Pokémon Go, vous connaissez ? « Attrapez-les tous », dit le slogan. Avec la sortie de l’application mi-juillet 2016 (et Pokémon Go Plus en septembre), impossible de passer à côté de ce jeu, disponible sur les plateformes iOS et Android, tant il s’avère… tonitruant. La raison ? Cette app Pokemon réalise toutes les promesses de la réalité augmentée, en mélangeant le jeu traditionnel, mais aussi la géolocalisation. Les joueurs envahissent les rues, les médias tentent de cerner la rupture, effective ou non. Sommes-nous donc les attrapeurs ou… les attrapés ?
On en finira donc jamais avec Pokémon, la franchise japonaise créée en 1996. Sous toutes les formes, le phénomène revient sporadiquement depuis maintenant 3 décennies. Jeux vidéo, animés, cartes à collectionner… et maintenant application ! Le but de Pokémon Go reste toujours le même : attraper des Pokémons, sorte de créatures dotées de pouvoirs surnaturels, à mi-chemin entre l’animal et la chimère. Pour les connaître, rendez-vous sur votre « Pokédex », s’entend : un outil où sont enregistrées les caractéristiques des créatures. Du reste, face à l’ampleur du phénomène, mieux vaut se renseigner sur le lexique de l’univers Pokémon : dans ce monde, vous combattrez dans les arènes, vous vous arrêterez dans un Pokéstop pour y chercher des Pokéballs (outil pour attraper la créature), de l’encens, des œufs, de l’élixir de soin. Prenez d’ores et déjà de bonnes habitudes : bientôt, même les rencards se transformeront assurément en chasse aux Bulbizarres !
Depuis sa sortie, au début du mois de juillet, Pokémon Go est le phénomène à ne pas rater. D’ailleurs, comment le manquer ? Les anecdotes liées au jeu fleurissent sur la toile, sur les réseaux sociaux ou dans les journaux, la rue se peuple gentiment d’un humain comme monté sur smartphone, les yeux rivés sur son écran. Mais quelle est la raison du succès ? The Pokémon Company s’est alliée avec Nintendo et Niantic (ancienne filiale de Google) pour élaborer ce jeu d’un genre nouveau. Nouveau ou presque : d’autres jeux en réalité augmentée étaient apparus par le passé, notamment Ingress. Néanmoins Pokémon Go constitue la première réalisation cohérente, ergonomique et réussie de la réalité augmentée.
Car elle est là, la grande innovation du phénomène : le joueur ne se contente plus de chercher ledit Pokémon sur une map interne à son jeu, comme avant. Pokémon Go utilise la géolocalisation : les créatures apparaissent donc à un endroit précis de la Terre. Le joueur doit s’y rendre physiquement. Admettons : Salamèche se trouve au pied de la fontaine Coëtquen, à Rennes. En vérité, vous ne verrez, Dieu soit loué, que votre habituelle fontaine à la tête coupée. Mais sur votre portable s’y superposera une créature plutôt attachante, orange, avec une flamme au bout de la queue. À ce stade, vous l’attrapez grâce à une Pokéball et continuez la chasse. Le triomphe du jeu réside sans doute en ceci que Pokémon Go correspondait parfaitement au mariage de la réalité augmentée et de la géolocalisation : dès son origine, tout repose sur la découverte, la carte et la chasse.
C’est de la folie, direz-vous. En bourse, les actions de Nintendo se sont envolées (avant de dégringoler précipitamment). On entend ici ou là des anecdotes sur l’utilisation du jeu : des chutes dans la rue, dues au manque d’attention au monde environnant, un accident de voiture, des agressions. Des scènes délirantes se sont déroulées dans certains endroits du monde, comme à Central Park : une foule composée presque exclusivement de personnes obnubilées par leur smartphone. On sait aussi que certains Pokémons sont apparus dans des espaces privés ou semi-privés, ce qui pose des interrogations tant d’un point de vue urbanistique que juridique. Dans les discours, la tendance est à la rupture. Pokémon Go serait un énième changement de paradigme. Mais est-ce bien certain ?
Une crise de collectionnite aigüe semble frapper nos contemporains : l’obsession médiatique autour du phénomène Pokémon Go en témoigne largement. Même chez les jeunes générations, il semblerait que faire des collections ne soit plus considéré comme une activité ringarde. Bien au contraire, en amassant sous la forme de données numériques une multitude de petits êtres colorés, le collectionneur de Pokémons contracte en lui ce caractère mondialement partagé qu’est la volonté de posséder. Avec Pokémon Go, c’est l’ensemble du monde qui se transfigure en pays des jouets qu’il s’agit désormais d’accumuler faute de pouvoir en faire un véritable usage. Pokémon Go signe le triomphe d’un fétichisme 2.0 : la marchandise devenue intouchable existe pour les utilisateurs comme un simple phénomène optique à déposer dans nos greniers numériques.
La terminologie en vogue semble nous inciter à parler de « chasseurs de Pokémons ». C’est là une drôle d’idée : le chasseur n’est-il pas précisément celui qui possède la puissance de s’orienter ? Le chasseur sait bien sentir sa proie, il sait reconnaître les lieux où vit l’habitant de son futur garde-manger. Il n’a pas besoin de GPS, car le chasseur est l’homme doté d’une puissante d’orientation : son désir de tuer ou de capturer est l’œuvre d’une pleine mobilisation des sens. Il n’en va pas de même pour nos collectionneurs, lesquels, le nez pointé sur l’écran, se voient dotés par la magie Google d’un pouvoir d’atteindre rapidement l’adresse d’un Pikachu. Réduire la puissance d’orientation et augmenter le pouvoir d’atteindre, tel est le miracle Pokemon Go. Dociles, ces chasseurs qui chassent des proies immobiles ?
Malgré ces remarques, l’expérience sensible que propose Pokémon Go n’en est pas moins plaisante. Pourquoi ? Elle tire son succès d’un certain nombre d’innovations. Auparavant, l’usage du téléphone mobile demeurait plus ou moins séparé de la situation physique de l’utilisateur. En situant le collectionneur au plus près de l’espace urbain, Pokémon Go propose à chacun la possibilité d’affronter le réel dans ce qu’il a de plus concret. En témoignent les nombreux récits de collectionneur traversant des lacs pour aller chercher telles ou telles espèces. De plus, cette application redonne aux utilisateurs la possibilité d’habiter de manière ludique des segments de leur environnement physique et quotidien. Autrement dit, Pokémon Go réenchante nos trajets de vie en proposant une nouvelle forme d’expérimentation de l’espace urbain. En ce sens, Nintendo et ses alliés profitent de ce dédoublement de monde que constitue Google Map pour faire d’internet un élément véritablement sensible de nos quotidiens. Enfin, le succès de Pokémon Go reposerait moins sur le fait de collectionner que de conquérir. Le plaisir des joueurs résiderait dans le fait de se rendre à un endroit, et d’y être enfin.
On notera cependant que le monde ne serait pas exploré sans la disposition arbitraire (c’est-à-dire générée par des algorithmes) des Pokémons. Autrement dit, les utilisateurs de l’application n’explorent la ville qu’en vue de rejoindre le Pokémon qui s’y trouve a priori. Cette expérience vise une obtention et les utilisateurs ne traversent pas un lac pour le plaisir de la contemplation, mais bien dans l’objectif d’obtenir tel ou tel fétiche. Cette course infinie mérite au moins une critique : derrière l’éloge de l’exploration urbaine, la parenté avec la pratique de l’urbex, se cache en réalité une négation des chemins empruntés. Qui voit le Pikachu dans une rue misérable voit-il encore la misère de la rue en question ? On ne pratique pas l’urbex pour collectionner, mais pour découvrir et explorer des mondes sensibles, voire des mystères. Avec Pokémon Go, notre rapport à la ville et son mystère se résume de manière obscure à des serveurs situés quelque part entre Tokyo et Los Angeles.
Sans être ni technophobe ni alarmiste, on peut légitimement questionner la portée de Pokémon Go. Quand un Pikachu se trouve en face d’un cerisier, c’est bien le cerisier et non le Pikachu qui est porteur d’un monde. C’est encore lui, avec ses fleurs en bourgeons, qui ouvre sur la profondeur du monde. Par l’intermédiaire du Pikachu, peut-être nos contemporains pourront-ils développer un rapport poétique au-dehors. Car le cerisier derrière le Pikachu, lui, ouvre l’espace du sentiment…
Pokémon Go est une application smartphone développé par The Pokemon Company, Niantic, Nintendo, pour iOS et Android
Certains Youtubeurs ont naturellement fait des tutoriels pour comprendre ce jeu :
[…] tout état de cause, la tendance ne semble pas prête de s’inverser. Les nouveaux arrivants dans l’univers du jeu continuent de plébisciter les jeux Sammu-Ramat. Il ne reste plus qu’à découvrir les […]