« Il y a tant de Requiem que je ne vois pas la nécessité d’en faire un de plus ». C’est ce que Verdi écrivait, à l’âge de 58 ans, à l’éditeur italien Ricordi qui lui suggérait d’en composer un. Il fallut un puissant stimulus – en la matière, la mort du patriote Alessandro Manzoni – pour décider Verdi à entamer l’écriture de celle qui devint, avec l’oeuvre de Mozart, une des plus bouleversantes et des plus vibrantes messes des défunts.
Ce Requiem respecte l’habituelle construction d’une messe des morts, héritée d’une liturgie du XIVe siècle. Il y a pourtant une réelle spécificité lorsqu’on évoque celui de Verdi. Comment ne pas sentir à tout moment l’écriture particulière de celui qui était déjà l’auteur de 10 opéras : Ernani, Rigoletto, le Trouvère, la Traviata, un bal masqué, La force du destin, Don Carlos, Aïda, etc. L’écriture est opératique mais l’intériorité et la profonde réflexion personnelle illuminent cette œuvre et lui confèrent une personnalité très marquée. Que penser en effet des violentes imprécations du Dies irae, barrant rageusement la partition de grands traits noirs ? Lorsque l’on sait que Verdi n’était pas particulièrement religieux, il faut y voir l’expression d’une épreuve profonde et douloureuse dont la guérison ne pouvait trouver d’autre voie que la transcription musicale.
Il lui fallut à peu près 7 mois, partagés entre l’Italie et Paris pour coucher sur papier sa majestueuse messe de Requiem, elle fut donnée pour la première fois, le jour anniversaire de la mort de Manzoni, en l’église San Marco à Milan, Verdi ne pouvait faire moins que de diriger lui-même sa création, le succès fut immense.
C’est sans doute ce qui explique que le TNB, 2 soirs de suite affichait « complet » et que les négligents qui n’avaient pas réservé durent retourner en leurs foyers « honteux et confus ».
Arie van Beek, pour l’occasion chef invité, a dirigé avec beaucoup de compétence un ensemble formé de membres de l’orchestre de Picardie et de l’orchestre symphonique de Bretagne. La parfaite exécution musicale et la cohérence de l’ensemble ont créé une pâte musicale très homogène et ont fourni au considérable chœur du Brigthon festival chorus un écrin de qualité mettant en avant son indiscutable expérience.
Du côté des solistes, c’est dans un vivier de jeunes artistes que les organisateurs étaient allés puiser – en l’occurrence au sein du « Jette Parcher young artists programme, Royal Opéra House Covent Garden. »
Anush Hovhannisyan, la soprano d’origine Arménienne, incarne parfaitement l’image classique de la prima dona. Sa voix, capable de subtils mezza-voce — ce qui n’est pas toujours l’apanage de ces cantatrices – nous offre quelques moments d’émotion. Elle sait chanter en groupe et a toujours la sagesse de ne pas tirer la couverture à elle. Son travail est sérieux même s’il manque légèrement de nuances, elle est appliquée mais pas encore tout à fait émouvante.
Monika-Evelyn Liiv la mezzo-soprano estonniene fut sans doute la plus convaincante du quatuor. Sa voix est bien posée, claire, et la partition lui offre de belles occasions de se mettre en valeur. Elle ne les a pas manquées. Elle a été la seule à faire quelques brefs instants briller les yeux du public. Cette jeune femme ne manque pas de qualité, seules les notes très graves desservent sa voix.
Pablo Bemsch, jeune ténor venu d’Argentine possède d’indiscutables qualités. Sa voix est belle, sa diction remarquable – ce qui n’est pas la moindre des choses. Il apporte à son interprétation une conviction touchante. Il y a cependant toujours en musique des bémols et la petite réserve que nous émettons est celle de la puissance de sa voix qui ne parait pas le prédisposer aux exigences verdiennes. Il serait sans doute parfait dans une passion de Bach ou autres œuvres religieuses. Un univers où spiritualité et musique se rejoindraient semble le terreau idéal pour voir se développer un talent en devenir.
Jihoon Kim, basse coréenne, est sans doute la surprise de la soirée. Ce jeune asiatique au gabarit modeste, comme c’est bien souvent le cas pour les personnes originaires de cette péninsule, nous envoie au visage et sans aucun complexe une voix forte et grave qui semble presque incongrue dans un corps aux si modestes mensurations. Il n’en brille pas moins au moment d’exécuter le terrible et émouvant mors stupebit. Mors stupebit et natura cum resurget creatura judicanti responsura, autrement dit, la mort et la nature seront dans l’effroi lorsque la créature ressuscitera pour rendre compte au juge. Jihoon Kim annonce l’anathème avec une voix sépulcrale, le public est muet de stupeur… Que demander de mieux ?!
Y a-t-il quelque chose de plus injuste que de reprocher à des gens jeunes leur inexpérience ? L’expérience n’est-elle pas le triste privilège de ceux qui ont vu défiler devant leurs yeux un trop grand nombre d’années ? Convenons-en : ce quatuor de jeunes chanteurs est toujours en période de formation, gageons qu’il progressera encore beaucoup, mais indiscutablement la base est bonne.
Pas de raison alors de s’étonner de la longue ovation qui a couronné un nouveau succès, non seulement de l’OSB, mais encore de l’ensemble des participants. Et il ne fallut pas moins de 7 à 8 rappels pour satisfaire un public rennais enthousiaste et reconnaissant.
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, c’est avec un vif plaisir que nous avons appris que, contrairement à ce qui avait été annoncé dans la presse – semble de t-il, de manière précipitée – le directeur de l’Opéra de Rennes, Alain Surrans, reste parmi nous. Concluons sur cette vraie bonne nouvelle pour le public lyrique rennais.
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Requiem de Verdi au TNB : un appréciable succès pour l’OSB