En l’espace de 15 ans, La Maison Tellier a pris sa place dans le champ du rock et de la musique folk en français. Primitifs modernes, leur sixième opus au ton direct et électrisant, sort le 22 mars prochain. S’en suivra leur prochaine tournée, dont trois dates en Bretagne !
La première pierre de La Maison Tellier fut posée en 2004 à Rouen, en Normandie. C’est là que Yannick Marais, alias Helmut Tellier, rencontre le guitariste Sébastien Miel, qui deviendra Raoul Tellier, lors de l’unique concert solo donné par ce dernier. Ils se découvrent alors une passion commune pour les répertoires folk et country, et décident de former un duo. Ils donnent à leur nouveau groupe le nom La Maison Tellier, en référence à la nouvelle du célèbre écrivain Guy de Maupassant qu’Helmut lisait à ce moment-là. Leurs premières chansons communes commencent à les faire connaître du milieu musical. Ils voient même leur reprise de « Killing In The Name » de Rage Against The Machine figurer sur la 4e compilation du label Travaux Publics, sortie en 2006.
Par la suite, ils sont rejoints par le trompettiste Frédéric Aubin (Léopold Tellier), le claviériste et bassiste Morgan Baudry (Alphonse Tellier) et le batteur Hyacinthe Chetoui (Alexandre Tellier). Fort de ces dernières recrues, le groupe enregistre alors un album éponyme, qui sort cette même année 2006 sur le label rouennais Euro-Visions. Un an plus tard, en 2007, ils enregistrent Second souffle, leur deuxième album, et assurent en juin de la même année la deuxième partie des concerts d’Alain Bashung à l’Olympia.
Il y a trois ans, après deux autres albums et un enregistrement en public, ils sortent l’album Avalanche sur le label At(h)ome, œuvre marquée pour l’essentiel par des instrumentations centrées sur la guitare acoustique. Le 22 mars prochain, ils nous proposeront leur dernier né, Primitifs modernes, en partie conçu entre 2016 et 2017 durant leur tournée précédente.
La première chose que l’on remarque dans cet album est que plusieurs chansons, par leur tempo effréné, se situent dans la même dynamique que celle suivie par le groupe pour Avalanche. En témoigne notamment la chanson titre, « Primitifs modernes », ou encore « Les Apaches », au dynamisme très communicatif. Ces nouvelles créations révèlent également une plus grande place accordée aux guitares électriques saturées qui, associées à des lignes de basses parfois martelées, créent des instrumentations percutantes, voire détonantes. Elles transmettent ainsi une énergie débridée, similaire à celle distillée jadis par le rockabilly des années 50, le punk rock des années 70 ou encore le rock alternatif popularisé pendant les années 90 par des groupes comme R.E.M. Dans « Les Apaches », l’accompagnement instrumental, articulé autour d’une rythmique de batterie presque disco, pourrait évoquer certains morceaux du groupe Television et le rock indé des Franz Ferdinand dans leurs premiers albums.
D’autres titres, au contraire, se rapportent davantage à un certain classicisme rock et font apparaître des esthétiques inspirées de la musique folk et du pop-rock des années 60, desquelles le groupe est familier depuis ses débuts. On le remarque par exemple à travers le picking folk présent sur « Je vous parle d’un pays », ainsi que l’intervention des tambourins dans « Chinatown » et « Laisse-les dire », similaires à celles présentes sur certains standards du pop-rock des années 60 comme « Ticket To Ride » des Beatles.
Dans les textes des chansons de cet album, Helmut Tellier met en scène ces « primitifs modernes », dont les histoires tourmentées peuvent nous être familières. Les personnages dépeints par le chanteur et auteur du groupe, épris de liberté et de la fureur de vivre, affrontent le désenchantement auquel tend notre époque et cherchent différents types de refuges.
Parmi ces êtres, très souvent anticonformistes, figure le célèbre boxeur américain Mohamed Ali, auquel La Maison Tellier rend un bel hommage à travers « Ali ». Dans cette chanson, l’harmonie pentatonique, l’ostinato lancinant et le jeu slide de la guitare électrique lui donnent des accents blues rock. De même, l’éruptif solo de guitare présent au milieu de la chanson peut également évoquer le blues touareg qu’a pu rendre célèbre le groupe Tinariwen.
Ces histoires retraduisent alors les mouvements de l’âme humaine, qu’il s’agisse de l’urgence et l’agitation (« Les Apaches »), les désillusions, ainsi qu’une profonde mélancolie qui va occasionnellement de pair avec la nostalgie. Cette dernière est notamment palpable à l’écoute de « Chinatown », où il est question d’une déception amoureuse, thématique également présente dans « Prima Notte ».
Sur d’autres aspects, l’introspection occupe une place privilégiée. Dans « La horde », Helmut Tellier parle à la première personne, pour mieux aborder nos aspirations et nos traumatismes adolescents, qui parfois nous poursuivent encore à l’âge adulte. Plus précisément, il y raconte notre envie très souvent irrépressible de s’intégrer à un groupe et de fuir la détresse que provoque l’isolement. Raison pour laquelle il ne cède à aucun passéisme, affirmant que
Non c’était pas mieux avant. C’était juste avoir vingt ans, sans croiser âme sœur qui vive.
https://youtu.be/bMJii9sF1yM
La concentration des parties instrumentales autour de la guitare électrique saturée aurait pu signifier un changement de cap de la part des musiciens de La Maison Tellier. De même, l’intervention occasionnelle du synthétiseur apporte quelques sonorités électroniques, proches de celles de la new wave et moins habituelles dans leur musique. Elles apparaissent de façon flagrante dans la chanson titre de l’album, rythmée par la batterie d’Alexandre Tellier. Mais si le style des Rouennais prend inévitablement de nouveaux contours, il parvient à conserver l’identité musicale « Americana » qu’ils avaient développée pendant toutes ces années et à laquelle leur public s’est attaché. (L’americana est défini comme un mélange de musique roots américaine et des traditions musicales qui ont fait l’histoire musicale américaine : folk, country, rhythm and blues et rock ‘n’ roll et pop rock, NDLR)
De plus, les textes d’Helmut Tellier présentent une qualité poétique certaine et empruntent à de nombreuses références musicales, littéraires et cinématographiques qu’on savoure au détour de discrètes allusions. C’est ainsi qu’un passage du fameux poème « Liberté » de Paul Eluard se retrouve transformé, ou plutôt mué en une expression du désarroi face au changement physique et hormonal de l’adolescence. Dans un autre registre, chaque refrain de « Chinatown » fait apparaître la formule « It’s all over now, baby », comme en écho au « It’s All Over Now (Baby Blue) » de Bob Dylan.
On retrouve également la voix si expressive et parfois emplie de sanglots d’Helmut Tellier. Son ton plaintif, par moments impulsif et irrégulier, lui a souvent valu une comparaison à la vocalité de Gérard Manset et on peut aussi le rapprocher de celle d’Alain Bashung.
Mentionnons encore les parties de trompette et de cuivres assurées par Léopold Tellier, toujours très chantantes et dont les différents modes de jeu confèrent à l’album des couleurs sonores diverses. Le timbre de ses instruments attribue plus que jamais une patte singulière au style orienté rock et folk du groupe. On le remarque notamment à l’occasion d’une très belle polyphonie dans les refrains de la chanson « Ali » et d’une délicate intervention mélodique de la trompette lors du pont de « Chinatown ».
Avec Primitifs modernes, les musiciens de La Maison Tellier parviennent à dépeindre des tranches de vies souvent difficiles, tout en nous offrant un exutoire et en nous transmettant un réel enthousiasme. Ces sentiments mêlés traversent toutes les chansons et trouvent leur épilogue dans « Que mes chansons… reposent en paix », concluant l’ensemble dans l’effervescence. Dans tous les cas, ces existences mises en musique parlent à nos âmes esseulées, et leur tiennent compagnie le temps de l’écoute. Les concerts qui jalonneront la prochaine tournée du groupe devraient permettre de prolonger ce moment, pour notre plus grand plaisir…
L’album Primitifs modernes de La Maison Tellier sortira le 22 mars prochain sur le label Messalina/Verycords/Warner.
Leur prochaine tournée sera marquée par trois dates en Bretagne : le 2 mai au Vauban de Brest (29), le 3 mai à l’Echonova de St Avé (56) et le 4 mai à l’Ubu de Rennes (35).