Depuis quelques jours, un mot d’ordre viral inonde TikTok : Propaganda I’m Not Falling For. Une apparente légèreté masque un rejet ironique des injonctions sociales, des normes culturelles et des objets viraux. Ce que les jeunes nomment aujourd’hui « propagande » ne vient plus d’un État autoritaire, mais d’un flux constant de micro-influences. Une manière ludique mais lucide de résister à l’économie de l’attention.
La révolte douce de la lucidité ironique
La musique d’accompagnement de la tendance est minimaliste. Des listes apparaissent à l’écran, énonçant des exemples de ce que l’utilisateur identifie comme « propagande » : des diktats esthétiques, des objets fétiches de consommation, des clichés genrés, des injonctions de développement personnel. Le ton est sarcastique, mais la revendication est claire : refus d’obtempérer au storytelling social ambiant.
“Propaganda I’m not falling for : se raser les bras, acheter un Labubu, se lever à 5h pour réussir, s’habiller beige pour être ‘clean girl’…”
Ce que disent les commentaires TikTok : cinq signaux faibles
La tendance « Propaganda I’m Not Falling For » a suscité des milliers de réactions. Une lecture attentive des commentaires révèle un phénomène profond, bien au-delà du simple mème. En voici cinq traits saillants :
- Défiance généralisée : Les injonctions à “être soi-même”, “être productif” ou “être beau” sont perçues comme des formes de propagande douce. Un rejet diffus des normes contemporaines d’apparence, de consommation et de réussite.
- Lucidité comme posture : Beaucoup exhibent leur capacité à “voir à travers” le système. Mais cette lucidité devient parfois une performance sociale en soi.
- Soupçon idéologique étendu : Certains vont jusqu’à dénoncer comme propagande des combats légitimes (écologie, féminisme, santé mentale), révélant une méfiance radicale à l’égard de tout discours structurant.
- Ironie ou nihilisme : Le cynisme devient refuge. À force de tout critiquer, certains perdent la capacité à croire ou à agir collectivement.
- Manque d’alternative : Derrière la lucidité, une question revient : “Que faire ?”. La critique est là, mais l’émancipation reste floue. Un besoin de repères alternatifs se fait sentir.
Ces commentaires dessinent le portrait d’une génération hyperconsciente, mais en quête d’issue. Une lucidité piégée dans le cycle même qu’elle dénonce — et qui demande à être réorientée, non vers l’ironie seule, mais vers de véritables outils critiques.
Jouer la conscience critique
Ce phénomène illustre ce que le psychologue Barry Schwartz appelait déjà dans The Paradox of Choice : plus on nous propose de choix, plus on est vulnérable à des logiques d’imitation et d’autosurveillance. Or TikTok n’est pas qu’un espace de distraction ; c’est un théâtre numérique de la conformité… et de sa critique.
Les utilisateurs ne veulent plus seulement participer. Ils veulent montrer qu’ils savent qu’ils participent.
Mais cette lucidité est-elle une forme d’émancipation, ou simplement une nouvelle couche de simulation postmoderne ? Comme l’écrivait Jean Baudrillard : « Il n’y a pas de vraie résistance dans un système où tout est déjà prévu pour absorber la critique. »
TikTok, comme toutes les plateformes, capitalise sur l’engagement. La dénonciation de la propagande devient virale parce qu’elle plaît, intrigue, ou fait rire. Elle est donc elle-même rapidement intégrée dans le flux. C’est le piège postmoderne décrit par Mark Fisher : nous sommes conscients des systèmes, mais incapables de nous en extraire.
Une idéologie sans visage : influence, mimétisme et illusion de choix
Ce que dénonce la tendance, souvent inconsciemment, c’est une nouvelle forme d’idéologie fluide. Elle ne passe plus par des chefs ou des partis, mais par des codes implicites, des tendances et des esthétiques diffusées par les algorithmes. Comme l’écrit la philosophe Byung-Chul Han, « le pouvoir aujourd’hui n’interdit pas : il incite ».
« Sois toi-même » est devenu une injonction paradoxale dans un système où l’identité est façonnée par les retours d’audience.
Top 10 des « propagandes » dénoncées
| Rang | Thème | Description |
|---|---|---|
| 1 | Esthétique “clean girl” | Pousser les filles à un style minimaliste, blanc, lisse, sans défaut visible |
| 2 | Masculinité toxique “alpha male” | Injonction à dominer, séduire, ne pas montrer d’émotion |
| 3 | Produits viraux TikTok | Ex : Labubu, bougies de marque, soins peau de verre |
| 4 | Working Girl & Hustle Culture | Se lever à 5h, “grind”, réussite par burn-out |
| 5 | Maternité parfaite | Pression des mères douces, connectées, créatives, disponibles |
| 6 | SkinnyTok & corps normés | Glorification d’un corps mince au nom de la “santé” |
| 7 | Vie de couple instagrammable | Relations ultra mises en scène pour valider le bonheur |
| 8 | Affirmations toxiques | “Tu attires ce que tu vibres” vs. problèmes structurels |
| 9 | L’amour du café comme identité | “Coffee is a personality” |
| 10 | Spiritualité consumériste | Cristaux, pleine lune, mais sans spiritualité réelle |
« Propaganda I’m Not Falling For » ne révèle pas seulement un rejet des tendances ; il met en lumière une génération qui sait qu’elle est manipulée, mais ne sait plus comment s’en libérer. Cette tension entre lucidité et impuissance, ironie et impasse, constitue peut-être l’une des pathologies les plus aiguës de notre temps connecté. Une nouvelle forme de conscience critique… en boucle.
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