L’Afrique s’invite jeudi 26 mai 2016 sur la scène de la Nouvelle Vague à Saint-Malo à travers la voix pleine, douce et posée de Rokia Traoré. Une artiste accomplie qui préfère désormais les allers-retours aux grandes tournées internationales. Son engagement artistique repose depuis toujours sur un principe fort : ne pas faire ailleurs ce que je peux, ce que je veux, vivre chez moi, au Mali.
« Chez moi » c’est d’ailleurs le nom de son dernier album « Né so », qui veut dire aussi « maison », « joie de vivre ». Mais c’est aux réfugiés que pense Rokia Traoré quand elle attaque ce nouveau projet, comme c’est au monde qu’elle s’adresse et pas seulement aux siens.
J’ai besoin de vivre en interaction, et j’ai choisi le métier parfait pour ça, même si la création implique aussi de savoir s’isoler pour laisser émerger ce qui va nourrir le prochain projet, pour garder à l’esprit que rien n’est jamais acquis. »
Rokia Traoré nourrit depuis le début de sa carrière en marge de son propre travail d’expression et de création une belle ambition pour la jeunesse de son pays qui vient de se concrétiser par l’inauguration de l’Espace culturel Passerelle à Bamako, le 30 avril dernier : une scène ouverte avec 1800 places, des salles de répétition, un studio de danse, une école primaire. Cette réussite portée par la Fondation Rokia Traoré en dit long sur les convictions et l’engagement de l’artiste. Elle traduit concrètement son souhait de voir le continent africain s’emparer de cette cause du développement parmi d’autres qu’est la Culture.
Vendredi, accompagnée de sa nouvelle formation, Rokia Traoré était sur une des scènes du plus grand festival du Maroc, Mawazine. « Beaucoup d’efforts sont fournis au Maroc pour la Culture. Ce n’est pas toujours le cas dans le monde. En Afrique, il y a un manque. Alors pour l’artiste africaine que je suis, c’est réconfortant de voir de si belles dynamiques à l’œuvre, avec l’espoir qu’elles fassent contagion sur le continent. »
À Saint-Malo, Rokia Traoré sera donc accompagnée par cette nouvelle génération de musiciens africains pour qui les opportunités restent rares et l’Europe, une tentation par défaut, la certitude d’un exil non choisi pour seule assurance. Avec ce groupe, son nouvel album, sa Fondation, la grande chanteuse malienne fait passer un message positif qui va bien au-delà de la musique, un appel sensible et responsable qui mérite d’être entendu des deux côtés de la Méditerranée.
Quant à la Bretagne, Rokia Troaré connaît bien, elle y a même fait ses débuts grâce aux nombreux contacts pris à l’époque avec un vaste réseau d’organisateurs croisé au Festival Le Chaînon manquant. Des années plus tard, la revoilà avec des sonorités qui nous font toujours autant de bien, et pas une grande scène de festival où elle n’est fait entendre son répertoire de diva du rock mandingue.
« Le Mali, c’est ma terre, ma matière. C’est là que je veux vivre, c’est ici que je veux voir mes enfants grandir. Au sein du groupe, on partage tous cette envie d’apporter à notre pays et pour ce qui est des couleurs musicales, ça me va très bien. »
Si Rokia Traoré ne veut pas que ses enfants grandissent comme elle « entre-deux », elle sait aussi ne pas mettre de frontière pour éviter de raisonner sur la base d’oppositions stériles, de responsabilités supposées, quand il y a déjà assez à faire avec la réalité. Bel exemple que cette réponse pragmatique où l’on sent poindre toute la force d’une personnalité qui s’est forgée dans un rapport complexe à soi, à l’autre, à sa double culture, et qui en arrive à cette conclusion ouvrant sur tous les possibles : Assume !
Chaque scène, chaque album, est une opportunité pour s’exprimer. On ne devient pas artiste si l’on n’a rien à dire. Pour qui veut écrire, chanter, diriger des projets, il y a moins d’obstacles pour un homme, c’est vrai. C’est le cas dans tous les domaines et pas qu’en Afrique, la parité n’existe pas. Mais en soi les hommes ont aussi leurs propres problèmes avec leur état d’homme. Qu’une femme rencontre plus d’obstacles dans un domaine où la compétition est déjà énorme et où les talents sont nombreux, ça ne fait pas vraiment de différence. Ça ne veut pas dire qu’il faut accepter comme une fatalité cette absence d’égalité des chances, mais que l’essentiel c’est d’être clair, qu’on soit homme ou femme, sur sa capacité à passer outre les obstacles. Ils ne sont pas insurmontables. Il naît une force de cette fragilité domptée dans le feu de chaque situation qui demande à se dépasser. Car c’est une chose de parvenir à percer, à faire carrière et d’arriver à un bon niveau dans le milieu de la scène, c’en est une autre que de rester, de tenir le coup.
Rokia Traoré, Jeudi 26 mai 2016, La Nouvelle Vague, Saint-Malo
Album Né so, nonesuch records, warner music
Quelques dates de concert :
27/05/16
BOURG EN BRESSE à La Tannerie
28/05/16
SAINT PAUL LES DAX à Festival Tempo du monde
17/06/16
PARIS à Jazz à la Défense
23/06/16
LEEDS à TBC