Deux projets ont été retenus par le Comité de sélection de l’appel à projets artistiques Unidivers 2015 : Fugitive promenade vibrante et La marche brisée. Fugitive promenade vibrante est une série d’une quinzaine de vidéos accompagnées de musique créée par Philippe Neau. Le 1er numéro de Fugitive promenade vibrante paraîtra le vendredi 13 mars.
Présentation du projet et du lauréat Philippe Neau par lui-même.
Philippe Neau
Né en 1970. Vit et travaille en Mayenne
Mon travail trouve son origine, ses racines, dans la peinture, plus particulièrement c’est la matière picturale elle-même, son épaisseur, sa couleur, sa saturation, son énergie et sa relation à l’espace qui fondent mes recherches et mes expériences. Ce travail recouvre diverses formes et supports. Depuis quelques années, j’expérimente des « installations » sortes de dispositifs de mise en scène où la peinture cohabite avec la vidéo et le son. Cet ensemble hétérogène me permet de créer un « lieu » – un espace – entre peinture, sculpture, espace, vidéo et musique, comme un tableau grandeur nature, à l’échelle 1, dans lequel le spectateur entre. Le regardeur plonge à l’intérieur de la peinture, déambule dans un paysage imaginaire, un « paysage mental ». L’ensemble forme un tout qui peut toutefois exister séparément et de manière autonome.
La peinture :
Le tableau se crée véritablement en trois dimensions pour que le spectateur pénètre aisément au centre du dispositif. La peinture se multiplie, se répand, s’épanche, s’accroît grâce aux surfaces, aux formes, aux structures, aux textures, aux images mobiles, aux matières sonores déposées comme si le tableau éclatait.Tout devient espace pictural plein comme une peinture « all around » si on reprend les mots d’Eric Troncy.
Les peintures, sur châssis ou sur toiles libres, sont travaillées en épaisseur, intègrent des matériaux différents et non nobles comme la poussière, le torchis, les bambous, la ficelle, le papier, le carton, l’herbe, le bois, les feuilles. Les surfaces prennent corps, deviennent granuleuses ou fluides, arborent des couleurs denses, brillantes ou ternes toujours saturées. Cette texture permet un jeu de regards, car les couleurs ne sont pas exactement les mêmes au fil de la journée selon la luminosité. Autour des toiles, comme si elles s’en échappaient, des matières gravitent. Elles s’agglutinent, occupent les interstices, les recoins de chaque mur, du sol jusqu’au plafond. Ces éléments sont des objets trouvés dans l’atelier ou la maison, des outils, des palettes, des surfaces ou des choses reconnaissables décontextualisées qui rythment la vision, la scandent et cassent la logique du tableau et son rapport à l’espace qui l’entoure. La vidéo amplifie les textures et rend les motifs moins reconnaissables encore, plus mystérieux, plus abstraits tout comme le son offre un mélange de bruits, de sonorités industrielles ou naturelles, de mélodies syncopées ou de rythmes décalés qui apparaissent comme une respiration dans ce méandre pictural. C’est tout cela qui participe à la création d’une atmosphère, d’un paysage mental où déambule le spectateur.
Les vidéos :
Mes films sont des extensions de ma pratique picturale. Ils ont pris place au départ dans des installations où la peinture et le son créaient une atmosphère singulière. Aujourd’hui, ils peuvent aussi exister de manière autonome. L’idée conductrice de mes films serait de créer des atmosphères énigmatiques et de mettre en œuvre un sentiment « d’étrangeté inquiétante ». Un moment, parfois court, puissant et entraînant où le spectateur se trouverait emporté par les images et les sons. La forme expérimentale de mes films est un choix esthétique affirmé où le parti pris non narratif est assumé afin de laisser libre la perception sensible du spectateur. Les motifs de mes films proviennent de mon environnement immédiat (paysage, ciel, lumière, nature). Ils sont aussi l’écho de motifs photographiques utilisés par ailleurs et participent encore à l’élaboration d’un « paysage mental » latent, récurrent et propre, également, à ma peinture. Le son amplifie le rythme des images, le souligne et le suit dans cette atmosphère afin de capter le spectateur dans une expérience qui le mènera par delà le réel.
La musique :
Ma musique est une composante, une extension de ma peinture et de toute ma démarche artistique. Elle s’est imposée et développée petit à petit. À tel point qu’avec le temps, ils sont devenus autonomes et peuvent exister sans peinture, image ou objet. Ainsi le projet « nobodisoundz » est né en 2008. Dans mon esprit, ce nom renvoie au personnage « Nobody » du film Dead Man de Jim Jarmusch (2007) dont l’étrange force de déclamation des vers de William Blake dans un paysage naturel, vide, noman’s land de solitude entre la vie et la mort, la lumière et l’obscurité, fait advenir ces deux mondes. Sa figure de « passeur » tel Charon permet ce lien entre des mondes différents et des civilisations différentes, la nature et la culture. « Mon nom est Personne » (= Nobody) comme le clame Ulysse au géant Polyphème dans l’Odyssée d’Homère, dans cette confrontation à « l’autre monde » : une autre histoire, une autre image.
Et plus encore ma fascination pour le film Stalker d’Andreï Tarkovsky, 1979 où le paysage, l’espace, le silence, la « pièce secrète vide », l’opposition entre nature et culture, l’aspect sauvage et les décombres industriels, le chaos et la bande sonore sombre nourrissent tous mes regards. Mes « soundscapes » (« paysages sonores ») se veulent donc comme autant d’atmosphères intenses et calmes, sombres et lumineuses à la fois.
Le projet pour Unidivers : FUGITVE PROMENADE VIBRANTE
Le projet s’appuiera sur un ensemble de vidéos sonores nées de mon environnement visuel : paysage, ciel, lumière, nature végétale. Les images vidéos seront retravaillées, retexturées, «picturalisées» afin de décontextualiser ces éléments. Les sons proviendront également, tout ou partie de cet environnement (field recording) et seront augmentés pour créer une atmosphère, un climat (soundscape). Les bandes vidéos se dérouleront devant le spectateur comme un « paysage mental » en résonance avec les sons texturés, étouffés, vibrants et lointains. Il n’y aura pas de narration. Les vidéos sonores seront autonomes les unes des autres. L’ensemble de la série des vidéos sonores apparaîtra alors comme une fugitive promenade vibrante et rêveuse. Cette série produira ainsi un déplacement du réel dans un entre-deux de réalité augmentée et d’imaginaire flouté, elle emmènera le spectateur dans une expérience située au-delà de la matière.