Rennes tensions foncières : une maison achetée à 1,18 million préemptée par la mairie à 526 000 euros

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148 rue Châteaugiron à Rennes
148 rue Châteaugiron à Rennes

La Ville de Rennes a récemment exercé son droit de préemption sur une maison située au 148 rue de Châteaugiron, dans le sud-est de l’agglomération rennaise. Cette propriété, comprenant une maison de 90 m² sur un terrain de 437 m², était sur le point d’être vendue à un promoteur immobilier pour 1,18 million d’euros. Cependant, la municipalité a décidé d’intervenir en proposant une offre d’achat de 526 500 euros, soit moins de la moitié du prix de vente convenu.

Pourquoi la mairie a-t-elle préempté ?

La parcelle concernée se trouve dans un secteur désigné comme « secteur d’équilibre social de l’habitat » selon le Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi). Ce classement permet à la commune d’exercer son droit de préemption pour des projets visant à équilibrer l’offre de logements sur le territoire. Dans ce cas précis, la mairie envisage de constituer une réserve foncière en vue de la réalisation d’un projet de construction de logements locatifs sociaux sur le périmètre allant du 148 au 152 rue de Châteaugiron. Un projet d’environ 38 logements sur 2 282 m² de surface plancher est prévu.

La décision de la municipalité s’inscrit dans un contexte de forte demande de logements sociaux à Rennes Métropole, où le nombre de demandeurs HLM est passé de 15 000 en 2015 à 26 533 au 1er janvier 2022, soit une augmentation de 50 % en cinq ans.

Quelles sont les options pour les propriétaires ?

En réponse à l’offre de la mairie, les propriétaires disposent de plusieurs options :

  • Accepter l’offre de 526 500 euros proposée par la municipalité.
  • Refuser l’offre et demander que le prix soit fixé par le juge de l’expropriation.
  • Renoncer à la vente, ce qui signifie retirer le bien du marché.

Selon le Code de l’urbanisme, si le propriétaire refuse l’offre de la collectivité, il peut saisir la juridiction compétente en matière d’expropriation pour qu’elle détermine le prix du bien.

Réactions et débat public

Cette affaire suscite de nombreuses réactions, notamment en raison de l’écart vertigineux entre le prix proposé par le promoteur privé et l’offre formulée par la mairie. Plusieurs observateurs ont souligné l’étrangeté d’un tel différentiel en rappelant que la régulation publique ne saurait légitimement s’affranchir de toute référence aux réalités économiques. Le droit de préemption, instrument au service de l’intérêt général, ne saurait se transformer en levier d’opportunisme budgétaire ou de captation foncière à vil prix. La recherche d’un équilibre raisonnable entre l’action publique et les droits des vendeurs reste une exigence éthique aussi bien que juridique.

Au demeurant, la municipalité de Rennes a indiqué être régulièrement amenée à exercer son droit de préemption, notamment pour garantir la production de logements sociaux sur son territoire. Elle précise que le bien immobilier en question fait actuellement l’objet de discussions qui ne peuvent être commentées afin de ne pas interférer dans les négociations en cours. A suivre…

Pour aller plus loin : le droit de préemption, levier de justice sociale ou nouvelle fabrique de tensions foncières ?

L’affaire de la préemption rennaise illustre à la perfection les contradictions croissantes qui traversent les politiques urbaines des métropoles françaises en situation de forte tension immobilière. Le différentiel abyssal entre le prix de marché (1,18 million d’euros proposé par le promoteur) et l’offre publique (526 500 euros) agit ici comme un révélateur : celui des rapports complexes entre puissance publique, logique de marché et droits individuels.

Le droit de préemption urbain, réaffirmé et étendu depuis la loi SRU et le Grenelle de l’environnement, repose sur un principe légitime : réintroduire un correctif d’intérêt général dans des marchés fonciers souvent soumis à une spéculation effrénée. Il permet aux collectivités locales, notamment dans les zones tendues, de constituer des réserves foncières destinées à produire du logement social, à préserver la mixité sociale, ou à maîtriser l’aménagement du territoire.

Mais encore faut-il que son usage conserve un ancrage raisonnable dans la valeur réelle des biens concernés. Car une préemption pratiquée à des niveaux d’écart aussi massifs qu’à Rennes interroge : s’agit-il toujours d’une action régulatrice ? Ou bien d’une captation de plus-value foncière au profit de la puissance publique qui en limite le coût d’acquisition au détriment des propriétaires privés ? Autrement dit : quand la puissance publique acquiert à vil prix des terrains dont la valeur avait été portée par les dynamiques de marché, ne crée-t-elle pas elle-même un déséquilibre éthique et politique en matière de répartition de la valeur foncière produite ?

Ces tensions sont d’autant plus vives dans des métropoles comme Rennes, où la demande en logements sociaux explose (+50% de demandeurs HLM en cinq ans), et où les arbitrages entre production massive de logements abordables et respect du patrimoine privé deviennent chaque année plus délicats. La régulation foncière y devient ainsi un champ de forces : entre correction des effets délétères du marché et tentation d’une préemption quasi confiscatoire.

Ce débat rejoint plus largement une question de fond : celle du pacte implicite entre les pouvoirs publics et les propriétaires fonciers dans la fabrique de la ville. Car toute politique de maîtrise foncière suppose, pour demeurer soutenable politiquement, d’être perçue comme proportionnée, lisible et équitable. À défaut, le risque grandit de voir la régulation urbaine se transformer en nouveau foyer d’arbitraire administratif, de contentieux et de défiance démocratique.