy Schneider en couverture par exemple. C’est une version du cinéma contre laquelle je n’ai rien, mais cette presse méprisait profondément tout un cinéma, notamment issu du marché de la vidéo à l’époque. Le magazine StarFix a commencé à parler de ce versant de la création cinématographique. Deux clans s’opposaient un peu. J’ai commencé à adopter cette expression de cinéma de genre à ce moment-là, mais aujourd’hui, elle n’a plus vraiment de sens.
On va préférer le cinéma fantastique au sens large, qui contient l’horreur, le gore, la science-fiction, même le drame et le portrait psychologique. J’ai une vision très transversale du cinéma, comme beaucoup au final. J’aime autant le cinéma classique américain que la série gore des années 80.
Le cinéma est en hybridation permanente, traversé par des nuances.
J’attends des films qu’ils me surprennent, m’émeuvent, me choquent ou me fassent peur. Qu’ils m’entraînent dans le cerveau de celui qui les a réalisé. Faire ressentir un émotion quelqu’elle soit et sentir dans ces court-métrages que le réalisateur joue sa vie car c’est un peu ça : à la vie, à la mort. C’est ce que je trouve joli quand un court-métrage est réussi, on sent que celui qui l’a réalisé a mis tout ce qu’il était dedans. En général, je n’aime pas trop les objets créés par des petits malins qui essaient d’avoir une carte de visites. On en a vu quelques uns comme ça aussi et ça me touche moins. J’aime ressentir une écriture, une langue, une voix dans un film.
Unidivers – Des bonnes impressions pour le moment ?
Pascal Laugier – Très inégales, mais c’est le principe des festivals. Des films nous touchent et on en déteste d’autres. On débriefe tous les soirs et chacun donne son avis. J’aime cette quantité à ingurgiter et sentir ce que les jeunes garçons et filles ont envie de nous raconter et nous dire. Ça me plaît beaucoup.
Unidivers – Vous avez vous-même été repéré avec un court-métrage Tête de citrouille (1993) et avec le making-of du Pacte des Loups (2001). Comment passe t-on du court-métrage au making-of ? Il s’agit de deux manières de travailler différentes.
Pascal Laugier – Le making-of était une porte d’entrée dans le métier. Après l’école de cinéma que j’ai faite en 1989/1990, j’ai galéré pendant 12/13 ans à faire des petits boulots comme Macdo ou veilleur de nuit. Quand j’avais assez de sous de côté, je tournais. Je ne lâchais pas l’affaire, je tournais des films et c’est de cette manière que j’ai auto-produit mes premiers courts-métrages. C’était très difficile, j’utilisais ma propre carte bleue et l’aide d’amis, mais à l’époque on utilisait la pellicule et pas le numérique, tout était plus cher.
Je me suis fait repérer par Christophe Ganz qui est devenu un ami. Il était entrain de préparer le film Le Pacte des loups. Il a beaucoup aimé un de mes courts-métrages donc il m’a dit d’arrêter mon boulot de veilleur de nuit et m’a demandé de réaliser le making-of. C’était une énorme production qui a duré longtemps. Cette expérience m’a beaucoup intéressé, mais elle m’a surtout permis de rencontrer des producteurs de longs-métrages, enfin ! À la fin de ce processus, l’un des producteurs Richard Grandpierre m’a proposé de développer mon premier film, Saint-Ange (2003). C’est de cette manière que tout a commencé.
Unidivers – Quel effet ça fait d’être président du jury ?
Pascal Laugier – C’est très surréaliste pour moi. Je n’ai fait que quatre films donc j’ai encore l’impression d’être un jeune cinéaste en début de parcours (rires). Je suis toujours flatté et honoré, mais en même temps très curieux quand on célèbre un de mes films. Comme pour le livre sur mon film Martyrs publié quelques années après la sortie.
Je suis trop cinéphile pour être amoureux de ce que je fais. Je n’aime pas beaucoup mes films, je fais toujours le suivant afin de corriger de ce que je déteste dans le précédent.
Je trouve toujours ridicule qu’un artiste aime ou soit fier de ce qu’il est. Le chemin qu’il a parcouru, voilà ce qui est intéressant ! Ce qui compte pour moi ce n’est pas d’aimer ce que je fais. J’ai un rapport très maladif à ce que je fais, ça devient une obsession, un peu comme une maladie. Je suis malade tant que je n’ai pas terminé le film.
J’ai toujours été très marginal au sein de l’industrie du cinéma français. Mes trois premiers films ont été horriblement difficiles à réaliser. La presse française a été très dure avec moi, on m’en a retiré la sortie… Il a fallu un peu de temps afin que l’on comprenne mon travail. Au début on pensait que j’étais juste un crétin, lecteur de MadMovies, voulant faire comme les Américains. Or ces derniers ne comprenaient pas mon travail non plus… pendant un moment c’était difficile de m’identifier. Mais, même dans ces moments-là, il ne faut rien lâcher. Ce que je fais est mieux compris maintenant.
Martyr a été haï quand il est sorti, on m’a traité de nazi dans Paris Match. Il a fallu sept à huit ans avant que les critiques en parlent comme d’un film important. J’ai senti le vent tourner avec Ghostland (2018), quant à la perception de l’industrie du cinéma et du public sur mon travail. À force d’être là, de taper le même coup avec le même marteau, les gens finissent pas s’habituer à vous.
Si c’est plus facile de faire des projets aujourd’hui, ça n’a pas toujours été le cas. On m’appelle pour me proposer de réaliser un film, ce qui est plutôt nouveau.
Unidivers – Le festival a présenté l’événement “Du court au long”. Après avoir remporté le Grand prix en 2016 pour le court-métrage Un ciel bleu presque parfait, le réalisateur Quarxx a présenté son long métrage Tous les dieux du ciel. Lors de la projection, il a expliqué au public qu’il avait eu moins de difficultés à réaliser le long-métrage que le court métrage – ce dernier ayant inspiré le long-métrage. Est-ce que la réalisation d’un court métrage est plus difficile ?
Pascal Laugier – Tout à fait. Ce qui est très pénible dans un court métrage c’est de le produire tout seul. Vous faites tous les métiers, parfois avec l’aide de quelques amis, mais vous vous demandez constamment dans quoi vous vous êtes embarqué. Vous vous réveillez la nuit avec des sueurs froides tellement c’est difficile. Pour les longs-métrages, vous êtes suivi par une maison de production et vous ne faites plus que votre métier.
Faire du court métrage est d’une ingratitude absolue. Il n’y a pas d’argent et la visibilité est moindre…
Unidivers – Avant de vous lancer, vous avez fait l’ESRA à Paris. Recommandez vous les écoles de cinéma ?
Pascal Laugier – L’ESRA à Paris était une bonne école car à l’époque on pouvait faire un court métrage par an, en pellicules. Elle mariait très bien théorie et pratique. Mais aujourd’hui, je ne conseillerai à personne de faire une école de cinéma. Les outils de production se sont tellement démocratisés, il est possible de faire un film avec une caméra numérique pour quelques milliers d’euros. Cet investissement est davantage rentable que le coût d’inscription dans une école de cinéma. La pratique forme, surtout dans la réalisation. Pour être technicien, c’est différent. Mais pour la réalisation, ce qui était mon cas, je ne referais pas l’ESRA aujourd’hui, j’achèterais du matériel et je tournerais.
Unidivers – L’année dernière Court Métrange mettait à l’honneur le giallo, avec un focus sur le réalisateur Dario Argento (Guy Astic, membre du jury, avait répondu aux questions d’Unidivers après la projection dédiée à Dario Argento, NDLR). C’est un de vos réalisateurs préférés, qui vous a poussé vers ce métier-là, et cette année, vous être président du jury. Est-ce qu’on peut dire que la boucle est bouclée pour cette 16e édition de Court Métrange ?
Pascal Laugier – Dario Argento est un maître. Il a lui aussi été méprisé par une élite intellectuelle pendant très longtemps. On était un petit club de fans à trouver que son travail est incroyable. Ses films ont une liberté, une audace et une singularité que j’admire beaucoup. Ce cinéaste m’a donné envie de faire ce que je fais aujourd’hui, c’était mon héros. J’avais même une photo de lui dans ma chambre (rires).
Ses films traversent le temps. Il a eu du mal à s’imposer car il s’inscrivait dans un cinéma de genre que la presse bourgeoise méprisait : l’horreur, le cinéma du samedi soir, ou le giallo, tous ces genres populaires du cinéma. Il a fallu un certain nombre d’années pour que la force contrebandière de ses films soit reconnue. Sans parler de l’incroyable singularité de la forme qui se cache derrière les clichés et les archétypes de son travail.
Unidivers – On vous remercie Pascal Laugier.
Photographies et entretien réalisés par Laurie Musset et Emmanuelle Volage