Prévu au printemps 2019, entre retard de construction et pandémie, le projet de belvédères kiosques urbains des frères Ronan et Erwan Bouroullec a finalement accosté sur la berge face à l’immeuble Cap Mail et s’est illuminé le 11 septembre dernier. Cependant, au lieu des trois kiosques mobiles initiaux, un seul se retrouve amarré aux abords de la Vilaine. Choix artistique ou budgétaire ?
À peine inauguré, le belvédère kiosque Bouroullec fait déjà parler de lui. L’ovni architectural de la ville de Rennes s’est en effet vu honoré d’un tag, une action que les élus de la droite centre craignaient… Cependant, au-delà de cette dégradation certes condamnable, la nouveauté urbaine signée des deux célèbres designers bretons semble ne pas faire l’unanimité. Dire qu’une aura de déception plane aujourd’hui aux abords de la Vilaine est peu dire…
Le projet d’aménagement urbain avait germé à la suite de l’exposition Rêveries Urbaines, un parcours couronné de succès qui avait illuminé les Champs Libres, le Frac Bretagne et le Parlement à l’été 2016. De plus en plus prisés en France et à l’étranger – Paris, Bordeaux, Milan, Singapour, etc. – Ronan et Erwan Bouroullec avaient alors répondu à la commande publique de design urbain de la Ville de Rennes. « C’était une étape et un retour nécessaires que de faire ce projet à Rennes », précisait Erwan Bouroullec lors de la conférence de presse donnée en avril 2018.
Les designers avaient sillonné la ville à la recherche de la bonne idée. L’idée s’était incarnée en « un endroit romantique accroché à la jetée, aux abords de la Vilaine » afin de répondre à la volonté des Rennais.e.s et « à leur envie d’une ville qui renoue avec l’eau et qui fasse une part plus belle à l’architecture et au design », déclarait la maire de Rennes Nathalie Appéré. L’objectif étant que la ville ne tourne plus le dos à son fleuve (bien qu’il soit envahi d’algues vertes pullulantes qui ne cessent de proliférer…).
« C’est l’idée de ramener ces balades pour sortir de la ville et prendre l’air… », confiait Ronan Bouroullec. Pour ce faire, le projet d’aménagement urbain aurait dû prendre la forme de trois kiosques mobiles flottant aux abords des quais Saint-Cyr et de la Prévalaye, entre la place de Bretagne et le pont Malakoff. Trois utopies urbaines accessibles via une passerelle inspirées des phares, des jetées, des kiosques des villes hanséatiques et du romantisme viennois, le tout réduit et transfiguré à travers une structure en acier émaillé d’accents futuristes aussi bien que steampunk. L’exigence aiguë dans la précision des détails des frères Bouroullec promettait une future promenade singulière le long du fleuve : déambulation, discussion, musique, flirt…
Deux ans plus tard, la structure se retrouve orpheline et ne tient pas ses promesses. L’explication ? Un kiosque est, semble-t-il, plus impactant que trois. Mouais… Et pourquoi un kiosque immobile ? Peut-être est-ce aussi dû au coût de construction, largement sous-estimé ? L’enveloppe prévue s’élevait initialement à 800 000 euros, assurée à hauteur d’environ 70% par le mécénat privé et 30% par la Ville de Rennes, pour la construction des trois kiosques. Une somme, de fait, modérée eu égard à la notoriété des frères Bouroullec et à la qualité du projet initial. Mais les frères Bouroullec s’étaient engagés à produire une oeuvre gratis pro Renno.
Au demeurant, l’excentricité architecturale signée Bouroullec a finalement été revue à la baisse (et quelle baisse !), la ville ayant sans doute mal calculé son coup (coût)… In fine, la facture s’élève à 730 000€ pour les études et 170 000 € pour le pieu, la dalle, l’accès au chantier, la maîtrise d’œuvre et le raccordement électrique. Un « coût dur » quand on sait que le projet avait déjà fait couler beaucoup d’encre sans faire l’unanimité. Les élus de la droite et du centre regrettaient qu’il s’agisse d’un souhait personnel plutôt que d’une consultation citoyenne ou d’un appel d’offres. Tout en reprochant également ce processus de prise de décision, les élus de la France Insoumise s’étaient montrés plus sévères et avait comparé le projet à « un joyau sur un tas de fumier face à la qualité de l’eau catastrophique de la Vilaine. »
Après la tour du Couvent des Jacobins, comparée à un phare dans la ville, le phare du Quay Saint-Cyr s’est transformé en légers crépitements lumineux. L’ovni architectural qui a pour vocation de contribuer à une redéfinition et un redéploiement de l’espace de la ville fait un flop et la promenade singulière le long de la Vilaine a été emportée par les eaux.