Le MeM rattrapé par la justice : une victoire pour les riverains, une gifle pour la mairie de Rennes

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Le couperet est tombé. La cour administrative d’appel de Nantes a jugé illégale, le 8 juillet, l’autorisation d’occupation temporaire accordée en 2019 par la Ville de Rennes au MeM, un débit de boissons et lieu de concerts, spectacles et séminaires installé en bord de Vilaine, à La Piverdière route de Sainte-Foix.

Ce jugement confirme l’invalidation, en première instance, du permis de construire précaire accordé au Centre de production des paroles contemporaines (CPPC) dirigé par le sieur Maël Le Goff. Une décision qui donne raison aux riverains, excédés depuis des années par les nuisances sonores et les atteintes à l’environnement, et qui marque un désaveu cinglant pour la mairie, restée constamment sourde à leurs protestations.

Un permis précaire contesté depuis 2019

En 2019, le Centre de production des Paroles contemporaines (CPPC), dirigé par Maël Le Goff, avait conclu avec la Ville de Rennes une « convention d’occupation du domaine public » pour exploiter ce chapiteau musical, nommé Magic Mirrors (MeM), une guinguette, lieu de spectacle et de séminaire résidentiel. Accompagnée d’un permis de construire « à titre précaire », renouvelé le 21 décembre 2022 et valable jusqu’au 31 décembre 2024, cette autorisation suscite depuis son lancement de vives protestations des riverains.

Le rapporteur public demande l’annulation

Jeudi 19 juin 2025, devant la cour administrative d’appel de Nantes, le rapporteur public a formellement demandé l’annulation du permis accordé par la mairie de Rennes, estimant que le code de l’urbanisme n’a pas été respecté. Selon lui, la maire de Rennes, Nathalie Appéré, a commis une « inexacte appréciation du code de l’urbanisme » en méconnaissant diverses dispositions du Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de Rennes Métropole relatives aux constructions en zone naturelle. Le magistrat a souligné que l’argument de la « réappropriation des bords de Vilaine par la population » ne pouvait justifier une installation incompatible avec le statut d’un permis précaire, et qu’aucune régularisation n’était possible tant que le vice de forme et de fond subsistait.

Un lieu devenu permanent

Le MeM devait être un espace temporaire : un chapiteau, quelques conteneurs, de la musique et des bières en plein air. Mais au fil des années, mutatis mutandisle provisoire s’est enraciné : terrasse en dur, activités prolongées bien au-delà des horaires initiaux, programmation bruyante et dense… Ce que le juge administratif a dénoncé, c’est le contournement du droit commun par l’octroi d’un permis précaire pour des installations manifestement permanentes. Derrière la façade du MeM, une zone grise juridique que la municipalité acceptait sans sourciller. Car malgré les avertissements successifs, la Ville de Rennes a renouvelé son soutien au lieu – jusqu’à l’aveuglement.

Des nuisances sonores aux atteintes environnementales

Depuis son ouverture, les habitants des quartiers Sud (La Piverdière, Bréquigny) dénoncent bruit nocturne qui confine parfois au vacarme, stationnements sauvages, circulation dense et désorganisation de la tranquillité des berges. Plusieurs plaintes, restées lettre morte, avaient été déposées auprès des services municipaux et préfectoraux. Les requérants ont rappelé que l’association exploitant le MeM, déjà épinglée en 2021, à la suite de l’enquête d’Unidivers.fr paru en 2015, par la Cour régionale des comptes pour des risques de conflits d’intérêts et des dépenses excessives, continuait d’opérer sans régularisation…

Du côté de la défense, l’avocate du CPPC a insisté sur le contexte post-Covid : cette occupation temporaire permettait de maintenir une offre de divertissement alors que peu d’autres sites étaient disponibles sur les berges. L’avocat de la ville de Rennes a pour sa part souligné la nécessité, légitimée par la pandémie, de proroger le dispositif le temps que le projet « en dur » mûrisse.

Le soutien indéfectible de la mairie, même après la révélation de l’illégalité du permis, a fini par creuser un fossé entre cette dernière et une partie de ses habitants. Le jugement rendu par la cour d’appel acte un nouvel échec d’une politique de soutien à certains acteurs du monde de la culture à Rennes déconnectée du terrain et sourde à la vie quotidienne des citoyens.

Quand la justice supplée la démocratie locale

Il aura fallu plusieurs années de recours juridiques, portés par des collectifs de riverains et l’association La nature en ville, pour que la situation soit enfin reconnue pour ce qu’elle est : une occupation illégale tolérée au mépris des lois et du bien commun. L’ordonnance rendue par le juge administratif souligne que la Ville ne pouvait ignorer ni l’impact environnemental du MeM, ni son caractère permanent, incompatible avec les statuts d’un permis précaire. Dans un contexte où la transparence de l’action publique et le respect du cadre légal sont plus que jamais exigés, cette décision fait figure de justice immanente. Car ce que les habitants n’ont pu obtenir par le dialogue, ils l’ont conquis par le droit.

Et maintenant ?

La Ville de Rennes a annoncé, sans vergogne, envisager un recours en cassation. Mais le fond du problème demeure : le MeM ne pourra plus continuer de passer en force sans prendre en compte son environnement proche. Il devra, s’il veut perdurer, s’inscrire dans un cadre juridique régulier, avec étude d’impact, concertation publique et respect des réglementations. Si le CPPC dispose d’un permis de construire définitif qui fait que le MeM n’est pas menacé malgré l’annulation de l’autorisation précaire, il va devoir rétablir un dialogue avec les riverains. En est-il capable ? L’exercice va être dur à en croire les habitants qui dénoncent le mépris à peine voilé dont ils ont fait l’objet depuis le début de ce dossier.

Pour ces derniers, cette victoire est plus qu’un soulagement : c’est la reconnaissance de leur bon droit face à un pouvoir municipal réputé historiquement permissif avec certaines grosses associations rennaises, notamment musicales, aux montages juridiques et économiques associatif/privé parfois douteux. Une décision qui rappelle qu’aucun acteur du divertissement musical ne saurait s’affranchir des règles, y compris ceux qui jouissent du soutien amical de certains élus. La mairie de Rennes ne pourra être authentiquement populaire que si elle s’enracine dans le respect des habitants et de l’environnement.

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.