Rennes La Janais. Mayers, l’usine modèle qui a sombré

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À La Janais, au sud de Rennes, l’usine Mayers devait incarner la nouvelle ère de la construction, autrement dit : automatisée, propre, pensée pour le bas carbone et les villes du futur.

Un site industriel conçu comme une vitrine, adossé au promoteur Réalités, capable de produire à la chaîne panneaux de façade en bois et modules 3D pour des bâtiments entiers. Deux ans plus tard, le rêve s’est brisé. Placée en redressement judiciaire fin 2024, l’entreprise a été envoyée en liquidation, victime d’un marché du bâtiment effondré. Une chute brutale qui dit beaucoup de l’état du secteur, mais aussi des limites d’une transition écologique industrielle encore fragile. La crise du bâtiment casse le rêve d’une filière bois bas carbone

Mayers avait de quoi séduire. À La Janais, ancien bastion automobile, la reconversion industrielle se voulait exemplaire. Le groupe Réalités y implante une unité flambant neuve, hautement automatisée, inspirée des méthodes de l’automobile : flux optimisés, postes robotisés, surfaces modulaires. L’ambition est forte : produire en série des façades bois (2D) et surtout des modules 3D entiers, livrables sur chantier, pour des logements ou résidences gérées.

Dans un contexte où les appels à la construction bas carbone se multiplient, Mayers coche toutes les cases : matériau renouvelable, industrialisation, réduction des déchets, vitesse d’exécution. C’est l’un des rares sites français à tenter une telle montée en gamme sur la préfabrication bois. L’usine devient rapidement un argument territorial : preuve que la Bretagne peut, elle aussi, réinventer l’industrie.

Un modèle qui dépendait d’un marché… qui s’est effondré

Mais un outil pensé pour tourner à plein régime ne pardonne pas les à-coups. Et c’est précisément ce qu’a vécu le bâtiment depuis 2022 : hausse des taux d’intérêt, raréfaction des crédits immobiliers, explosion des coûts, chute des permis de construire. En 2024 et 2025, la filière neuve vacille partout en France.

Mayers, calibrée pour produire beaucoup, vite, et en continu, voit son carnet de commandes fondre. Les programmes de Réalités – principal client – se contractent aussi. L’entreprise ne parvient plus à amortir ses investissements récents. Redressement judiciaire en 2024, puis liquidation : plus d’une soixantaine d’emplois industriels disparaissent à La Janais.

C’est toute une filière bois émergente qui encaisse le choc. La production modulaire, censée remplacer les chantiers traditionnels, se retrouve à l’arrêt alors même que les discours publics ne jurent plus que par le bas carbone.

Une faillite symbolique pour La Janais

La disparition de Mayers n’est pas un accident isolé, mais un symbole. À La Janais, on voulait un hub industriel d’avenir : batteries, bio-énergies, filière bois, robotisation… et une image renouvelée du travail productif. La fermeture d’une “usine modèle” fragilise ce narratif et renvoie le site à une réalité plus rude : innover ne suffit pas si l’écosystème économique ne suit pas.

Car Mayers était plus qu’un simple atelier : c’était une démonstration grandeur nature de ce que pourrait être le bâtiment demain. Les collectivités l’avaient intégrée dans les discours sur la transition écologique. Sa chute révèle la fragilité de ces vitrines quand elles restent très dépendantes d’un marché en crise.

La “ville bas carbone”, entre ambition politique et réalités économiques

Au-delà de l’histoire industrielle, l’affaire Mayers révèle le décalage croissant entre l’ambition affichée de construire autrement – plus vite, plus propre, plus durable – et les moyens réellement mobilisés pour le faire. Tous les grands discours publics vantent la construction bois, la rénovation énergétique, les circuits courts, les filières locales. Mais dans les faits :

  • le marché du neuf est en chute libre,
  • les bailleurs publics réduisent la voilure,
  • les collectivités hésitent à garantir des commandes massives,
  • les entreprises peinent à financer les investissements nécessaires.

La faillite de Mayers dit cette contradiction. on encourage les industries vertes, mais on laisse leur avenir dépendre entièrement d’un marché spéculatif, cyclique et fortement exposé aux variations de taux. Résultat, les acteurs de la transition écologique sont souvent, hélas, les premiers à tomber.

Un modèle à repenser : sécuriser la filière bois, ou la voir disparaître

Si la Bretagne veut réellement devenir une région de construction bas carbone, l’exemple de Mayers doit servir d’avertissement. Les filières bois, modulaires et hors-site ne peuvent pas être soutenues uniquement par des discours et des appels à l’innovation. Elles nécessitent :

  • un volume minimal de commandes publiques pour amortir les outils ;
  • un engagement de long terme des bailleurs sociaux et des métropoles ;
  • des mécanismes anticrise permettant de traverser les cycles du bâtiment ;
  • une montée en compétence des architectes, bureaux d’études et promoteurs sur le hors-site ;
  • une politique industrielle régionale claire, capable d’aligner ambitions et moyens.

Sans cela, les projets de “ville bas carbone” resteront au stade des maquettes, tandis que les usines capables de les réaliser fermeront les unes après les autres.

Une leçon politique : la transition écologique ne survivra pas sans une vraie politique industrielle

L’histoire de Mayers montre que la transition écologique ne peut pas reposer uniquement sur la bonne volonté des entreprises ou sur l’enthousiasme symbolique des collectivités. Elle a besoin de structures, de garanties, de financements, et d’un engagement public massif. Une usine bas carbone ne peut pas survivre seule dans un marché déprimé. Une filière ne peut pas émerger si elle dépend du cycle immobilier.

À La Janais, l’échec de Mayers n’est pas seulement économique. Il est politique. Il raconte la difficulté française à articuler vision écologique, stratégie industrielle et continuité économique. Il montre que l’industrie verte ne peut pas être une simple incantation, elle doit être pensée, financée et protégée.

Au-delà du cas Mayers, c’est la question de la gouvernance territoriale qui apparaît au grand jour. À La Janais, Rennes Métropole joue le rôle d’aménageur et de pilote du “pôle bas carbone”, la Région Bretagne celui de stratège industriel et de cofinanceur de la transition. L’échec de l’usine rappelle qu’aucune de ces strates ne peut réussir seule ; une filière ne naît que lorsque la puissance publique, la demande locale, la planification urbaine et l’outil industriel avancent ensemble.

La liquidation de Mayers expose une faille structurelle. L’ambition écologique progresse plus vite que la coordination institutionnelle et que les capacités réelles de soutien économique. Sans un alignement clair entre métropole, région, opérateurs publics et acteurs privés, les vitrines de la transition continueront de s’effondrer faute d’un socle suffisamment solide. Sans cela, la transition restera un slogan. Et les pionniers continueront de disparaître, laissant un peu plus de vide là où l’on rêvait de bâtir la ville de demain.