La conférencière, historienne de la sorcellerie et auteure Justine Jouet vient de publier La Jégado, dans les pas d’une empoisonneuse en Bretagne aux éditions Coop Breizh. Elle retrace le parcours de cette Morbihannaise identifiée comme étant la première tueuse en série française au milieu du XIXe siècle.
Depuis son adolescence, Justine Jouet, originaire de la région Centre-Val de Loire, écoute et vibre pour la musique bretonne. Elle danse aussi dans les fest-noz depuis 15 ans. Elle pose ses valises en Bretagne en 2019 et se prend de passion pour la culture, la danse et les histoires et légendes de la région, notamment les histoires de sorcellerie. Elle enquête pendant plusieurs années dans les archives et recueille des témoignages pour retracer en détail la sorcellerie bretonne pour le grand public. Elle base son mémoire de BTS Tourisme sur Naia et son livre Le Mystère Naia qui raconte la vie d’une sorcière à Rochefort-en-Terre dans le Morbihan sort le 10 mai 2023 aux éditions Coop Breizh.
Interpellée par le livre de Peter Meazey en 2013 La Jégado, histoire de la célèbre empoisonneuse, adapté au cinéma en 2017 par Jean Teulé dans Cœur de tonnerre, Justine Jouet se passionne pour la célèbre empoisonneuse : elle écrit puis édite son second ouvrage le 13 septembre 2024 : La Jégado.
Pour écrire La Jégado et ses 244 pages, Justine Jouet prend connaissance des 400 pièces du dossier d’instruction accumulées par le juge d’instruction de l’époque Hippolyte Vannier, en vue du procès, qu’elle retrouve soigneusement numérisées par les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine. Elle rassemble tous les témoignages et reconstitue le parcours complet, crime après crime de la célèbre empoisonneuse. Dans une démarche historique, l’auteure a la volonté d’éclaircir son histoire, sans pour autant excuser ses actes : Hélène Jégado reste une empoisonneuse ! Le livre est une balade dans la vie d’Hélène Jégado, tout en demeurant une véritable enquête.
L’auteure invite le lecteur à marcher avec elle sur les pas d’Hélène Jégado, à suivre méticuleusement son parcours à travers le Morbihan et jusqu’à sa destination finale à Rennes (35)…
L’auteure est aujourd’hui fière et heureuse de participer au rayonnement de l’Histoire bretonne. D’ailleurs, elle emmène toujours un récit breton dans ses conférences ! Récemment Justine Jouet s’est lancée dans l’apprentissage à la fois de la langue bretonne et du kan-ha-diskan (chant et contre-chant), la technique de chant à danser à cappella traditionnelle en breton. Justine Jouet continue aussi ses enquêtes sur les sorcières du XVII siècle et sur leurs connaissances, qu’elles se transmettent de mères en fille en vivant la plupart du temps en recul de la société….
Les faits
Hélènne (Hélène) Jégado voit le jour le 17 juin 1803 à trois heures du matin dans le village de Kerordevin à Plouhinec dans le Morbihan, au sein d’une famille de paysans pauvres. Elle est la fille de Jean Jégado et de Anne née Lescoët, un couple très croyant. Très jeune, elle développe des traumatismes dus aux légendes bretonnes autour du personnage de l’Ankou, un être hideux et effrayant. Grand et squelettique, il est vêtu de noir, tient une faux dans une main et tire de l’autre main la charette de la mort, dans laquelle il entasse les âmes. Délaissée des autres enfants, la jeune Hélène est souvent isolée. Anne Jégado surnomme sa fille : Fleur de tonnerre !
A sept ans, après la mort de sa mère, Hélène Jégado part rejoindre sa tante et devient comme elle domestique au presbythère de Bubry (56). Elle est bonne à tout faire, puis cuisinière. Dès l’adolescence, elle se met à boire, torture les animaux et vole le linge de maison, ce qui lui vaut d’être renvoyée, le plus souvent en raison de son goût trop prononcé pour le vin. Elle change de place fréquemment et sillonne tout le Morbihan. A partir de 1833, ce ne sont pas moins de vingt maisons bourgeoises et presbytères qui l’emploient sur une période de 18 ans, à Séglien, Bubry, Guern, Auray, Ploemeur, Hennebont, Lorient, Port-Louis où elle se prostitue même, également à Pluneret, Pontivy et Locminé. Partout où travaille la Jégado, les gens trépassent, en commençant par le curé de Guern, ses parents, sa nièce et ses deux servantes. Pourtant, jamais aucun soupçon ne pèse sur Hélène la cuisinière, alors qu’elle est souvent la seule survivante ! Les victimes succombent après de violentes douleurs d’estomac et de vomissements. Les décès sont imputés à la maladie, même quand il y a autopsie. La plupart du temps, on met les décès sur le compte du Choléra qui sévit à cette époque et qui présente des symptômes similaires…
Mais en 1851, elle change de département et se fait embaucher dans des familles en Ille-et-Vilaine. Elle se voit employée à Rennes, au service de Maître Théophile Bidard de la Noé, avocat et professeur à la Faculté de droit à Rennes ; il est de surcroît spécialisé dans les affaires criminelles ! Il n’y a que quelques semaines que la cuisinière Hélène Jégado est à son service, quand sa domestique Rose Texier et sa lingère Rosalie Sarrazin tombent malades et décèdent l’une après l’autre en très peu d’intervalle ! Cela éveille sérieusement les doutes de l’avocat, bien qu’Hélène Jégado ait été au chevet des deux malades jusqu’à leur mort, comme elle a l’habitude de le faire avec toutes ses victimes. Il fait pratiquer des autopsies des corps et découvre l’empoisonnement à l’arsenic !
La Jégado est arrêtée le 2 juillet 1951. A l’arrivée des gendarmes, elle crie Je suis innocente. L’enquête fait vite le lien avec la série de morts violentes, ayant eu lieu dans le Morbihan. La cour d’assises d’Ille-et-Vilaine ouvre le procès d’Hélène Jégado le 6 décembre 1851. Elle est accusée de vols domestiques, de 60 empoisonnements et de 37 tentatives d’empoisonnement. Sa méthode était simple : elle ajoutait dans la préparation de ses gâteaux ou de ses soupes, de l’arsenic, qui servait de mort-aux-rats à l’époque et que l’on trouvait dans tous les foyers. Son procès écarte cependant 21 empoisonnements et cinq tentatives pour prescription légale (qui est de dix ans à ce moment-là). Elle est condamnée à mort le 14 décembre pour avoir semé la mort partout, d’hommes, de femmes et d’enfants, de prêtres et de religieuses, sans connaître le mobile de ses crimes. Tout au long du procès, elle refuse d’avouer. Son avocat plaide la folie ! Elle ne bénéficie ni de circonstances atténuantes, ni de la grâce de Napoléon III. Cependant, la veille de son exécution, restée dévote, elle confie son parcours criminel à l’abbé de la prison, le Père Tiercelin. Elle lui demande de faire des aveux publics après sa mort. Hélène Jégado, 49 ans, est guillotinée le 26 février 1852 à sept heures, place du champ de Mars (aujourd’hui Esplanade Charles De Gaulle) à Rennes. Son corps est jeté dans la fosse commune du cimetière nord de la ville. Son cerveau est autopsié à la Faculté des Sciences de Rennes, mais rien de raisonnable ne donne une quelconque explication à ses actes. Aujourd’hui encore, ses crimes restent un grand mystère : seules ses croyances envers l’Ankou demeurent une hypothèse pour avoir semé la mort sans distinction, comme lui. Elle serait devenue l’Ankou pour surmonter ses peurs …