Mercredi 6 juin 2018, 160 collégiens ayant participé au Prix Ados Rennes/Ille-et-Vilaine se sont rassemblés à Rennes, aux Archives départementales, pour un après-midi de clôture du Prix. L’occasion de dévoiler l’auteure lauréate du Prix Ados: Anne Ferrier.
Le Prix Ados Rennes/Ille-et-Vilaine 2018 a été décerné à Anne Ferrier pour son roman jeunesse « Encore faut-il rester vivants » (Éditions Magnard). Les 800 collégiens participant au Prix Ados ont désigné leur favori grâce au concours des bibliothèques et des centres de documentation et d’information (CDI) des collèges d’Ille-et-Vilaine.
Prix Ados créateurs
Durant toute l’année scolaire, les adolescents ont été invités à proposer des créations évoquant les univers des livres de la sélection : images, vidéos; textes, musique, objets, jeux, etc. Trois créations collectives et trois créations individuelles sont récompensées parmi 47 œuvres proposées par les 115 participants :
→ créations collectives
1er prix : collège Jacques Prévert de Romillé pour le roman photo Quand les poules auront des dents
2e prix : collège Pierre Brossolette de Bruz pour la chanson Envole-toi
3e prix : collège Mathurin Méheut de Melesse pour la création SOS
→ créations individuelles
1er prix : Tifenn Le Goc pour sa création Flow (collège Bourgchevreuil de Cesson-Sévigné)
2e prix : Charlotte Chevrier pour sa création Et elle s’envola (collège Evariste Gallois de Montauban de Bretagne)
3e prix : Louanne Fouillen pour sa création Envole-moi (collège François Truffaut de Betton)
Beaucoup d’auteurs se laissent guider par les personnages, est-ce que c’est le cas pour vous ?
Anne Ferrier – C’est un mélange entre les deux tendances, architecte (celui qui sait exactement où son histoire va le mener, qui prévoit tout, chapitre par chapitre) et jardinier (celui qui laisse pousser son intrigue, pour voir où elle va aller, qui lâche la bride sur le cou des personnages) : je sais en général à peu près où va me mener mon histoire, les grandes lignes, mais en même temps, je laisse le récit cheminer tout seul, et les personnages prendre leur envol.
D’ailleurs, les héros n’empruntent pas toujours les chemins qu’on avait tracés pour eux, et s’écartent de la trame. Alors je les laisse faire, et je vois où ça mène. Certains prennent plus de place que prévu, et d’autres s’effacent. Certains personnages refusent de mourir (je ne peux pas vous donner d’exemple sans m’auto-spoiler) alors que d’autres trouvent le courage de se sacrifier, alors que ce n’était absolument pas prévu au départ (et là, je pleure, mais je pleure en écrivant !!).
Ceci dit, j’ai beaucoup évolué dans mon pratique de l’écriture : avant, j’étais une névrosée du plan. Impossible d’écrire sans cela. Pour ma défense, j’ai commencé par écrire des romans policiers médiévaux : essayez donc de rédiger si vous ne savez pas qui a tué le colonel Moutarde ni avec quel objet ! Pas si simple ! Avec le temps, je me suis assouplie et j’aime mieux, désormais, me laisser une plage de souplesse. C’est parfois très angoissant, pour être honnête ! Mais il me semble que mes histoires s’enrichissent à ce prix.
Quelle est l’étape la plus facile, dans l’écriture ? Et la plus difficile ?
Anne Ferrier – L’étape la plus facile, c’est l’écriture justement, quand tout glisse, les actions s’enchainent, c’est grisant, comme la vitesse dans le Grand Huit : j’adore, j’en ressors le cœur ébouriffé et pleine d’énergie ! Ça avance, les dialogues s’enchaînent et les signes s’accumulent.
Le plus difficile, ce sont les corrections, c’est laborieux, déprimant, et très long. Je pense d’ailleurs toujours à mes élèves qui pestent sur leurs rédactions, quand j’en suis à cette phase : comme je les comprends ! Mais hélas, les corrections sont une phase indispensable pour rendre le roman (et les rédactions !) meilleur. Mais que c’est déprimant !
Êtes-vous déjà allée en Écosse ou sur n’importe quel autre lieu de vos romans ?
Anne Ferrier – J’adorerais ! Mais vous aurez compris, si vous avez lu cette chronique jusqu’au bout, qu’hélas les livres ne me rapportent pas suffisamment pour me permettre de voyager jusqu’à Mayotte (Le miracle du Lagon), l’Afrique (Demba et le faiseur de rêves), le désert de la mort ou le Pérou (la série des Enfants Trotter), … L’Écosse, c’est déjà plus simple, mais… non.
J’utilise google maps, google earth, je visite avec street view et je lis les blogs et forums de voyageurs. C’est une façon économique mais finalement assez réaliste de rendre une atmosphère crédible dans un roman. Enfin, les lectrices qui sont allées sur l’île de Skye (je ne vous dis pas à quel point je suis jalouse, hein ?) ont l’air de dire que j’ai plutôt bien réussi à retranscrire l’âme et la pluie écossaises.
Avez-vous un projet en cours ?
Anne Ferrier – Je travaille pour le moment sur une romance entravée par de lourds secrets de famille. Et après, peut-être un projet de BD, ou une romance historique. Ou la suite d’un roman déjà paru. ;)
Combien de temps ça prend, d’écrire un livre ?
Anne Ferrier –C’est très variable. J’ai écrit certains textes d’album très rapidement (une après midi, une semaine), quand d’autres ont été remis sur la planche des semaines durant.
Pour les romans, c’est plus constant : en général, entre trois et cinq mois d’écriture pure, sans compter les phases de recherches qui sont parfois nécessaires (pour mes romans qui se déroulent au Moyen Age par exemple), et qui durent là aussi entre deux et trois mois.
Finalement, en un an, j’arrive à écrire un texte d’album, parfois deux, et un roman.
Evidemment, tout cela, ce n’est pas du travail à plein-temps : mes journées sont consacrées en premier lieu à mon métier de professeur de français et à ma famille. Quand il reste du temps (et pas de lessive à mettre en route ou de voiture à récupérer chez le garagiste), je me mets à l’écriture.
Parfois, bien sûr, je regrette de n’avoir pas davantage de temps à consacrer à mes histoires, et je caresse le rêve d’écrire toute la journée, sans copies à corriger ou cours à préparer. Mais hélas, tant que les auteurs gagneront ce qu’ils gagnent sur leurs livres (aka « des clopinettes », voir la question sur le salaire des auteurs un peu plus bas sur cette page), je n’abandonnerai pas mes élèves.
Quand avez-vous commencé à écrire ?
Anne Ferrier – Je n’ai aucun souvenir d’écriture pendant mon adolescence. Moi, j’étais farouchement lectrice, et jamais il ne me serait venu à l’idée de passer de l’autre côté du miroir. J’ai bien dû gribouiller un ou deux poèmes parfaitement oubliables quand j’avais 6 ou 7 ans, mais aucune passion balbutiante n’est née à cet instant.
Il a fallu attendre l’IUFM (l’école de formation des professeurs, à une autre époque) et un atelier d’écriture où je m’étais inscrite au hasard, surtout pour éviter l’autre atelier proposé ce trimestre-là : informatique…
Je n’avais jamais écrit pour moi, jamais eu particulièrement envie de me lancer.
Et puis, Yves Pinguilly a débarqué, grande barbe blanche de marin et des histoires plein la tête. J’ai écrit pour la première fois lors de cet atelier qu’il a animé, et je n’ai plus jamais cessé.
J’ai découvert, le coeur tout ébouriffé, le plaisir violent de la liberté en bourrasques revigorantes, la toute puissance de la création et les picotements de la vie sous mes doigts, je me suis enfin sentie à ma place, comme jamais.
Ce devait être en l’an 2000, et mon premier album, le premier texte que j’ai envoyé à un éditeur, est paru en 2004. C’était Les chaussettes d’Oskar.
Avez-vous un lieu privilégié pour écrire ?
Anne Ferrier – Sans grande originalité : mon bureau, clair et lumineux. Avant, je pouvais écrire n’importe où, dans les chambres d’hôtel, en voiture (la fonction dictaphone de mon téléphone m’a longtemps été bien utile), chez des amis, en déplacement, au collège, …
Mon ordinateur portable me suivait partout et se pliait sans caprice à toutes les situations.
Et puis… j’ai changé. Mon ordi ne quitte plus mon bureau, et j’aime me retrouver entourée de mes affaires, au coeur de la maison et du vivant, avec un bol de café d’un côté, des cahiers couverts de notes de l’autre, et le ciel, les arbres et la neige par la fenêtre. Une sorte de bulle de calme et de silence au beau milieu de la vie bouillonnante des miens : des portes qui claquent, les enfants qui rient, les chats qui jouent avec le chien, de la musique qui s’échappe d’une chambre, le parfum d’une orange en train de griller devant la cheminée,…
J’aime savoir mon autre vie à portée d’oreille et de coeur, pour écrire.
D’où viennent les idées, l’inspiration, la Muse assise sur l’épaule, toussa toussa
Pour moi, l’inspiration est un mythe. Ecrire un roman, c’est avant tout… du travail. Comme n’importe quel autre métier. Savoir saisir une idée au vol, la mêler avec une autre puis une troisième pour voir si le tissage ne donnerait pas une chouette trame d’histoire, ça se travaille. Jour après jour, pour ne perdre le fil de la broderie. Et parfois, il faut tout découdre, reprendre depuis le début, voire balancer le canevas à la poubelle parce que ça ne fonctionne décidément pas. Ecrire, pour moi, c’est 90% de reprisage, de rafistolage, de mailles à rattraper et de coutures à reprendre.
D’ailleurs (message subliminal pour tous mes élèves qui passeraient par ici…), quand j’envoie un texte à un éditeur, je l’ai déjà repris 10, 15 ou 20 fois. J’ai supprimé des pages entières, ôté des personnages, rajouté des actions. Et bien souvent, l’éditeur suggère d’autres corrections encore.
Parfois, BEAUCOUP d’autres corrections.
Et c’est très bien comme ça : ça rend le texte meilleur. Une histoire se travaille, comme un morceau de bois qu’on sculpte, copeau par copeau. (fin du message subliminal ^^)
La plupart du temps, ce sont des lieux ou des ambiances qui m’inspirent, davantage que des anecdotes grappillées un peu partout autour de moi (même si j’ai toujours l’esprit ouvert, comme un attrape-rêves géant qui garderait dans sa dentelle les faits qui me touchent).
Pour le Complot de l’ombre, c’est le Palais Jacques Cœur, à Bourges, qui m’a plu au-delà des mots. Pour le Poison d’or, la petite ville de Nozeroy et son château disparu. Pour la Meneuse de bêtes, le château de Germolles et sa roseraie (qui finalement n’apparaît que très peu dans le roman : comme quoi, à partir d’une envie de départ, je dérive souvent bien au-delà de ce que j’avais prévu).
Souvent, ces lieux se chargent de mille histoires, et c’est un vrai déchirement de devoir choisir, c’est-à-dire de devoir renoncer à tellement de possibles narratifs ! Pour la Meneuse de bêtes, j’ai dû laisser tomber dans l’oubli la Vieille Alliance entre l’Ecosse et la France, et passer à côté d’une ménestrandie et d’un trafic de reliques. Dans les Enfants Trotter, il restait des tonnes de mystères à exploiter, et j’aurais adoré me pencher sur le manuscrit de Voynich, la carte de Piri Reis, et le monstre du Loch Ness par exemple.
Certaines envies demeurent très longtemps, comme en arrière-plan, dans mon imagination, jusqu’à ce qu’elles trouvent la bonne histoire sur laquelle se greffer : mon prochain roman se déroulera dans un monde post apocalyptique, et ça faisait bien cinq ans que cet univers me trottait dans la tête !
Combien ça gagne, un auteur ?
Anne Ferrier – (sous-entendu : « Aurez-vous un jour la chance de vous payer des vacances aux Maldives avec vos droits d’auteur ? »)
Alors, dissipons immédiatement l’éventuel malentendu : un auteur gagne des clopinettes en droits d’auteur, et par conséquent, la réponse à la question précédente est … Mouhahahahaah…. Non.
A moins de publier un Super Succès de Librairie (catégorie Harry Potter ou Twilight, hein, pas moins !), il y a peu de chance pour que je puisse un jour fouler les plages de sable blanc grâce à mes droits d’auteur.
Un auteur, en gros, ça gagne ça :
Pour rendre les chiffres plus clairs, quand vous achetez un de mes livres (merci à vous, d’ailleurs, lecteurs !), je gagne à la louche 0.50 cts. Autant dire que les Maldives, ce n’est pas pour tout de suite…