Professor BERNHARDI d’Arthur Schnitzler, mis en scène par Thomas Ostermeier : voici donc la première pièce de l’année 2017 au Théâtre National de Bretagne (TNB). Professor Bernhardi, jouée à Rennes du 5 au 7 janvier 2017, est une première en France. Cette pièce, censurée en 1912 à sa création, a été accueillie avec un grand enthousiasme. Thomas Ostermeier a réussi à mettre justement en scène un texte d’une richesse et d’une actualité incroyables.
Professor Bernhardi, c’est avant tout l’histoire d’un incident. Bernhardi est médecin et directeur d’une clinique privée, l’Elisabethinum. Un jour, il empêche un prêtre d’apporter à une jeune mourante l’extrême-onction parce qu’elle se croit guérie et qu’il ne veut pas lui gâcher ses derniers moments de bonheur. Ce geste détermine la suite des événements : certains de ses collègues utilisent ce prétexte pour entraîner sa démission. La situation devient politique et Bernhardi risque la prison. Le premier mérite de Thomas Ostermeier ? La décision de mettre en scène, précisément, ce texte de Schnitzler. Car le Professor Bernhardi de cet Autrichien, grand ami de Freud, possède déjà en lui-même une multitude de dimensions significatives. Le déchaînement contre le professeur révèle, certes, la montée de l’antisémitisme en Autriche – Bernhardi est juif – mais aussi une tendance plus générale, et humaine, à l’intrigue, à l’hypocrisie, au mensonge. Politique, la pièce l’est assurément. Et avec cela, philosophique, éthique, et encore : métaphysique. Schnitzler fait d’un geste le déclenchement d’une farce absurde sur la vérité.
Thomas Ostermeier, par ailleurs, rend hommage à la pièce de Schnitzler. Il cherche, jusque dans la scénographie, à mettre en valeur la dimension textuelle de cette création : sont projetées sur le mur les indications de lieu, en lettres manuscrites, comme si Schnitzler les récrivait devant nous. De façon générale, la mise en scène vise à encadrer et accompagner la puissance du texte. La scène, blanche et épurée au maximum, se compose de deux espaces : au premier plan, les acteurs, généralement dans la clinique ; au deuxième plan, derrière le mur, les coulisses de l’affaire, invisibles au public. Le mur, à chaque transition et dans certains moments d’acmé, accueille des vidéos : soit l’on voit le verso du véritable drame – la mort de la jeune femme – soit l’on saisit, dans le détail, la chute du Professor Bernhardi. Le résultat ? Une mise en scène d’un réalisme totalement immersif, presque documentaire dans sa facture esthétique. La présence des caméras offre l’impression de se retrouver sur le tournage d’un film historique ou lors de la reconstitution d’un événement. Jamais la pièce ne tourne au pathétique : la musique, du reste, suggère simplement que la farce anticipe ce qui viendra, dans l’histoire et l’Histoire, à savoir la tragédie.
Tout tourne autour du Professor Bernhardi. Jörg Hartmann l’incarne à la perfection. Thomas Ostermeier semble ne viser qu’un résultat : l’incarnation totale. D’où ces prises de vue, dans le détail. Face aux attaques, Bernhardi conserve toute son ironie et son stoïcisme. Les discours se succèdent, antisémites, populistes, conservateurs, ou simplement arrivistes. Les hypocrites triomphent. Bernhardi, lui, met à profit le silence et toujours, ce rire quasiment socratique de la vérité. Que signifiait son geste ? Une réaction antichrétienne ? Le rationalisme du scientifique ? La haine d’un juif pour un prêtre ? Non seulement Bernhardi sait que son geste était simplement humain, et indépendant de tout contexte politique et culturel, mais en plus ne doute jamais de la vérité qu’il porte par ce geste. Figure du parrhésiaste, c’est-à-dire de celui qui dit la vérité, Bernhardi se confronte au sens de la justice, celle du Droit – qui le condamne d’abord, pour le gracier ensuite – et celle, plus profonde, de l’homme. Ostermeier, avec talent, fait de cette injustice le lieu d’un autre triomphe : celui d’une justice supérieure. Le tout, tant la direction des acteurs que dans la scénographie, avec une justesse irréprochable.
Professor BERNHARDI est une pièce de théâtre d’Arthur Schnitzler mise en scène par Thomas Ostermeier. Elle est présentée au TNB (Théâtre National de Bretagne) du 5 au 7 janvier 2017.
Dr. Bernhardi: Jörg Hartmann
Dr. Ebenwald: Sebastian Schwarz
Dr. Cyprian: Thomas Bading
Dr. Pflugfelder: Robert Beyer
Dr. Filitz: Konrad Singer
Dr. Tugendvetter: Johannes Flaschberger
Dr. Löwenstein: Lukas Turtur
Dr. Schreimann/Kulka, un jounaliste: David Ruland
Dr. Adler: Eva Meckbach
Dr. Oskar Bernhardi: Damir Avdic
Dr. Wenger/infirmière: Veronika Bachfischer
Hochroitzpointner: Moritz Gottwald
Professor Dr. Flint: Hans-Jochen Wagner
Secrétaire d‘État Dr. Winkler: Christoph Gawenda
Franz Reder, Curé: Laurenz Laufenberg
dramaturgie Florian Borchmeyer costumes Nina Wetzel
scénographie Jan Pappelbaum
Production Schaubühne am Lehniner Platz/Berlin