Quai des bulles 2025. Rencontre avec Frédéric Pillot, illustrateur du dernier des Mohicans

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Le Dernier des Mohicans, par l’auteur Thibault Vermot, illustré par Frédéric Pillot, éditions Sarbacane, 2025

Avec ce tome de la collection Les Grands Classiques Illustrés, Frédéric Pillot au dessin et Thibault Vermot à l’adaptation écrite, rendent un magnifique hommage à un récit d’aventure incontournable. Présent à Quai des Bulles de Saint Malo, l’occasion était trop belle de rencontrer un illustrateur majeur de la littérature pour enfants et ados. Mais pas que. Gentillesse, sourire et disponibilité étaient au rendez-vous.

C’était il y a quatre ans. Même lieu, mêmes jours. Dans les grandes salles du Palais du Large lors du festival Quai des Bulles à Saint Malo, des milliers de visiteurs se pressent devant des cadres accrochés face à la mer. Ils viennent et reviennent. S’éloignent, s’approchent. Parents et enfants ont du mal à quitter des yeux ce que l’on peut qualifier de tableaux. C’est un pirate qui est la grande star : il s’appelle Balbuzar, raconté par Gérard Moncomble, dessiné par Frédéric Pillot. C’est un coup de tonnerre dans la cité malouine. Le samedi, en rupture de stock, des ouvrages supplémentaires arrivent le matin en catastrophe de Paris. À midi, plus aucun n’est disponible à la dédicace. « Cela m’a permis de me balader le dimanche », déclare aujourd’hui avec un large sourire Frédéric Pillot. L’illustrateur quitte avec cette exposition, l’univers restrictif de la littérature jeunesse pour un plus large public séduit par la beauté exceptionnelle de ces planches.

Depuis, il a continué son chemin avec son entrée notamment dans une superbe collection créée par les éditions Sarbacane qui rend hommage aux grands classiques de la littérature en les illustrant. Il avait ainsi mis des images sur le roman de Jules Verne Deux ans de vacances (voir chronique). Expérience réussie qui en appelle rapidement une seconde avec la parution ce mois-ci de l’adaptation du roman de Fenimore Cooper, Le Dernier des Mohicans, vaste épopée qui raconte l’expédition dans le nord-est américain d’un jeune officier anglais escortant deux soeurs vers la garnison de leur père et devant déjouer les pièges des Iroquois, indiens alliés des français dans la guerre de conquête du continent. Récit d’aventure total, mêlant réalité historique et pure fiction, ce texte revisité et adapté, ne pouvait que séduire Frédéric Pillot, qui nous transmet ici son plaisir de dessiner et peindre les indiens de son enfance. Disponible, souriant, enjoué, il nous raconte son bonheur de créateur.

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Frédéric Pillot en 2023 au Salon Lire en Poche

Unidivers – Saint Malo, quatre ans après votre exposition remarquée, cela doit rappeler de bons souvenirs?

Frédéric Pillot – Ah oui la fameuse exposition ! C’est un excellent souvenir. La scénographie était extraordinaire. Le cœur de l’expo était Balbuzar avec tous ces personnages maritimes en ayant en fond les baies vitrées donnant sur la mer… C’était le lieu idéal pour exposer ce genre d’images. On m’en parle encore. Hier en dédicaces une personne sur trois évoquait cette expo. J’étais alors classé plutôt dans l’univers Jeunesse et beaucoup de personnes m’on découvert à cette occasion. Je ressens pourtant toujours une petite imposture à avoir exposer là, car je ne fais pas de la Bande dessinée. J’avais un peu l’impression de prendre la place de véritables dessinateurs de BD, mais c’est vrai que maintenant je suis invité dans de nombreux salons. Et cela fait plaisir !

U. – L’exposition a eu du succès certainement aussi en révélant la différence entre une planche et une page imprimée. Vous avez un dessin fait de détails, d’extrême précision, que seul un original restitue.

Frédéric Pillot – C’est vrai que l’impression, même la meilleure, gomme la matière, les repentirs. Voir une oeuvre en vrai procure un plaisir inégalé. Quel bonheur d’avoir accès aux manuscrits des plus grands écrivains, de voir leur travail, leurs hésitations. Les ratures, disent beaucoup. Alors c’est vrai que des peintures, des planches diront toujours plus que des photos ou des reproductions.

U. – Il y a un terme qui revient souvent dans les critiques quant à votre dessin, c’est le terme de « sophistication ».

Frédéric Pillot – Sophistication ? Non, ce n’est pas un terme qui m’a traversé. C’est vrai que j’aime quand un dessin fonctionne de loin, mais aussi de près. J’aime bien quand ça foisonne. J’aime bien passer du temps sur les images, car je me souviens lorsque j’étais enfant le plaisir que j’avais à regarder pendant des heures des dessins et à me perdre dans les détails jusqu’à la troisième ou quatrième lecture. Aujourd’hui devenu adulte, je cherche à retrouver ce plaisir là et à le partager.

U. – Deux lectures possibles, de loin et de près, cela vous guide dans votre dessin ?

Frédéric Pillot – J’aime quand on est à trente centimètres d’un tableau et que l’on dise : « je ne comprends pas ». Puis quand on se place à deux mètres et que l’on dise toujours : « je ne comprends pas ». Et puis quand on se place à dix mètres, et qu’enfin « je comprends tout ». C’est formidable quand cela fonctionne dans les deux sens, de près et de loin. Offrir de multiples lectures de l’oeuvre selon son éloignement, c’est magique. Je ne sais pas si il y a un truc pathologique là dedans mais je suis depuis toujours attaché aux détails. J’essaie de soigner le cadrage, la composition et de bien choisir aussi le moment que je vais figer.

Deux ans de vacances Frédéric Pillot Jules Verne
Deux ans de vacances de Jules Verne, illustré par Frédéric Pillot, éditions Sarbacane, 2023.

U. – Vous êtes donc l’anti ligne claire ?

Frédéric Pillot – Carrément ! Mais je le répète, je ne fais pas de BD. Réaliser une BD avec mon type d’images serait indigeste, elle me tomberait des mains. La qualité d’une BD se juge beaucoup au narratif, à la transition entre les cases, au sens de la lecture. Si on passe trois plombes par cases, la BD perd de son sens. Je suis dans l’image, pas dans la transition, pas dans l’espace blanc entre deux cases. Dans mes livres, une image accompagne le temps de lecture. Elle ne raconte pas.

U. – Cela explique que vous faites des œuvres à part entière qui peuvent se regarder accrochées à des cimaises.

Frédéric Pillot – C’est vrai qu’une fois accrochées au mur on les regarde comme des tableaux. Elles ont une valeur, une indépendance et ne sont pas nécessaires à la fluidité d’un récit, mais pour autant elles s’inscrivent quand même dans un texte dont on peut extraire une partie. J’avais pourtant commencé ma carrière dans la BD. J’ai réalisé des strips pour la presse, pour des magazines, deux ou trois albums Bd à la sortie de l’école. Mais bon. On est toujours en apprentissage dans notre métier.

U. – Ne pas maîtriser le narratif, cela ne vous frustre pas ? Nicolas Barral nous avait confié combien il avait eu envie de ne plus être au service d’un scénariste et de voler de ses propres ailes.

Frédéric Pillot – Je suis illustrateur au service d’un texte qui n’est pas le mien en effet. Aucune frustration. Je me sens extrêmement libre à l’intérieur de cadres nombreux qui de toute manière nous sont imposés, comme le format de la planche, le texte, le format du bouquin. Parfois avec Gérard Moncomble, Daniel Picouly, par exemple, je leur transmets des idées, leur suggère des éléments de récit. J’ai bien entendu des envies d’univers, d’histoires. Il m’arrive alors de leur demander d’écrire une histoire que je leur avais racontée. Je dois avoir un vieux complexe qui traine de mes bulles en dictée ! C’est vrai qu’avec Jules Verne, c’est plus compliqué de dialoguer (rires). Il est moins disponible !

U. – Ai-je raison de dire que vos univers, y compris narratifs, tournent souvent autour de la forêt et de la mer ?

Frédéric Pillot – C’est un peu restrictif. Il y a des fois des prairies, non ? C’est vrai que je reste attaché à la représentation de la nature qui est pour moi un vrai personnage. Ce n’est pas juste un décor en fond pour boucher des blancs. J’ai le même plaisir à dessiner un arbre qu’un indien ou un pirate. La mer c’est les vacances, le rêve, l’exotisme pour moi qui suis du Nord Est. La mer, c’est le luxe par rapport à la forêt qui est mon quotidien. Je n’ai pas le mal de forêt ! Mais le mal de mer … (rires).

U. – Souvent dans vos dessins, il faut aller chercher les personnages à l’intérieur d’une nature qui est imposante.

Frédéric Pillot – Tout à fait, mais pour les deux albums de la collection de Sarbacane, Deux ans de Vacances et Le dernier des Mohicans, ce sont deux histoires où la nature est vraiment actrice. C’est elle qui provoque les choses, qui dirige les récits. Il est donc nécessaire par rapport à l’histoire de la rendre essentielle.

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Le Dernier des Mohicans, par l’auteur Thibault Vermot, illustré par Frédéric Pillot, éditions Sarbacane, 2025

U.– Cet album, Le dernier des Mohicans, comment est il né ?

Frédéric Pillot – Sarbacane qui est venue dans mon atelier, j’en étais très flatté, m’a proposé le texte de Deux ans de Vacances de Jules Verne. J’ai immédiatement accepté car il s’agit d’une magnifique collection, qui pèse son poids! Mais qui est vraiment superbe. Cela s’est très bien passé. Aussi au moment de faire le second, c’est effectivement moi qui ai proposé cette histoire de James Fenimore Cooper. En termes d’images c’est le texte qui me parlait le plus.

U. – Vous avez travaillé avec Thibault Vermot pour le texte. Il fallait le retraduire, mais aussi le retravailler ?

Frédéric Pillot – C’est un texte imposant écrit en anglais en 1826. Thibault a d’abord traduit le texte, ce qui n’est pas rien, puis l’a adapté en termes de volume notamment. Des passages ne sont pas indispensables au récit, d’autres sont un peu loin de la jeunesse et puis des aspects de l’histoire sont lus différemment aujourd’hui.

U. – Une relecture historique contemporaine par rapport au racisme, au génocide ?

Frédéric Pillot – Fenimore Cooper avait un peu d’avance par rapport aux génocides, à l’écrasement et aux disparitions des cultures amérindiennes. Le texte fait écho à de nombreuses problématiques actuelles. On ne parle plus de « sauvages » par exemple, mais de « natifs », un terme plus juste sans être dans la cancel culture. C’est toujours intéressant de voir comment on pensait à une époque. Cela permet de voir le chemin parcouru dans nos pensées. C’est comme lorsque l’on fait une randonnée et que l’on voit le parking en bas de la vallée : le sommet est encore loin mais en regardant le chemin parcouru on se dit c’est possible. Changer totalement les textes, éliminer le racisme, la misogynie, toutes ses pensées d’arrière monde c’est supprimer ce chemin parcouru. Il faut toujours recontextualiser. L’auteur avait une sensibilité précoce. Quelque part, il était en avance en 1826. Aujourd’hui, il est en retard ! Mais pour son époque ce devait être un gars bien.

U. – Mais outre le texte, des images ont du vous attirer pour que vous le choisissiez ?

Frédéric Pillot – Bien entendu, outre l’omniprésence de la nature, j’ai eu une grande envie de dessiner des indiens. Ce sont mes souvenirs d’enfant. Quand je regardais des westerns j’attendais les indiens. J’attendais parfois jusqu’a la fin du film et s’il n’y avait pas d’indien, c’était un western raté ! Graphiquement, dessiner les indiens, c’est un truc de dingue, et il y a leur philosophie propre qui est de vivre dans une forme d’harmonie avec la nature. Leur conception animiste du monde fait du bien à l’âme. Les anglais avec leur uniforme, leur perruque poudrée, sont déjà très loin de la nature. Ils sont dans un autre rapport au monde qui nous a amené jusqu’à la situation catastrophique d’aujourd’hui.

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Le Dernier des Mohicans, par l’auteur Thibault Vermot, illustré par Frédéric Pillot, éditions Sarbacane, 2025

U. – Est-ce pour cette raison que vous représentez souvent les anglais de manière ridicule, avec des petites jambes notamment ?

Frédéric Pillot – Je ne dirais pas ridicule. Il y a quand même un officier qui a une certaine allure, il fait partie, c’est vrai, des « gentils ». Il ne faut pas oublier que c’est un grand roman d’aventure avec de l’héroïsme, de la trahison, de la perfidie. Quand on dessine un personnage on utilise donc des archétypes avec des traits qui leur sont propres. Le Mohican par exemple doit nous toucher, son sort doit nous émouvoir. Il faut donc que l’on ressente cela en le dessinant. Je dois par mon trait transmettre sa noblesse, sa beauté.

U. – Comment choisissez-vous vos scènes à dessiner ?

Frédéric Pillot – Je rentre dans une collection avec son format, son chapitrage, son rythme, je dois donc coller à ce cadre, équilibrer texte et images. Par exemple il doit y avoir au moins une belle image, pleine page par chapitre, des doubles pages de manière régulière aussi. Il faut d’abord un rythme et ensuite des moments du texte qui me parlent.

U. – Des images noir et blanc vous permettent aussi de rythmer la lecture.

Frédéric Pillot – Tout à fait. Elles accompagnent le récit du point de vue narratif. Elles sont utiles même si elles ne méritent pas une grande double page. On essaie d’éviter une grande double page de texte sans images.

U. – Puis-je vous dire que ce sont des livres qui peuvent être appréciés par des enfants comme par des adultes ?

Frédéric Pillot – C’est un beau compliment. Quand je dessine, je n’ai pas de cible comme on dit aujourd’hui. C’est le texte qui me guide. Je veux être à son service. Uniquement à son service. Le reste n’est utile que pour classer l’ouvrage dans tel outil rayon de librairie.

U. – Dernière question traditionnelle mais incontournable : un troisième ouvrage dans cette collection en vue ?

Frédéric Pillot – J’ai juste un gros, gros ouvrage sur le métier. Ma priorité c’est de le terminer. Mais si Sarbacane, avec qui j’ai plaisir à travailler veut encore de moi, pourquoi pas ? C’est un beau support et une belle équipe de travail.

U. – Je vous remercie Frédéric Pillot.

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Propos recueillis lors de l’édition 2025 Festival Quai des Bulles de St Malo.

Le Dernier des Mohicans d’après James Fenimore Cooper. Texte et traduction de Thibault Vermot. Illustration de Fred Pillot. Editions Sarbacane. Format: 26 X 37,2 cm. 168 pages. 27,90€

Les planches originales sont en vente à la galerie Maeghen.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.