Pollution des eaux par les nitrates en Bretagne : l’Etat rappelé à l’ordre

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algues vertes
Plage des Godelins à Etables-sur-mer au mois de septembre 2022

La pollution des eaux par les nitrates en Bretagne constitue une préoccupation environnementale majeur depuis plusieurs décennies. Issue principalement des pratiques agricoles intensives, cette pollution contribue à l’eutrophisation des eaux et à la prolifération des algues vertes sur les côtes bretonnes. En réponse à ce défi, la Région Bretagne et la préfecture ont été contraintes de mettre en place divers dispositifs pour encadrer l’utilisation des nitrates et limiter leurs impacts sur les milieux aquatiques. Ce matin, le tribunal administratif de Rennes a ordonné à l’État de renforcer ses mesures de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole.

Rappel historique : l’émergence du problème des nitrates en Bretagne

Dès les années 1970, la Bretagne, région à forte vocation agricole, vit ses cours d’eau et ses nappes phréatiques se charger en nitrates sous l’effet de l’intensification de l’élevage, notamment de porcs, et de l’usage accru d’engrais azotés. Ce phénomène s’aggrava dans les années 1980 et 1990 jusqu’à attirer l’attention des autorités nationales et européennes. En réponse, la directive européenne « nitrates » de 1991 imposa aux États membres des plans d’action afin de lutter contre la contamination des eaux par l’azote d’origine agricole.

En Bretagne, les premières mesures réglementaires intervinrent au début des années 2000 avec l’instauration de programmes d’actions régionaux (PAR) qui visaiient à réduire les apports azotés dans les milieux aquatiques. Malgré ces efforts liminaiires, la présence persistante de nitrates dans les eaux bretonnes a entraîné des contentieux entre associations environnementales et autorités publiques.

L’action insuffisante de la préfecture et de la Région Bretagne

En application de la directive nitrates, la Bretagne a mis en place plusieurs plans de lutte contre cette pollution. Entre 2010 et 2023, la teneur en nitrates des cours d’eau bretons a diminué de 19 %, avec une baisse plus marquée dans les bassins versants affectés par les marées vertes (de 21 % à 30 %). Toutefois, cette réduction tend nettement à ralentir ces dernières années ; ce qui justifie l’introduction de nouvelles mesures.

Depuis 2010, un plan spécifique contre la prolifération des algues vertes a été déployé avec pour cible huit territoires qui concentrent près de 90 % des échouages. En 2022, la préfecture de Bretagne a instauré des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) pour encadrer la fertilisation azotée et fixer des objectifs de réduction des fuites d’azote d’ici à septembre 2025. Un bilan de ces actions est prévu cette année, et des sanctions réglementaires devraient appliquées aux exploitations agricoles qui respecteraient pas leurs engagements.

En parallèle, depuis 2024, une nouvelle démarche a été initiée en collaboration avec la chambre régionale d’agriculture et l’association Eau et Rivières de Bretagne. Cette initiative vise à renforcer l’efficacité du programme d’actions régional en adoptant une approche axée sur les résultats plutôt que sur les seules contraintes réglementaires.

Une parole environnementale souvent étouffée

Depuis plusieurs décennies, divers lanceurs d’alerte, chercheurs, journalistes et associations ont dénoncé l’ampleur de la pollution aux nitrates et ses conséquences sur l’environnement et la santé publique. Toutefois, ces alertes ont souvent été minimisées, voire combattues, par l’État et la Région Bretagne. La journaliste Inès Léraud, dans sa bande dessinée « Algues Vertes, l’histoire interdite » et « Champs de bataille » a révélé les pressions exercées sur ceux qui dénoncent ce problème, notamment des menaces, des tentatives de censure et des difficultés d’accès aux informations officielles (voir les trois articles plus bas) . Les associations environnementales, telles qu’Eau et Rivières de Bretagne, ont également été en butte à des oppositions politiques et économiques qui freinent leur combat en faveur d’une meilleure régulation. Cette répression des alertes environnementales pose la question de la transparence et de la responsabilité des pouvoirs publics au regard d’une crise écologique majeure.

La décision du tribunal administratif du 13 mars 2025

Le 13 mars 2025, le tribunal administratif de Rennes a ordonné à l’État de renforcer ses mesures de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole. Cette décision fait suite à une demande de l’association Eau et Rivières de Bretagne qui estime que les actions mises en place jusqu’à présent restent insuffisantes au regard des exigences environnementales.

Le tribunal enjoint ainsi le préfet de région à prendre des mesures supplémentaires dans un délai de dix mois afin de mieux encadrer la fertilisation azotée. En réaction, les services de l’État examinent les ajustements possibles et envisagent les conditions d’un éventuel appel.

Perspectives et défis à venir

Si des progrès ont été réalisés en matière de réduction des nitrates dans les eaux bretonnes, les autorités doivent encore relever plusieurs défis pour parvenir à une amélioration durable de la qualité de l’eau. La nécessité de concilier impératifs économiques et environnementaux rend la mise en place de nouvelles mesures particulièrement délicate. La Région Bretagne et la préfecture devront ainsi poursuivre leurs efforts de concertation avec les acteurs agricoles et de protection de l’environnement en garantissant une application effective des réglementations existantes. Ce qui n’est pas une mince affaire.

Mais la Bretagne en serait-elle arrivée à cette situation de tension inquiétante si le Conseil régional et la préfecture n’avaient pas favorisé depuis des décennies des intérêts particuliers au détriment d’alertes scientifiquement fondées qui tentaient de faire valoir le bien commun, autrement dit la protection de cet environnement naturel que nous avons tous reçu en héritage ?

L’enjeu est d’autant plus crucial que la Bretagne reste sous surveillance au plan européen en raison des risques de contentieux pour non-respect des objectifs de la directive nitrates. La décision du tribunal administratif marque une étape supplémentaire dans la pression exercée sur l’État pour renforcer son action.

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.