Que manger pour ne pas faire crever la planète ? Voilà la recette

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Parfois, il suffit d’une fourchette pour faire trembler la Terre. Publié le 2 octobre 2025, le nouveau rapport EAT-Lancet Commission on Healthy, Sustainable and Just Food Systems remet le couvert.

Six ans après un premier menu mondial (2019), la crème des chercheurs revient à table avec des propositions plus corsées : un régime pour nourrir dix milliards d’humains sans transformer la planète en buffet d’extinction. Entre science, morale et gastronomie planétaire, voyage dans une cuisine où les chiffres piquent et les oignons font pleurer Gaïa.

Le grand banquet des limites planétaires

Derrière le nom un peu sec de EAT-Lancet se cache un casting de rêve pour amateur de transitions alimentaires : Johan Rockström, le chef du concept des limites planétaires ; Shakuntala Thilsted, prix Nobel alternatif pour son travail sur la nutrition aquatique ; Walter Willett, pape de l’épidémiologie nutritionnelle à Harvard ; Line Gordon et Mario Herrero, spécialistes des systèmes agroécologiques mondiaux. Ensemble, ces quarante commissaires et une centaine de chercheurs ont mijoté une nouvelle planetary health diet – diète de santé planétaire – avec un mot d’ordre : moins de steak, plus de pois chiches.

Car le diagnostic est sans appel : nos systèmes alimentaires sont désormais le premier moteur des transgressions écologiques planétaires. En clair, ce que nous mangeons dévore la planète. Déforestation, pollution chimique, dérèglement des cycles de l’azote et du phosphore, gaspillage d’eau douce, 30 % des gaz à effet de serre mondiaux : la planète paie l’addition salée de nos assiettes.

Un menu à la carte du climat

Le rapport 2025 met à jour la recette de 2019 : une portion hebdomadaire de viande rouge, deux de viande blanche, peu de sucre, peu de sel, adieu graisses saturées, bienvenue aux fruits, légumes, légumineuses et noix. On reste proche du régime méditerranéen, mais l’idée n’est pas d’uniformiser le monde autour du quinoa bio et du tofu : les recommandations se veulent adaptables aux cultures locales et aux traditions culinaires. Que l’on soit breton, bangladais ou bolivien, il y a mille façons d’être durable sans perdre le goût.

L’enjeu n’est pas seulement de préserver la planète : ce régime permettrait d’éviter jusqu’à 15 millions de morts prématurées par an, soit 27 % de moins qu’aujourd’hui. L’alimentation comme médecine universelle ? C’est un peu l’ambition du rapport, qui rappelle qu’à l’heure où l’obésité et la malnutrition cohabitent dans les mêmes pays, bien manger devient un acte politique autant que physiologique.

La table des inégalités

Mais attention, la fourchette du monde est à géométrie variable. Le rapport le martèle : 30 % des plus riches génèrent à eux seuls plus de 70 % de l’empreinte alimentaire mondiale. Pendant que certains réduisent leur consommation de bœuf par conviction, d’autres n’ont jamais pu en goûter. C’est tout le paradoxe de l’« alimentation juste » : comment transformer les systèmes alimentaires sans creuser davantage les fossés sociaux ?

Shakuntala Thilsted le rappelle avec diplomatie : « La transformation que nous appelons doit aller au-delà de la production d’un nombre suffisant de calories : elle doit garantir les droits à l’alimentation, à un travail équitable et à un environnement sain. » Autrement dit, il ne suffit pas de planter plus de lentilles ; encore faut-il s’assurer que les agriculteurs puissent les vendre, les cuisiniers les cuisiner, et les enfants les manger sans tomber malades.

Cuisine globale, coûts locaux

Changer la manière dont sept à dix milliards d’humains se nourrissent n’est pas une mince affaire. Le prix du virage ? Entre 200 et 500 milliards de dollars par an. Une somme astronomique, mais les chercheurs jurent que le rendement serait cinq à dix fois supérieur : jusqu’à 5 000 milliards de bénéfices annuels grâce aux économies de santé, à la restauration des écosystèmes et à la résilience climatique. On connaît des régimes plus ruineux.

Ce changement suppose aussi de repenser les filières : les scénarios du rapport prévoient une baisse de 33 % du cheptel de ruminants et une hausse de 63 % des cultures végétales. Les paysages agricoles du futur pourraient ressembler à des patchworks de céréales rustiques, de vergers et de fermes agroécologiques. Fin du steak-frite, place au houmous solaire.

Des carottes pour les COP

Les auteurs savent pourtant qu’entre science et politique, le menu reste difficile à digérer. La Commission espère que ses conclusions seront entendues lors de la COP30 au Brésil – pays symbole de la tension entre avancées sociales et empire de l’agrobusiness. Car malgré les discours, l’agriculture reste la grande absente des négociations climatiques, souvent reléguée à la fin du buffet diplomatique.

Mais Rockström, le Suédois stoïque, ne désespère pas. Pour lui, la réforme alimentaire n’est pas seulement une question d’écologie : c’est une assurance-vie pour l’humanité. La fourchette devient instrument géopolitique. En choisissant ce que nous mettons dans nos assiettes, nous décidons du climat, de la santé, de la paix sociale et même du futur de la biodiversité.

Et nous, que met-on dans notre assiette ?

On peut sourire devant tant de sérieux : un rapport de 500 pages pour nous dire de manger plus de légumes ! Pourtant, la portée de ce texte va bien au-delà de la diététique. C’est une tentative de redéfinir le contrat social par la nourriture : relier la santé humaine et la santé planétaire, la justice sociale et le plaisir de manger.

Alors, oui, les plats de grand-mère sont un peu remis en cause, et le barbecue du dimanche risque de sentir le soja fermenté. Mais si la planète retrouve l’appétit de vivre, on pourra toujours arroser ça d’un bon verre de vin — rouge, bio, et raisonnable, comme le recommande The Lancet.

Repères

  • EAT-Lancet Commission 2025 : 40 experts internationaux, 13 équipes de modélisation, publication dans The Lancet, 2 octobre 2025.
  • Objectif : définir un régime universel compatible avec la santé humaine et les limites écologiques.
  • Impact potentiel : –15 millions de morts prématurées/an, –33 % d’élevage de ruminants, +63 % de cultures végétales.
  • Coût estimé : 200 à 500 milliards $/an, pour 5 000 milliards $ de bénéfices.
  • Prochain rendez-vous : COP30, Brésil, novembre 2025.
Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs parisiens, telaviviens et new-yorkais, gaulliste d'extrême-gauche christo-païen tendance interplanétaire, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité une danse alambiquée et surnaturelle depuis son expulsion du ventre maternel sur une plage de Californie lors d'une free party. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll dodécaphoniste, la guimauve à la vodka, les grands fauves amoureux et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les romans, films, musiques et danses qu'il aime... ou pas.