DE GANEZ À MORGASM, LES MULTIPLES ALIAS ET LABELS D’UN PRODUCTEUR RENNAIS

Enjoy!, The House of Love, Morgasm, Ganez. Des noms que les amateurs de musiques électroniques auront croisés dans les bacs des disquaires ou sur les réseaux sociaux et les plateformes d’écoute en ligne. L’œuvre de MORGAN P., DJ et producteur, qu’on retrouve tenant son stand de disques sur de nombreux événements rennais. Avant sa participation au Spring Rec #4 le samedi 27 et dimanche 28 avril 2019, Unidivers l’a rencontré pour découvrir avec lui sa carrière d’une vingtaine d’années en tant que producteur et créateur de labels.

Morgasm Ganez
MORGAN P. sous son alias Hidden Paradise au Concert Against Cancer (Rennes) le 23 novembre 2018. Crédit : Axel Ftne

UNIDIVERS —Depuis au moins 1998, la création de labels a rythmé votre carrière de producteur de musiques électroniques. Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec les musiques électroniques et de vos débuts dans la musique ?

MORGAN P. —Je suis tombé très jeune dans les musiques électroniques, grâce à la culture de l’époque, la radio, les courants musicaux, et aussi grâce à mon environnement. Avant 2000, il y avait une scène très active dans le coin, Rennes était un poumon de la musique électronique ! Un de mes cousins a été parmi les premiers DJs électro de l’Ubu, sous le nom de Kenobi. Quand je dis électro, je parle de la culture techno, qui regroupe la house et la techno, mais aussi la trance, le breakbeat, la jungle, le hardcore, des styles qui se mélangeaient beaucoup à l’époque. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’ils sont plus compartimentés. J’ai commencé à mixer un peu de tout ça. Il n’y avait pas encore grand-chose dans les magasins de disques, on prenait ce qu’il y avait dans le bac électronique. Certains disques portaient le sticker 3615 Rave.

3615 Rave
Mis en place dans les années 1990 par un média sympathisant de la rave, Libération, l’indicateur 3615 Rave permettait d’obtenir le numéro infoline conduisant au point de rendez-vous pour trouver les soirées.

 

Kenobi a bossé avec Jean-Louis Brossard pendant longtemps puisqu’il était co-organisateur des raves aux Trans Musicales, puis des premières soirées Planète au Parc des expositions en 1995 et 1996. Attends, je dois avoir un fly.

 

Trans Musicales 1996
Trans Musicales 1996, soirée Planète au Parc des expositions de Saint-Jacques-de-la-Lande.

Ouvre-le, c’est là qu’est la claque !

Trans Musicales 1996,
Pour la deuxième édition où les Trans Musicales investissent le Parc des expositions, le mythique festival rennais justifie le mythe en proposant une programmation alléchante parmi laquelle des noms résonnent encore aujourd’hui, Daft Punk, Carl Cox, Dimitri From Paris, DJ Sneak…

UNIDIVERS —Quand et comment avez-vous commencé à mixer et à produire ?

MORGAN P. —Très tôt. Je mixais déjà dans des petites soirées vers 15 ans. Puis, on a commencé à organiser des soirées avec le BPC sound system et Atao.k. On vendait des mix-cassettes pour financer les soirées. On a fait le tour de l’agglomération rennaise et de ses environs. À 16 ans, comme j’allais régulièrement en Angleterre ou à Jersey où il y avait plus de disquaires, j’avais déjà deux bacs de vinyles, presque 300 disques. En 1996, à mes 18 ans, je mixais dans tous les clubs et bars rennais, à L’Espace, au Stanley, à La Place, La Contrescarpe, Le Carmes rue Saint-Georges, où avaient joué les Daft Punk en 1995, dans les caves, ou encore Laurent Garnier, qu’on avait vu débarquer en salopette, les années 1990 quoi !

Mix Cassettes Ganez
Mix Cassettes à l’ancienne, signées Ganez pour la plupart.

Avec les premiers samplers*, on a commencé à s’amuser. Au lycée, j’avais fait un premier live sur ordinateur. Ensuite je suis passé aux machines. Vers le milieu des années 1990, les machines des années 1980 étaient encore assez accessibles. C’était encore une phase de production assez active dans le monde, et on pouvait en acheter à pas chères. J’ai commencé par des synthés, des boîtes à rythmes, pas mal de produits Roland. J’ai vite compris que la base dans la musique, c’est le traitement du son, donc j’ai investi dans des compresseurs et des limiteurs.

*N.D.L.R., échantillonneur, instrument qui peut enregistrer des échantillons sonores, et les reproduire en leur appliquant des traitements

Studio Morgasm Ganez
Home studio actuel de MORGAN P..

Mes premiers morceaux doivent dater de 1994. On en faisait avec mon cousin MajiPoor, même s’ils n’ont jamais été sortis. Et les bandes de l’époques se perdaient facilement.

Mes premiers morceaux pressés sur vinyles datent de 1998, une série de quatre disques intitulée G Boot. Des bootlegs* de morceaux house des années 1980 ou disco des années 1970. J’habitais en Angleterre, où il était très facile de presser des vinyles à l’époque. Il y avait plein de petites usines, tu pouvais faire des 20, 50, 100 ou 200 copies pour pas trop chères. J’allais les vendre chez les disquaires ensuite. Puis, il y a eu les premiers Tacos Records en 2000. C’était une série de productions house, alors que je mixais essentiellement de la techno, ou en tout cas que j’étais plus connu sous le nom techno de Ganez. J’ai donc fait une première scission en créant l’alias Morgasm, pour la house.

* Dans le milieu des DJs, désigne la pratique, aussi appelée « mashup » ou « medley », de mixer deux morceaux ensemble pour en créer un troisième.

Morgasm

UNIDIVERS —Justement, de même que vous collectionnez les labels, vous avez aussi joué et produit sous de nombreux alias, pouvez-vous nous en parler ?

MORGAN P. —Il y a Ganez, sous lequel je joue house to techno, soft to hard. C’est une techno grand public, comme celle de Carl Cox, Adam Beyer, Laurent Garnier. De la minimal jusqu’à 140 BPM. Dès que ça « envoie » plus, que c’est plus rythmique, qu’il y a de l’acid ou de la trance, on passe à GANEZ THE TERRIBLE. C’est plus rave, teuf, ambiance entrepôt, style Manu le Malin… Chaque alias correspond à des lieux ou des horaires de programmation…

Ganez The Terrible

Morgasm, c’est pour la house en général, depuis le lounge, la disco, et je m’arrête avant l’EDM*. J’ai un nouveau sous-projet, Hidden Paradise, pensé pour les créneaux de journée en festival. C’est entre 110 et 118 BPM, ça s’arrête à la deep house, avec un côté bossa, ensoleillé. Sur les morceaux de ce projet, je mets plus de voix, des sons de nature, pour créer un environnement chaleureux.

*Electronic Dance Music, forme mainstream de musique électronique qu’incarne des musiciens comme David Guetta ou des festivals comme le Tomorrow Land en Belgique.

Je fais aussi du ghost producing : des producteurs, techno, house, breakbeat, hip-hop, etc. me contactent pour que je compose, que j’arrange, ou que je mixe leur morceau. J’ai fait un album entier cet hiver. D’aucuns critiquent ce mode de production, mais, de mon point de vue, c’est une façon comme une autre d’exercer mon métier. Certains de mes morceaux techno, composés pour un artiste allemand, ont vraiment bien marché.

UNIDIVERS —Cette même envie d’explorer les multiples facettes de la musique électronique vous a conduit à créer une quinzaine de labels durant votre carrière, tous réunis dans l’entité Central Music, comment est-ce que ça marche ?

central music

MORGAN P. —Central Music est-ce que j’avais imaginé pour centraliser mes productions. J’ai ensuite créé les sous-labels, house, techno, breakbeat, drum’n’bass, etc. Chaque label a une image et un style musical, chacun est pressé sous son nom. Ce sont des séries de disques qui correspondent à des projets musicaux que j’ai menés, des autoproductions et des morceaux d’autres producteurs. J’ai eu différentes façons de fonctionner, mais finalement, Central Music est devenu comme une maison mère qui gère la distribution. Il y a trois ans, je suis tombé sur une carte du monde des disquaires qu’un Allemand a réalisée à partir du site Discogs, il y en a des milliers ! J’ai décidé de démarcher moi-même les magasins, d’abord à Rennes et dans ses environs, puis en Bretagne, dans le Grand Ouest, le Nord, le Sud. Aujourd’hui, il y a 90 magasins qui distribuent mes disques, dont en Belgique, Suisse, Luxembourg, Espagne, Italie, Angleterre… Je ne fais plus que des 300 copies, ça permet un renouvellement constant. Le dernier disque a été pressé en cinq semaines chez MPO.

Disques Morgasm Ganez
Morgan stocke les disques chez lui avant de les envoyer progressivement aux disquaires distributeurs ou de les vendre sur Internet. Ici on peut voir les productions de ses labels depuis septembre 2018.
Disques Morgasm Ganez
Et voilà les nouveautés fraîchement arrivées !
Enjoy! 1210
Enjoy! 1210 est la 11e sortie vinyle de l’association et label Enjoy!. Paru le 19 avril 2019, il est disponible chez les disquaires rennais et sur le site www.enjoyassociation.fr.

UNIDIVERS —MPO, c’est l’usine avec laquelle vous travaillez ?

MORGAN P. —Oui, j’ai commencé à bosser avec eux pour le premier disque de Tacos Records en 2000. Moulages Plastiques de l’Ouest est une vieille usine qui a énormément marché dans les années 1970-1980. C’était une presse mondiale qui avait des points de fabrication partout dans le monde. Évidemment, depuis 2005 et l’arrivée du digital, c’est en chute libre.

Moulages Plastiques de l'Ouest
Moulages Plastiques de l’Ouest, site de Villaines-la-Juhel en Mayenne. Crédit photo : Constance Decorde pour The Good Life

Je leur ai fait quelques infidélités au cours de ma carrière bien sûr, chez Curved Pressing en Angleterre, chez Master Music en Hollande, chez Optimal en Allemagne, chez GZ en République tchèque, où j’ai habité. Et puis les distributeurs avec qui j’ai parfois travaillé ont pressé dans d’autres usines. Car j’ai bossé avec plusieurs structures, par exemple Tool Box, un magasin parisien qui fait aussi de la distribution, spécialiste des musiques hard et underground. Avant, j’avais de gros distributeurs, je pressais à 1000 ou 2000 copies, en grande partie écoulées par des distributeurs. Le marché allait bien à l’époque. Il devait aussi y avoir beaucoup plus de DJs à jouer sur vinyles, puisque maintenant il y a une véritable scission entre ma génération et celle des jeunes DJs. Ce ne sont plus les mêmes supports ni les mêmes technologies, même s’il y a un retour du vinyle aujourd’hui. Rennes est d’ailleurs une très grosse passerelle en France, où le vinyle marche bien.

UNIDIVERS —Parmi la quinzaine de labels que vous avez créés pendant votre carrière, lesquels sont actifs actuellement ?

MORGAN P. —Principalement The House of Love et Enjoy !. En 2018, j’ai aussi relancé TEKNIC RECORDS, un de mes premiers labels, lancé en 2004, qui a très bien marché. C’était ciblé techno anglaise, rave. Je signais les gens que j’aimais, mes références en tant que jeune artiste, et je sortais un disque avec d’un côté un morceau à eux et de l’autre un de moi. Après six ans de pause, le huitième disque est sorti en janvier 2018. Je pense en faire au moins deux de plus.

TEKNIC 08
TEKNIC 08, DDR et GANEZ THE TERRIBLE, août 2018.

Un autre de mes labels, Eye Records, axé minimal, avait été pris chez un distributeur, mais ils m’ont arrêté au bout du quatrième. Mais il y a toujours le digital donc je fais quelques sorties de temps en temps, et je vais bientôt presser un nouveau vinyle et le distribuer par moi-même.

Il y a aussi 000 Records, un projet de série que je vais lancer prochainement, dans le style house mais avec un côté breakbeat.

000 Records Morgasm
000 Records. The Funky Break Beats Collection, série limitée de vinyles par Morgasm

UNIDIVERS —Parmi les labels que tu as créés figure Enjoy !, qui participera au Spring Rec #4 les 27 et 28 avril 2019 au Jardin Moderne à Rennes. C’est aussi une association événementielle et d’aide au développement, pouvez-vous nous en parler ?

MORGAN P. —Tout cela est consultable sur notre site Internet. Créée en 2014, c’était, selon moi, une réponse à un manque. Je suis revenu à Rennes en 2010, et j’ai refait tous les bars où je mixais avant sous le nom Ganez. Je voyais un gros retour de la house, mais qui n’était que très peu suivi à Rennes. Au bout d’un moment, j’ai contacté Bob Maxwell, que je connais depuis longtemps et avec qui j’ai beaucoup coproduit. On a démarché les bars pour une série de soirées où on débarquait avec notre matos, nos bacs à disques, de la déco… L’idée c’était de faire des soirées pour rencontrer des producteurs house. Le Enjoy ! 001 est arrivé au bout de huit mois, en 2015, et le premier vinyle en 2016.

Après, c’est allé très vite. Le but était de sortir 12 morceaux par an en digital pour en faire un CD. C’est un format qui a un peu disparu maintenant, mais on en fait toujours quelques-uns, en éditions limitées. Normalement, il devait aussi y avoir un vinyle à l’année. On devrait donc être à notre troisième ou quatrième, mais on en est au onzième… Ce sont tous des « samplers », une sélection de morceaux parmi ceux sortis en digital. Pour le dernier, on a sorti le vinyle avant même l’EP en digital. Ce sont toujours des compilations, quatre morceaux d’artistes différents. Je privilégie cet aspect collectif. Enjoy ! est avant tout une structure d’aide au développement, axée sur le local, qui cherche à dénicher des talents et à les accompagner dans leurs productions. Étant donné que c’est une association, tout l’argent est réinjecté dans la presse des prochains vinyles. Il n’y a pas vraiment de rétribution des artistes, ils sont payés en disques qu’ils peuvent ensuite, s’ils le souhaitent, vendre chez les disquaires.

Comme bien d’autres jeunes producteurs rennais, le duo Glitter Music a vu son premier morceau pressé sur vinyle grâce à Morgan.

UNIDIVERS —Des projets futurs à annoncer ?

MORGAN P. —Nous avons lancé un concours national de producteurs pour la sortie de notre treizième vinyle, prévue pour septembre. Il se clôture le 22 juin 2019.

Enjoy! concours producteurs

Je travaille aussi sur l’idée d’une double compilation The Sound of Rennes. Le premier disque sera composé de quatre morceaux house sortis en digital sur Enjoy!. Pour le deuxième disque, j’aimerais qu’on aille plus dans du downtempo. On va sans doute lancer un autre concours de producteurs à cette occasion. Et je suis sur une piste pour obtenir des subventions de la SACEM afin de louer un studio et d’engager des instrumentistes. On pourrait ainsi aller bien au-delà du home studio. Pour la partie événementielle, je prépare un projet à soumettre au programme Dimanche à Rennes, ça s’appellerait Les Dominicales musicales.

UNIDIVERS —Merci à vous Morgan, on vous retrouvera avec votre stand de disques au Spring Rec #4, au Made festival et à la fête de la musique à Rennes, scène des Lices. La suite de votre agenda est disponible sur le site de Enjoy!.

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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