À Pontivy, les Puces des couturières attirent connaisseurs et curieux depuis déjà huit ans. Chaque année, à l’occasion de la Fête de la Bretagne, les passionnés du textile se donnent rendez-vous au Palais des congrès : qui pour exposer, qui pour chiner coiffes, jupons, tabliers, dentelles et autres merveilles héritées des modes vestimentaires d’autrefois…
A l’origine de Puces des couturières, une Pontivyenne, Marie-Hélène Conan-Le Baron, l’association Echanges culturels dont elle est présidente et ses partenaires. L’originalité de cette manifestation culturelle permet de réunir professionnels et amateurs autour d’un même intérêt pour le costume breton et une ambition partagée : la sauvegarde et la promotion de savoir-faire qui auraient disparu sans ces collectionneurs avertis, sans ces petites mains qui aiment à reproduire des gestes séculaires avec patience et le plaisir du travail bien fait.
C’est tout un réseau qui contribue à la réussite de ce dimanche des couturières, laquelle journée s’inscrit dans un programme d’animation varié qui a débuté le 14 mai dernier avec des expositions, des concerts, le traditionnel défilé de cercles celtiques, la prestation d’un groupe de jeunes danseurs qui ira représenter la Bretagne au Mexique cet été.
C’est pour saluer cette convivialité, cette solidarité interassociative, que Jean-Michel Le Boulanger, élu Culture de la Région Bretagne, a fait le déplacement samedi à la rencontre des nombreux bénévoles de la Fête de la Bretagne, rappelant combien cette mobilisation n’allait pas de soi. « Le fait associatif, le territoire, le patrimoine, rien de cela n’existe sans le sens que chacun veut, peut donner à sa propre histoire, à sa façon unique de regarder le monde et son évolution ».
Bel exemple que ces Puces des couturières pour révéler la créativité des habitants, leur sens du faire ensemble. Comme ces Anglaises qui partagent leur passion pour la fibre naturelle et l’artisanat textile au sein de Centre Bretagne Guild, une association qui s’intéresse à toutes les techniques, du filage au tissage en passant par la teinture. Des Bretonnes ont rejoint le groupe qui s’étoffe d’année en année.
L’association organise ses propres événements grand public entre les temps de rencontre entre adhérentes dédiés à l’échange de savoir et à la recherche de qualité dans la production des unes et des autres. Cette exigence porte ses fruits.
Désormais les éleveurs, trop contents de trouver cette association pour valoriser les toisons, doivent se plier à des critères de qualité. Le groupe répond aussi parfois à des demandes de démonstration, mieux vaut s’y prendre à l’avance, car Jill Fitzerald-O’Connor, une styliste anglaise en retraite à Plöerdut qui coordonne le programme annuel, est une vraie pro.
Si cette cheville ouvrière du réseau est convaincue de la nécessité de communiquer et de transmettre des messages sur l’art de travailler les fibres naturelles, elle est encore plus réactive quand l’opportunité d’une mise en relation avec une entreprise locale dont elle ignorait l’existence, pourrait bien faire encore monter d’un cran le niveau de qualité de ce qui pourrait amener à l’émergence d’une filière économique en phase avec notre époque : durable et non-délocalisable.
Mais on peut aussi ne pas être de la partie et trouver son bonheur aux Puces des couturières, tant les rencontres sont riches et pour le moins inattendues parfois.
84 ans, pimpante comme si elle en avait vingt de moins, Denise Vallier est arrivée à l’aube pour s’installer. Profitant du calme relatif qui précède l’arrivée des visiteurs, pendant que tout le monde trimbale chariots, mannequins, cartons, puis déballe, nous prenons le temps de rire et de sympathiser.
Elle me parle de sa passion pour les dentelles, de sa collection de robes de baptême, elle me confie des bribes de son histoire, étonnante. Originaire de la région de Pontivy, Denise a passé toute sa vie au Québec, où elle a commencé à gagner son pain dans la première crêperie de Montréal avant de monter son propre restaurant : La marguerite. « J’étais la seule bretonne dans le personnel, c’est moi qui repassais les coiffes de toutes les serveuses ».
À quelques mètres de son stand, il y a justement l’auteur de deux ouvrages de référence « Costumes de Bretagne » et « Coiffes de Bretagne ». Yann Guesdon m’explique comment lui est venue cette soif de savoir sur des sujets qui ne suscitaient guère d’intérêt, il y a encore quarante ans, quand lui s’est découvert une âme de collectionneur, presque par hasard.
Étudiant, Yann Guesdon habite près d’un des tout premiers dépôts Emmaüs. Il découvre des portants remplis de costumes bretons qui n’intéressent personne. Une fois par mois, tous ces témoignages de différentes époques et modes de vie, ces expressions de codes vestimentaires et sociaux très spécifiques à chaque localité bretonne finissent au feu, dans la cour du dépôt. Sidéré, et même s’il n’a pas le sou, Yann Guesdon commence à acheter des costumes vendus pour trois fois rien et le voilà parti à collectionner, puis à faire des recherches. Mais sa passion pour le textile prend racine un peu avant, chez lui, à Douarnenez.
« Le jour où ma grand-mère a décidé de ne plus mettre la coiffe parce qu’elle n’arrivait tout simplement plus à la fixer, ça m’a vraiment choqué. Je devais avoir 18 ans, je ne pouvais pas imaginer que c’était possible. Je n’avais jamais vu ma grand-mère en cheveux, comme on dit ». Yann Guesdon
Nous sommes dans les années soixante et dix ans avant sa mort en 1964, un breton né au XIXe trouve le temps de laisser une bible aux générations futures. Cofondateur du célèbre mouvement Seiz Breur, René-Yves Creston, artiste passionné d’ethnologie, publie en plusieurs tomes inventaires et méthode pour connaître et comprendre le costume breton. C’est là que le jeune étudiant va puiser ses sources pour sa propre collection d’abord, avant de se lancer à son tour dans le collectage auprès des anciens.
En 2015, Yann Guesdon a publié aux Éditions Coop Breizh un travail d’inventaire sur les coiffes de Bretagne. Son nom est associé à l’exposition du photographe Charles Fréger Bretonnes. Vous avez peut-être vu ces grands portraits de danseuses de cercle celtique aux Champs libres. Ils étaient jusqu’à dimanche, et depuis le 8 mars, au Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle d’Alençon.
Hier, ce n’est pas son livre qu’il est venu vendre, ni son expertise. Il est juste venu avec des pièces de sa collection de coiffes sur le plus beau marché d’échange qu’il connaisse : les Puces des couturières de Pontivy. Du reste si son voisin de stand, le Nantais Michel Gwilherm, n‘a pas raté une seule des huit éditions, Yann Guesdon revient sans faute chaque année, comme beaucoup des exposants. Il m’apprend qu’avoir des antiquaires dans une telle manifestation est un signe incontestable de l’importance de ce salon régional.
Les antiquaires en question, Alain Le Berre, Kerlaz (29) et Joëlle Ravier, Corps-Nuds (35), exposent côte à côte. Ici, pas question de jouer la concurrence ou de faire monter les enchères. Simplement, à égalité, professionnel ou amateur, exposant, chineur, chacun joue le jeu d’une autre forme d’échange, où le savoir et l’attention portée au textile ancien prennent le pas sur l’acte marchand.
Sophie Thomas, couturière spécialisée dans le sur-mesure du 34 au 95, n’a pas sorti de son atelier toutes ces créations, mais son stand déborde pour mettre le beau à la portée de toutes les bourses. Plusieurs fois primée lors de concours de mode conventionnels, formée par un maître tailleur, cette Morbihannaise travaille essentiellement pour les bagads et les cercles.
« Tout le monde doit présenter de la même façon. Pour la Kevrenn Alray (cercle d’Auray), les hommes que j’ai habillés l’an dernier mesuraient 1m98, 2m04 et 1m60. Pas question que le costume ne leur donne pas fière allure. C’est passionnant, très exigeant aussi. Il faut beaucoup de minutie et puis savoir accepter une chose : le prix du produit fini est rarement à la hauteur du nombre d’heures passées ».
Ce n’est pas une autre passionnée spécialisée quant à elle dans la broderie qui la démentira. Patricia Bronsard, installée à St-Thuriau où elle transmet son savoir-faire et développe des rencontres autour des métiers d’art, est de celles, comme Marie-Hélène Le Baron, Jill Fitzgerald-O’Connor, qui ne laissent pas le fil de l’histoire partir à la dérive… Peut-être parce que ces hommes et ces femmes ont un point commun qui n’est pas tant leur amour pour la fibre naturelle ou les cultures traditionnelles, mais bien cette croyance que dans l’équilibre des choses, dans l’équilibre du monde, la beauté sous toutes ses formes peut encore faire la différence.
Les Puces des couturières #8 a eu lieu le 22 mai à Pontivy, Morbihan, dans le cadre de la Fête de la Bretagne 2016