Après le Printemps des Poètes, vivement l’automne des peuples ?

Le printemps est arrivé, et avec lui, pour le saluer, celui des Poètes ! Du 5 au 20 mars, de nombreuses manifestations ont eu lieu en France et dans la francophonie pour cette 18e édition. D’autres continuent encore : à Rennes, à l’ERP Jean Janvier par exemple, des installations « d’inspiration Dada » et des animations se poursuivent tout le mois d’avril. Ou encore des « rencontres vivantes » dans les bibliothèques départementales d’Ille-et-Vilaine. Un retour en alexandrins !

 

Printemps des Poètes

 

Créée en 1999, par Emmanuel Hoog, André Velter et l’inénarrable Jack Lang, cette manifestation francophone a pour but de célébrer la poésie sous toutes ces formes. Et les poètes… Cette année, sous la direction Jean-Pierre Siméon et le parrainage de Michael Lonsdale, le Printemps met à l’honneur « Le Grand XXe », soit près de cent ans de poésie. Il vise une tentative de (re)valorisation de la poésie. La catégorie éditoriale Théâtre et Poésie ne représente que 0,3 % du CA de l’édition en 2014. La poésie a paradoxalement laissé pour la postérité une image marginale, souterraine. On imagine mal Rimbaud et Verlaine déclamer le Sonnet du Trou du Cul à la mairie de Charleville-Mézières, ni Baudelaire inaugurer une école « quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ». Le positivisme veut de la joie et de la bonne humeur. Avec les troubadours, je positive ! Ce Printemps est celui du Léthé. On sait que le Printemps des Poètes a subi ces dernières années des baisses sans précédentes de ces subventions. On pourrait le déplorer si précisément l’accointance de la poésie et de la politique n’était pas plus déplorable encore. Comment ne pas voir dans l’éditorial de Fleur Pellerin, pour le Printemps des Poètes 2015, l’hypocrisie d’une gauche qui se croit encore l’ami d’une marge qu’elle méprise ? « Le Printemps des Poètes, écrit-elle, nous invite cette année, avec le visage de Maïakovski, à fêter tous les irréductibles, les enfiévrés, les radicaux de la beauté ». Les gouvernants préfèreront toujours une « insurrection poétique » que politique, voire même, tout simplement polémique. L’année dernière intervenaient en mars des « brigades d’intervention poétique ». Amis, entends-tu ? C’est Apollinaire, c’est Baudelaire, c’est Prévert, qu’on assassine !

 

Prenez note : on ne critique pas le printemps
On aime la poésie et les fleurs des champs
Que les bateaux s’enivrent, que les chars s’avancent
On n’emprisonne pas Voltaire et sa défense

Paris est une fête, et la province aussi
Recueils, rencontres, maison de la poésie,
Festivals, lectures, ou en un seul mot partage
C’est beau, et puis ça fait oublier le chômage

Poésie appartement, poésie rallye
Poésie dérangeante, clamée, dernier cri
Poésie slamée, rappée, poésie d’ici
Ô poésie rouge, ô poésie de mairie

Poésie de mes rêves, poésie péniche
Poésie de Syrie, de Chine ou bien d’Autriche
Poésie femme, des droits de l’homme-sandwich
Poésie pour les chauves, poésie postiche

Au sein des interlopes maisons de quartiers,
Ou dans les souterraines universités,
Tu te déclames en VO non sous-titrée
À grand renfort de Baudelaire ou Mallarmé

Là, là-bas, arabe, ici Bourges et poétesse
Certains printemps métaphoriques font florès
D’autres sûrement ne passeront pas l’hiver
À chacun sa saison, à chacun son enfer

Ici les poètes, vous nous entendez bien ?
Seuls sur prie-Dieu, reconvertis en tue-chien
Nous fûmes disparus, fumée, fûmes maudits
Vagabond passant passant dans l’après-minuit

Eh les poètes ? Je vous reçois cinq sur cinq
Vous, livre du vin perdu, debout sur le zinc
À vous ! À vous de porter la bonne parole
À vous, les déjeuners sur l’herbe grand-guignol

Poétiser, et qui critiquera verra !
Des associations de défense, il y en a !
J’écris ton nom, solidarité ! Parité !
Poètes, à vos marques, à vos papiers, prêts, partez !

Mais prévenons-les : il n’y a plus de saison,
D’ailleurs, il n’y a plus rien, rien, non rien de rien
La poésie doit s’écrire à l’arrière-saison,
Équinoxée, lorsque l’été se fait indien.

La subversion s’appellerait donc subvention ?
La fête n’est pas le terme de ce siècle sans nom
Le style de vie est-il au -trans, au -méta ?
La poétique au Cac quatrain, à l’entre-soi ?

Un alexandrin égal une part de tarte
Demandez le programme, prenez votre carte
Au parti pris, à l’action indirecte libre
Au pistolet cent balles et ni sang ni calibre

Les ismes ont un nom, on dit mondialisme,
On dit altruisme, on dit parti socialisme
L’important, plaît-il, n’est-ce-pas, c’est bien la prose,
L’important c’est être ni râleur ni morose.

Aïe aïe, des haïkus poétisent le cinquième
Cette année ? on met à l’honneur le « grand vingtième »
Après « le rire » et « l’insurrection poétique »
Quand le spleen de Paris sur le périphérique ?

La ministre de la Culture, je cite, dit :
Être heureuse « que la poésie puisse ainsi,
En tous lieux, envahir notre quotidien »
Merci beaucoup pour ce discours machiavélien

Qui invite à faire « réclame poétique »
Coller affiche et distribuer tract sympathique
Donner à la rue la poésie, la beauté
Qu’elle possède déjà – mais qu’il faut rejeter

Le site du Printemps des Poètes

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