Avec Petit éloge du feu de cheminée, Emmanuelle Favier part d’un geste immémorial – s’asseoir devant un feu – pour en faire un petit traité de vie littéraire. Ce qui pourrait n’être qu’un éloge saisonnier devient, sous sa plume, une véritable poétique du foyer.
Le feu n’est pas seulement un moyen de se chauffer mais un dispositif de pensée. Il cadre le regard, ralentit le temps, autorise la rêverie, fait revenir les scènes lues et les voix aimées. On voit bien qu’elle s’inscrit dans une tradition symbolique du feu qui le décrit comme un élément à double face, protecteur et dangereux, domestiqué et pourtant toujours prêt à déborder. Emmanuelle Favier choisit la face hospitalière du feu – celle du centre de la maison – mais elle garde en mémoire qu’il s’agit d’une force première.
Tout au long du livre, la cheminée n’est pas un simple décor cosy. C’est la forme moderne d’un feu très ancien. Le foyer de la maison bourgeoise, bien rangé, n’est que la dernière métamorphose du feu sacré gardé autrefois au centre de la communauté. Favier rappelle en filigrane que nous avons « pacifié » le feu sans en abolir les puissances imaginaires. Regarder une flambée, c’est se souvenir – fût-ce confusément – que l’humanité a fait un jour le pari d’arracher un fragment de lumière au monde. Le livre relie ainsi la petite scène intime (un après-midi d’hiver, un feu qui crépite, un livre ouvert) à une très longue histoire culturelle : du mythe de Prométhée aux cheminées littéraires, c’est toujours le même geste de civilisation.
La réussite du texte vient de ce qu’il est construit comme une promenade en bibliothèque. Emmanuelle Favier rouvre Bachelard, croise Woolf, revient à Hugo, passe par Yourcenar, glisse un clin d’œil au cinéma (les toits de Mary Poppins), et montre que partout où l’on pense, on allume symboliquement un feu. Elle fait sentir que l’âtre est un formidable « accélérateur de parole ». Devant une flamme, on se souvient mieux, on raconte plus volontiers, on se met à écrire. Le feu devient l’image même de l’inspiration ; ça brûle un peu, ça éclaire beaucoup, ça transforme ce qu’on y jette. On retrouve là la vieille idée que le feu domestiqué est la version douce d’une énergie créatrice infiniment plus vaste.
L’ouvrage est d’autant plus solide qu’il ne gomme pas le paradoxe central. Le feu réconforte parce qu’il rappelle la possibilité de brûler. La flamme n’a pas de forme stable, elle apparaît et disparaît. Emmanuelle Favier en fait une métaphore de la pensée et de la création. Ce qui vaut, c’est le mouvement, pas la fixation. Lire devant un feu, c’est donc faire coïncider deux foyers – celui de la page et celui de l’âtre – et accepter que l’un comme l’autre n’existent que dans le temps. Le feu de cheminée est un spectacle, dit-elle en substance, mais un spectacle qui nous instruit. Il nous montre la transformation en train de se faire.
On lira ce Petit éloge comme un livre d’atmosphère, certes, mais surtout comme un essai littéraire qui prend au sérieux nos gestes ordinaires. Emmanuelle Favier montre comment un élément très concret – le feu, la chaleur, le bruit du bois – peut devenir un point d’entrée vers la rêverie, vers l’imprévu, vers l’imagination. C’est un livre idéal pour les médiathèques, les clubs de lecture ou les émissions littéraires d’automne. Il est bref, élégant, mais riche en ramifications. Il redonne au mot « foyer » sa double valeur de lieu où l’on vit et de lieu où l’on pense.
Données techniques du livre
Titre complet : Petit éloge du feu de cheminée
Auteure : Emmanuelle Favier
Éditeur : Les Pérégrines
Collection : « Petit éloge »
Date de parution : 17 octobre 2025
Format : 13 × 18 cm (broché)
Pagination : 224 p.
ISBN / EAN : 979-10-252-0686-7
Prix public TTC : 14,50 €
Genre : essai littéraire, promenade érudite et sensible autour du feu domestiqué, de ses images et de sa présence en littérature
