Gaëlle Nohant raconte la guerre avec L’Homme sous l’orage

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Dans ce magnifique ouvrage, Gaëlle Nohant raconte comment la guerre peut bouleverser une société figée. Et mettre à nu le désir et l’amour. Un roman majeur de cette rentrée littéraire.

C’est une histoire de femmes. Elles occupent le rôle de tous les personnages du roman. À une exception près : l’homme sous l’orage. Elles sont omniprésentes puisque les hommes sont partis sur le front. Cela fait trois ans que cette Première Guerre mondiale a débuté. Trois ans au cours desquels la vie des femmes a elle aussi changé. Isaure, sans son mari et son fils mobilisés, a appris ainsi à devenir la maîtresse d’un domaine viticole près de Perpignan. Droite et raide devant le bénitier, elle s’est forgée un rôle à la mesure de principes religieux stricts. Rosalie, sa fille de dix huit ans, à la manière de Jane Eyre dont elle lit avec délices l’histoire, suit ses préceptes, par mimétisme, par obligation, par renoncement. Et puis il y a Marthe, Julie, Louise et d’autres encore, les « domestiques », celles qui n’ont pas eu la chance d’être bien nées. C’est ainsi depuis des décennies : les femmes sont à leur place, maîtresse de maison ou employées. Les hommes au pouvoir ou à la guerre. Il ne faut pas croire pour autant qu’elles sont faibles ou abandonnées. Elles sont dans le cadre d’un tableau peint depuis des décennies. Seule Adie, la jeune cousine délurée ose briser cet enfermement.

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Dans ce château un soir d’orage, un homme se présente à la porte. Il a connu Isaure et souhaite se réfugier, se protéger de la foudre qui menace, celle du ciel et celle de la guerre qu’il a fuie. Il est artiste peintre, il a fréquenté Matisse, Derain à Collioure et ailleurs, il a exposé chez Berthe Weill, un de ses tableaux représentant Isaure est accroché au salon. Il s’appelle Théodore. Isaure le renvoie, Rosalie le cache. Le loup dans la bergerie serait on tenter d’écrire par simplisme, mais Théodore n’est pas un prédateur. Et la bergerie n’est pas emplie de victimes consentantes. Traqué par les gendarmes il est chassé et fuit trois ans de guerre, de front qui lui apportent suées et cauchemars la nuit venue. Il est fait pour être peintre pas pour être soldat.

Gaëlle Nohant a les mots pour faire de cette situation prévisible un texte aux multiples facettes. Par touches discrètes, à la manière d’un tableau impressionniste, elle raconte le corps, celui de Rosalie, corseté et enfermé, qui peu à peu, sous le pinceau de Théodore va se libérer de ses couches de vêtements mais aussi des exigences sociales hypocrites. Sans artifices, sans grandiloquence transparaît peu à peu la naissance croissante du désir, ce monde inconnu, refusé, mais si libérateur. Il faut pour Rosalie, oser, quitter les conventions sociales, pour découvrir enfin la vie : « Elle songe aux rejetons qui ont besoin de s’éloigner du cep pour être féconds ».

Aucun manichéisme dans ces pages où chaque mot compte, pesé à l’aune d’une époque où les hommes ne sont pas obligatoirement des salauds. Les absents partis à la guerre, tel Achille, le frère de Rosalie, racontent leurs souffrances, leur incompréhension par rapport à la vie à l’arrière. Forts socialement, les hommes présentent leurs faiblesses quand ils doivent combattre le bruit, la violence, la fureur des tranchées. L’homme sous l’orage est aussi un roman sur la guerre, son absurdité, la lâcheté qui est peut être plus celle de se soumettre au caractère inéluctable des conflits qu’à le combattre. Déserter ne serait il pas un acte de courage et non de faiblesse ? Être loyal, mais par rapport à quelle valeur ?

La violence est sur le front, la douceur est dans les taches de couleurs que pose sur la toile Théodore. La violence est dans la Somme ou à Verdun, pas dans le cagibi du grenier ou Théodore est caché depuis maintenant des mois. Gaëlle Nohant dit merveilleusement les séances de pose, la recherche du portrait juste et réaliste pour montrer, ou sa simplification pour dire l’essentiel. La peinture se libère du carcan de l’Académisme, la vie ancestrale dans le domaine viticole de Isaure éclate sous l’orage. Renoncer à ses désirs pour vivre selon les conventions sociales et religieuses a choisi Isaure. Ecouter son corps et ses envies est le choix de Rosalie.

Dans ce roman, Gaëlle Nohant fait surgir de ses mots délicats, l’amour, le désir, la beauté d’être soi même. Elle fait découvrir à Rosalie que « cette joie qui n’en finit pas de résonner dans son corps la réconcilie avec la fillette qui pensait que si elle courait assez vite, le diable lui même n’arriverait pas à la rattraper ». Courir de l’adolescence à l’âge adulte, courir pour découvrir que la vie n’est qu’incertitude et découvertes. Quand vient l’orage, même le diable ne peut l’empêcher.

L’Homme sous l’orage de Gaëlle Nohant. Éditions L’Iconoclaste. 350 pages. 21,90€. Parution le 21 Août 2025

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.