À Rennes, le Livreur du Futur transforme une tournée froide en maraude de plats chauds

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Dans le bruit feutré de la ville qui se replie, un skate électrique glisse sur les pavés. Casque intégral vissé sur la tête, le « Livreur du Futur » — vidéaste rennais devenu reconnaissable à sa silhouette futuro-masquée (voir notre article portrait) — a sillonné le centre-ville, fin décembre, pour distribuer gratuitement des portions chaudes à des personnes sans domicile, à la suite d’un appel du traiteur Tout & bon qui se retrouvait avec plusieurs kilos de nourriture en trop avant Noël. L’idée tient à la fois du réflexe simple (ne pas jeter) et du geste direct (aller, la nuit, là où l’on dort dehors). Des dizaines de plats auraient ont été remis en main propre, au fil d’une déambulation nocturne.

Le personnage du « Livreur du Futur » s’est construit sur une tension : une activité très concrète — livrer des repas à domicile — et une mise en scène assumée (caméra, casque, montage, humour). Cette esthétique « futuriste » a fait décoller sa notoriété sur les plateformes, tout en restant liée à un quotidien de livreur, fait d’adresses introuvables, de courses serrées et de nuits froides.

Depuis 2024, il a aussi orienté une partie de cette visibilité vers des actions solidaires, en particulier la distribution de repas aux sans-abri. Il s’appuie sur des invendus et sur une cagnotte alimentée par sa communauté, avec l’ambition de financer des repas « de qualité » et, plus largement, de l’aide matérielle (hygiène, couvertures).

L’épisode relaté ces derniers jours dit deux choses à la fois.

  • Le gaspillage alimentaire : l’urgence est parfois prosaïque. Un stock qui risque de partir à la poubelle devient, en quelques messages, un repas chaud.
  • La logistique de la rue : « distribuer » n’est pas déposer. Il faut trouver, approcher sans brusquer, respecter le refus, composer avec la fatigue, la méfiance, l’alcoolisation parfois, la honte souvent. Dans ce contexte, la main tendue vaut autant que la barquette. (

Ce type d’initiative, très visible parce qu’elle est filmée et partagée, suscite naturellement des réactions contrastées. D’un côté, elle mobilise : elle donne envie de contribuer, de cuisiner, de donner, de ne pas détourner les yeux. Et la visibilité peut, très concrètement, financer des repas (des collectes autour du « Livreur du Futur » ont déjà été mises en avant.

De l’autre, elle pose une question simple : comment aider sans transformer la misère en décor ? La réponse dépend de la manière de filmer (ou de ne pas filmer), du consentement, du respect de l’anonymat des personnes rencontrées, et du ton — compassion, humour, mise en scène héroïque, ou sobriété. Sur ce point, les meilleures pratiques sont connues des associations de maraude : privilégier la dignité, la discrétion, l’écoute, et considérer la nourriture comme une porte d’entrée vers l’orientation (soins, hébergement, droits) plutôt que comme une fin en soi.

À l’échelle d’une ville, un skate et un sac ne remplaceront jamais une politique d’hébergement. Mais ils peuvent, ponctuellement, réchauffer, désamorcer une nuit, créer un lien — et rappeler qu’une partie de la précarité se joue dans l’invisible, quand les vitrines s’éteignent.

Et, en creux, l’histoire montre aussi une chose. La solidarité locale peut naître d’un imprévu (un surplus de traiteur), d’une compétence (se déplacer vite, tard, partout), et d’un levier contemporain (une communauté en ligne).