Dans les escaliers de la Bibliothèque des Champs Libres, la Rennaise Lise Gaudaire invite, jusqu’au 25 janvier 2026, à une exploration sensible de l’île de Majorque. Bout de terre espagnol touristique et agricole, son paysage se détériore, impacté par l’économie mondialisée.
Avec la série Île, Lise Gaudaire poursuit ses réflexions initiées avec la série Oasis, présentée aux Champs Libres de Rennes en 2022. Dans cette nouvelle aventure photographique, on retrouve la photographe à Majorque, la plus grande des îles Baléares en mer Méditerranée, au large de Valence et de Barcelone.

Sur les terres d’une île agricole et touristique
La Rennaise remonte ici le fil de l’eau pour explorer le cœur de l’île de Majorque et ses problématiques environnementales. Ses réflexions à ce sujet ont émergé pendant Oasis, alors qu’elle se trouvait dans une petite communauté de communes en Andalousie où l’avocat et la mangue étaient cultivés à grande échelle : « Dans cette zone, l’eau disparaît peu à peu, mais ils ne s’en inquiétaient pas. Pour eux, la Méditerranée est une source dans laquelle ils peuvent puiser », raconte-t-elle. Sous-entendu : il suffit de se servir et de dessaler l’eau… « Au cours de mes recherches, je me suis rendue compte qu’il existait déjà des usines de dessalement à Majorque. »
Intéressée par la signification des mots, elle a souhaité comprendre ce qui se cache derrière l’imaginaire du mot « île » (île-paradis, île-vacances) : elle s’est interrogée à ce que signifiait vivre sur une île pour les insulaires. Pour cela, elle est partie faire du WWOOFing (pratique qui offre l’opportunité de voyager tout en aidant dans des exploitations agricoles biologiques) dans la ferme agricole biologique de Joan et Petra, un couple d’agriculteurs d’une soixantaine d’années. « Je leur avais simplement dit que j’étais fille d’anciens agriculteurs », confie-t-elle. Ce n’est qu’à son arrivée qu’elle leur explique la raison de sa venue. D’abord taiseux, le couple majorquin s’est peu à peu ouvert.
La photographe est restée une première fois trois semaines, avant de retourner chez eux à deux reprises. Elle a séjourné six mois à Majorque au total. « Majorque compte un peu moins d’un million d’habitants, mais tout le monde connaissait Joan et Petra. Ils sont considérés comme les sages de l’île », dit-elle. « Ce sont des pionniers de l’agriculture biologique à Majorque. »
« C’était toute une quête, un processus de rencontres et de discussions. »

Contemplation mélancolique d’une poésie visuelle
Lise Gaudaire s’intéresse au rapport entre les êtres humains et les paysages, mais, comme dans sa précédente série, leur présence est invisible. On ne voit que leurs traces : des habitations derrière un paysage endormi, une bouée de navigation qui flotte, etc. Île traite de l’agriculture, de l’eau et du tourisme sans montrer ni les uns ni les autres. « Je m’attarde sur les résultats et les choix. » Elle s’éloigne de la dimension documentaire et propose une esthétique sensible et plastique. « Depuis Oasis, je m’autorise à montrer mon regard, j’ose parler de mes peurs et questionnements. Avant, je me cachais derrière les rencontres que je faisais. »
Les sensations éprouvées et les émotions ressenties composent une poésie visuelle aux heures bleues : cette lumière particulière entre le jour et la nuit, celle qu’offre le ciel quand le jour laisse place à l’obscurité. Mais aussi la couleur de la mélancolie… Quand la nuit tombe, la lumière s’éteint : la photographe s’appuie sur ce à quoi nous renvoie intérieurement la tombée de la nuit — le mystère, la peur, l’inconnu parfois aussi — pour construire un récit photographique au message écologique.

Une ambivalence émane de la série, entre douceur du visuel et dureté du propos, entre paradis idyllique et anomalies environnementales : des algues qui meurent ou des cactus qui portent leurs fruits en hiver. « La population est consciente qu’elle vit grâce à son tourisme, mais elle sait aussi qu’il impacte les paysages. Elle a peur pour l’avenir de l’île et sa confiscation par le tourisme de masse », exprime-t-elle. Lise Gaudaire capture des environs qui se dégradent, des ressources qui s’épuisent. Elle révèle à la fois la beauté d’un lieu et la gravité d’un contexte. « Je pensais que l’île retrouvait son calme en hiver, mais il y a une pollution sonore très forte, car on construit partout pour accueillir plus de tourisme », informe-t-elle.
Au milieu de ces paysages, seuls deux portraits cohabitent, ceux de Joan et Petra. Sans cadre, en noir et blanc, ils représentent une forme de fragilité et prolongent, par leur scénographie, le discours de la photographe.

L’écriture, pensées poétiques d’un paysage
Les photographies dialoguent avec des textes que la photographe a écrits pendant la durée de son projet. À partir de ses lectures et de ses observations, ses mots créent des pensées poétiques qui offrent un autre niveau de lecture.
La Rennaise prolonge son analyse visuelle par un apport textuel. « Le texte a toujours fait partie de mon travail, mais je ne le donne à lire que depuis Oasis », confie Lise Gaudaire. « Pendant le confinement de 2020, j’ai écrit et photographié tous les jours et l’un de mes textes a été acheté par le Musée de Bretagne. C’est à partir de ce moment que j’ai osé faire lire et que je me suis sentie plus légitime. »

La série Île prolonge Oasis à la fois dans la forme et dans le fond, mais aussi dans la démarche artistique de Lise Gaudaire. Sa rencontre avec l’Espagne marque un tournant, une émancipation plastique. Elle laisse percevoir une quête visuelle et narrative prête à explorer d’autres horizons. « Avec l’insularité, j’ai l’impression d’avoir mis le doigt sur un vaste sujet et j’aimerais poursuivre, peut-être sur une île bretonne. »
Infos pratiques :
Exposition Île de Lise Gaudaire, du 14/10/2025 au 25/01/2026. Gratuit
Bibliothèque des Champs Libres, 10 Cours des Alliés, 35000 Rennes
Horaires d’ouverture :
Lundi et jours fériés : fermé
Du mardi au vendredi : de 12 h à 19 h
Samedi et dimanche : de 14 h à 19 h
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