Un pied au paradis de Michele Foletti ou un roman noir version bd

L’adaptation BD du roman de Ron Rash Un pied au paradis par Michele Foletti, publié aux éditions Sarbacane, nous emmène dans l’Amérique profonde, celle des ressentiments et des meurtres dissimulés. Une belle réussite.

Un pied au paradis est un « roman noir » par excellence, un roman qui offre une vision pessimiste du monde, empreint de violence, animé par des personnages sombres mais qui emprunte au polar l’intrigue, le suspense. Noir un qualificatif qui colle parfaitement à son auteur Ron Rash qui publiait avec ce titre son premier roman, il y a vingt ans, un texte pour lequel il avoue garder « une place particulière dans son coeur » et qui annonce les futurs succès que l’auteur de Caroline du Nord va collectionner.

un pied au paradis bd

Noires, les premières pages de la BD le sont lorsque le shérif Will Alexander intervient un soir dans un bar, suite à une rixe. Il traîne, on le devine rapidement une vie douloureuse, un peu cabossée. Nous sommes dans une région rurale des Appalaches au début des années cinquante. La population peu nombreuse est disséminée au gré des parcelles exploitées. C’est l’Amérique rurale des années d’après-guerre. Chacun subit le poids de la solitude et de la chaleur, chacun porte sur ses épaules la lourdeur d’une vie difficile et laborieuse ainsi que les rayons d’un soleil assassin. Chacun survit comme il peut. Dans la torpeur, un homme disparaît. Il est peu sympathique, militaire revenant de Corée et marqué par la guerre. Il a de nombreux ennemis dans la contrée mais le shérif est persuadé que le tueur est le voisin, trompé par son épouse avec la victime. Pour que le crime soit établi, il faut un cadavre. Pas de corps, pas de crime. Un Pied au paradis pourrait ainsi se définir comme la nécessité impérieuse d’accorder aux défunts une sépulture. Sans tombe, le repos ne peut intervenir ni pour le défunt ni pour l’assassin. Sans tombe le passé ne peut être oublié. Sans tombe le suspense demeure. Et le lecteur tourne les pages avec envie car cette quête du cadavre s’accompagne de secrets dévoilés peu à peu comme un linceul que l’on entrouvre pour découvrir la réalité d’un corps.

C’est un vrai challenge que celui d’adapter en BD cette histoire portée par la voix successive de cinq personnages dont les récits s’entrecroisent, se superposent, se succèdent. Michele Foletti réussit cette adaptation incroyablement difficile en intercalant entre les cases, des voix off, monologues des cinq protagonistes, et en gardant à la lecture une fluidité remarquable. C’est une ambiance lourde qui s’accumule ainsi, chacun des protagonistes portant des souffrances, des secrets qu’il nous confie en témoignage direct.

À ce découpage savamment réussi s’ajoute un dessin qui se dédouble : trait noir réaliste collant au texte mais aussi quelques cases poétiques et silencieuses aux bleu et vert tendres, comme un écho à l’écologie militante du romancier américain. Les couleurs, dont les dominantes varient par séquence, accompagnent la narration, les changements d’époques, de personnages comme les chapitres d’un récit. On lit véritablement un roman et les images apportent des mots supplémentaires.

michele foletti pain au paradis

Pas d’indices ni d’énigmes pour Un pied au paradis mais une ambiance lourde et moite qui accompagne des personnages à la psychologie étonnamment profonde et riche. Véritable huis clos en pleine nature, le temps s’écoule et le drame inéluctable est attendu comme l’orage après la chaleur.

Ron Rash réussit bien aux éditions Sarbacane qui avaient déjà proposé l’adaptation BD de son roman Serena par Ane-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg en 2018. On peut donc s’attendre à retrouver avec bonheur dans deux ans un troisième roman mis en images. Il reste à deviner lequel. Le concours est ouvert.

  • michele foletti pain au paradis
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Un pied au Paradis d’après le roman de Ron Rash. Adaptation de Michele Foletti. Éditions Sarbacane. 176 pages. 26€. Parution : 5 octobre 2022.


A noter la sortie le 6 octobre du dernier roman de Ron Rasch, « Plus bas dans la vallée » chez la Noire de Galliard qui reprend le personnage de Serena.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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