Drama galerie présente Sometime de l’artiste plasticien Primat, Benjamin Massé de naissance, et du musicien Stéphane Fromentin jusqu’au 14 septembre 2023. L’exposition donne à admirer des œuvres du premier au son du programme musical génératif créé par le second. Dans cet espace blanc hors du temps, des formes noires qui frôlent la figuration absorbent le public dans les méandres de son esprit sur le rythme d’une musique éphémère et infinie.
C’est une proposition autant musicale que plastique, poétique qu’expérimentale, que propose la galerie Drama 16 mail Louise Bourgeoise à Rennes. Au cœur du lieu, également atelier de création de Benjamin Massé alias Primat, Sometime réunit le programme musical génératif du musicien Stéphane Fromentin et la pratique de l’artiste plasticien nourrie d’« art primitif du futur ».
Née dans un graphisme brut, la pratique de Benjamin Massé se développe depuis des années autour d’un vocabulaire abstrait et un rapport primaire et intuitif à la création, où la liberté du trait est reine. Du “chamanisme ordinaire” comme il s’amuse à la nommer. « Mon travail questionne toujours ce qu’on ne voit pas », déclare Primat. Car dans l’abstraction des formes se dissimule une figuration qui apparaît régulièrement dans l’observation, et ce de manière encore plus visible dans l’exposition Sometime. « La figuration est d’autant plus là avec les manipulations numériques à posteriori. »
Ses enchaînements de mouvements instinctifs sur papier sont ici retravaillés, mis en miroir à la verticale et recomposés à l’ordinateur grâce à un programme informatique. Dissimulant une partie du dessin par choix, l’artiste crée des « dessins mutants ». Son travail avec l’informatique révèle sa volonté à conserver un lien avec la technique, et plus généralement une relation entre les arts plastiques et la musique. « Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de mettre les arts-plastiques sur scène, les lier au spectacle vivant. La musique rejoint cette idée de technique », explique-t-il avant de poursuivre : « Ce qui est troublant avec le côté miroir des dessins, c’est qu’il s’agit d‘un résultat aléatoire qu’on ne maîtrise pas forcément, mais sans être de l’art génératif. On peut y voir un contraste, et c’est ce qui nous intéressait, avec le programme musical de Stéphane Fromentin ». Les deux partenaires d’exposition ont déjà travaillé ensemble sur un projet, Mud. À partir d’un dispositif vidéo, le duo a développé un système où les gestes de Primat, pendant qu’il peint, interagissent sur la musique et la module.
À la galerie Drama, le fond sonore provient du programme imaginé par Stéphane Fromentin, musicien habitué à travailler en collaboration avec le théâtre, la danse et les arts-plastiques. « Je suis plus attachée au texte, mais les disciplines racontent la même chose pour moi », déclare le musicien. « Il y a l’idée de servir un propos plutôt que d’en avoir purement musical, ce qui est pour moi un peu claustrophobe. »
Depuis quatre ans, Stéphane Fromentin travaille à la fabrication d’un programme musical génératif dans le but de créer une musique unique, éphémère, et surtout infinie. « Depuis 30 ans que je joue de la guitare, je n’arrive toujours à m’extraire des carcans culturels qui formatent l’oreille, même en faisant de la musique improvisée », confie-t-il. Il continue : « L’outil informatique m’a permis de trouver une solution. Ce programme joue la musique que je n’arrive pas à faire. » Le programme machine a été créé à partir d’environ 80 samples – les 12 notes de chaque corde de guitare et quelques sons supplémentaires –. Le musicien a ensuite mis au point plusieurs scénarios pour multiplier les possibilités de composition. Il détaille le fonctionnement : « Quand on allume le programme, la charge du processeur de l’ordinateur donne un chiffre qui va lancer la musique. Il sera toujours différent puisqu’il dépend de la température du processeur. Puis, toutes les millisecondes, l’ordi se demande : « qu’est-ce que je choisis maintenant, quelle note, à quel moment, à quel endroit, sur quelles cordes de guitare ? ». »
Le programme devient ainsi autonome et crée une musique aléatoire selon les scénarios qu’il choisit. « Je l’ai écouté pendant des milliers d’heures pour corriger les moments trop lents, trop rapides ou trop évidents. » Jouée par un ordinateur, la musique qui résonne dans la galerie retranscrit néanmoins la texture, la tonalité et la musicalité que Stéphane Fromentin a envie de raconter. « Ce qui me séduit totalement dans l’idée, c’est que ce qu’on écoute, on ne l’a jamais entendu et on ne l’entendra plus jamais puisque la probabilité combinatoire rend la répétition improbable justement. » À chaque écoute, un nouveau échantillon ou scénario pioché dans le programme apparaît dans la composition. Benjamin Massé complète : « C’est l’idée d’anti formatage musical. » La musique n’a de fin que si on décide d’en mettre une, contrairement au dessin qui, lui, fige les formes. « Il y avait aussi cette notion du temps », souligne l’artiste plasticien avant que le musicien ne poursuive : « Le programme existe que si on prend le temps de l’écouter. Il y a ce côté anti-efficacité, c’est long, mais c’est là que se trouve l’anti-formatage pour moi. »
En contraste avec les sonorités lentes et poétiques qui rebondissent contre les murs, les dessins exposés, « austères et séducteurs », respirent une musicalité vive et primaire, qui semble provenir de l’intérieur. Associé à la musique, le travail artistique de Primat absorbe le public, touche l’esprit et appelle à l’inconscient. Carte mentale complète à la fois figurative, mais aussi symbolique et abstraite, les dessins se vivent comme une expérience à la manière des tests de Rorschach.
Entre masques, totems ou animaux, selon ce qu’on y voit, les formes de Primat, à la frontière entre art aborigène et art brut, bougent devant le public au son de Stéphane Fromentin. Comme une invitation à sonder votre inconscient. « Quand on faisait l’accrochage, j‘ai encore été agréablement surpris. C’est ma musique, mon son, mais je n’ai jamais joué ce qu’on entend, j’adore cette idée », conclut Stéphane Fromentin. Prêts à surprendre vos yeux et vos oreilles ?
Exposition Sometime, jusqu’au 19 septembre 2023.
Drama Galerie, 16 mail Louis Bourgeois, 35 000 Rennes
Ouvert tous les jeudis et vendredis soirs
Fermeture annuelle du 25 juillet au 28 août 2023