Ce requiem de Fauré était donné sous les voûtes dorées de la Cathédrale Saint-Pierre de Rennes alors que finissaient de s’estomper les ultimes échos baroques de la musique de Marc-Antoine Charpentier. Gildas Pungier de l’ensemble Mélisme(s) et l’Orchestre Symphonique de Bretagne (OSB) nous ont proposé jeudi 17 mars un instant de partage et de profonde réflexion avec le Requiem OP. 48 pour soprano, baryton et chœur de Gabriel Fauré. C’est sûr : Dieu n’est pas bien loin !
L’exercice n’est pas totalement nouveau et de grands devanciers ont laissé des messes des défunts dont les éclats retentissent encore dans toutes les mémoires. Celui de Mozart, si emprunt de souffrance et presque divinatoire. Celui de Berlioz où la même souffrance se teinte de terreurs et d’inutile révolte. Sans oublier Verdi dont les mélodies inspirées de son expérience opératique, sont plus narratives mais pas moins exaltées comme en témoignent les coups violents qui inaugurent le Dies Irae. Chez Gabriel Fauré, l’approche est un peu différente mais cette différence influence totalement la musique. On s’éloigne de la prière comprise comme une supplique et on est immédiatement dans une forme d’Action de grâce : Fauré « remercie ». Cela met en lumière une conception de la mort, qui est parfaitement celle d’un chrétien. Pourquoi craindre le trépas si nos œuvres nous ont permis d’espérer la vie éternelle. Cela peut parfaitement se concevoir, à un détail près, c’est que Fauré n’était pas croyant mais agnostique.
Soucieux du résultat qu’il souhaite obtenir, Gabriel Fauré écarte de son écriture, le fameux Dies Irae, véritable morceau de bravoure des autres compositeurs, et lui préfère la prière du Pie Jesu, dépouillée à l’extrême. D’ailleurs, à la création de l’œuvre, afin de préserver une certaine idée de la pureté et de l’innocence, c’est à la voix d’un enfant, dénuée de sensualité, que fut confiée cette pieuse et simple mélodie. À l’écoute, dans une église pleine, on mesure la limite de cette respectable intention. La soprano, Amira Sélim nous délivrera une très belle interprétation de ce que le philosophe Vladimir Jankélévitch qualifiait de « poème du legato et de l’extrême densité »
Ce qui différencie clairement le Requiem de Fauré c’est la conviction qu’il a d’écrire, non pas une œuvre marquée par la souffrance, mais un véritable chant de résurrection. Il est par là même à la fois le plus authentique mais également le plus sincère.
N’allons pas, toutefois, trop vite en besogne, car cette soirée musicale divisée en deux parties nous a permis de faire connaissance avec la musique de Paul Le Flem, à travers deux pièces sacrées Jesus dulcis in memoria et In paradisum. Il y a une certaine proximité avec la musique de Fauré avec, en plus, un soupçon de contemporanéité. Avec Paul Ladmirault et ses deux traditionnels Bretons, Niho salud gant Karantez (Nous te saluons avec amour) et Ar baradoz (Le paradis), nous retrouvons l’étonnante chanteuse Marthe Vassalot, croisée en ce même lieu pour l’inauguration de la cathédrale et quelques semaines plus tard à l’opéra pour une rencontre avec Schubert. Le frisson que sa voix chaude et passionnée fait naître chez le public ne s’est pas atténué et c’est une cathédrale pleine qui reste coite, n’osant troubler le silence qui ponctue ses interventions. Excellente occasion également pour l’ensemble Mélisme(s) et son chef, Gildas Pungier, de nous montrer une fois de plus, l’étendue de son talent.
Le Cantique de Jean Racine de Gabriel Fauré n’a rien perdu de son émotion et comme les voûtes d’une église lui vont bien ! Les passages « forte » nous clouent sur nos sièges, figés dans un instant de pure extase. Il nous faut bien admettre que la résonance particulière d’une église donne à ces œuvres une dimension qu’il est impossible de retrouver ailleurs. Cette remarque vaudra pour le Requiem lequel, sous la direction de Gildas Pungier atteindra des sommets de beauté. Passé l’appel péremptoire des premiers accords, les mélodies vont se dérouler dans un climat quasi hypnotique. La première phrase est un résumé qui sera répété à l’envie : Requiem aeternam dona eis domine et lux perpetua luceat eis (Seigneur, accorde leur le repos éternel et que ta lumière les éclaire à jamais). L’offertoire, continue par une prière pleine d’humilité et de crainte : (Libère les âmes de tous les maux des peines éternelles et du lac profond). Cette dernière remarque est liée à la croyance hébraïque qui veut que l’enfer soit un gouffre situé sous la croûte terrestre. Ne absorbeat Tartarus (Que le Tartare ne les engloutisse pas) n’est que la confirmation de cette peur… C’est à ce moment que la prière passe à un degré d’intensité supérieur avec l’intervention du baryton. Il est seul et sa voix est celle d’un orant à genoux. Hostias et preces tibi, Domine, laudis offerimus (Nous t’offrons, Seigneur, ce sacrifice et ces prières). C’est pour nous l’occasion de découvrir Richard Rittelmann, le baryton invité pour cette soirée, qui dès les premières notes impressionne tant par la qualité de sa voix que par la conviction de son interprétation. Il ne tombe pas dans le travers habituel qui consiste à donner à cette œuvre une tonalité trop « opéra », au contraire, il est convaincant d’exactitude et de sobriété.
Ce fut donc pour tous les chanteurs comme pour l’orchestre symphonique de Bretagne une nouvelle occasion de faire montre de remarquables qualités en offrant une soirée de très haute tenue. Le public, visiblement impressionné, est resté silencieux près de trente secondes après l’ultime geste de Gildas Pungier.
Orchestre Symphonique de Bretagne et Chœur de chambre Mélisme(s)
Direction : Gildas Pungier
Soprano : Amira Sélim
Baryton : Richard Rittelmann
Programme :
Gabriel Fauré
Cantique de Jean Racine op. 11
Paul Ladmirault
Chansons écossaises (orchestration Gildas Pungier)
Gabriel Fauré
Requiem op. 48
Vendredi 18 mars 2016 à 20h30
Saint Brieuc / La Passerelle
Dimanche 20 mars 2016 à 16h
Dol de Bretagne / L’Odyssée
Mercredi 23 mars 2016 à 20h30
Fouesnant / L’Archipel
Jeudi 24 mars 2016 à 20h30
Cesson Sévigné / Le Carré Sévigné
Mardi 29 mars 2016 à 20h30
Brest / Le Quartz