Musicien punk un jour, braqueur le lendemain, ainsi se résume une partie de l’existence de Gilles Bertin à la vie publique tumultueuse aujourd’hui oubliée. Stéphane Oiry nous raconte une époque, une musique, celles des années quatre-vingt.
L’homme en couverture qui baigne dans un décor jaune d’or à la Van Gogh s’appelle Gilles Bertin. Comme le peintre hollandais il a les cheveux blonds, couleur des blés. Comme le peintre il a au fond du corps un volcan qui le consume. Pour l’artiste c’est la peinture qui le brûle de l’intérieur. Pour l’homme de la couverture c’est la musique. Il a le regard perdu de celui qui cherche un sens à son existence : « Il doit bien exister autre chose que la colère et le mal-être. L’existence ne peut se résoudre à ça ». La drogue lui a consommé le regard.
Il a existé réellement cet homme noyé dans sa vie. Lors de son décès en 2019, à l’âge de 58 ans, les supporters des Girondins de Bordeaux ont même déployé une banderole couvrant la moitié du stade en sa mémoire. Bordeaux c’est là qu’au début des années 80 avec une bande de potes squatters il décide de constituer un groupe de rock alternatif qui terminera second en 1982 à la finale du Tremplin Rockotone derrière Noirs Désirs (futur Noir Désir) et ce « connard de Bertrand Cantat ». Ce groupe s’appellera Camera Silens par référence aux cellules des membres de la Fraction Armée Rouge, un choix qui révèle l’état d’esprit de cette bande aspirant à vivre à la marge, rebelle adepte du principe « Ni Dieu, ni Maître ». Mais il y a loin souvent des principes à la réalité et les vomissements de la société se conjuguent avec ceux des shoots mal maitrisés.
Cette descente aux enfers permanente, Gilles Bertin l’a raconté dans un ouvrage paru en 2019, l’année de sa mort, intitulé Trente ans de cavale : Ma vie de punk. Stéphane Oiry adapte librement cette biographie dans la BD pour tracer l’existence d’un être rongé par le mal être que le dessinateur, traduit par un personnage au regard vide, et aux épaules voutées. Un être en apnée, en apesanteur, suspendu en permanence au dessus du vide.
Musique, drogue suffiraient déjà pour rendre l’existence difficile mais Gilles Bertin va rapidement faire la une de la rubrique Faits divers pour de multiples braquages dont le plus spectaculaire a lieu le 26 avril 1988 à Toulouse dans un dépôt de la Brink’s pour un butin de 2,7 millions d’euros actuels. Commence alors une existence dans la clandestinité. Pourtant Gilles Bertin va, après 18 ans de cavale, se livrer spontanément à la police, expliquant qu’il ne pouvait plus vivre comme cela. C’est cette décision, qu’indirectement éclaire Stéphane Oiry. Son scénario elliptique par rapport à l’ouvrage de Bertin, validé par sa dernière compagne et ses deux enfants, désire montrer et comprendre les failles d’un homme en lutte avec ses faiblesses. Ni ange, ni démon, le chanteur, guitariste est aussi le fruit d’une époque, d’une génération perdue qui cherche dans ces années Mitterand, alors que l’économie commence à régner, et l’argent à devenir roi, un sens à l’existence. Ce sont simultanément les années Sida qui vont emporter la plupart des potes de Bertin, atteint lui même par la maladie.

En utilisant notamment des effets de trame, Oiry dessine un monde ancien en train de changer et un impossible rêve d’un ailleurs. Cecilia Miguel, la dernière compagne de Bertin et la mère de son deuxième enfant, écrit dans une postface : « Ce livre raconte la vie de nous tous : bosseurs, malades, voleurs, camés, artistes …Il raconte aussi une génération ».
Le ton est juste et trace le portrait d’un homme qui n’a en fait une seule envie, celle de vivre tranquillement dans une famille, de serrer sa femme et ses deux enfants dans ses bras. Et de jeter à la rue son passé. En juin 2018, la cour d’Assises de Haute Garonne le condamne, trente ans après le braquage, à cinq ans d’emprisonnement avec sursis, sous les applaudissements. « Ils n’ont pas jugé l’homme que j’avais été, mais celui que j’étais devenu », déclare Bertin. C’est aussi ce que nous raconte à sa manière Stéphane Oiry qui tutoie souvent Bertin dans son ouvrage comme un pote à qui on a envie de faire oublier les conneries passées. Et de lui donner une nouvelle chance, même posthume.

Les héros du peuple sont immortels : la cavale de Gilles Bertin de Stéphane Oiry. Éditions Dargaud. 128 pages. 21,50€. Lire un extrait
