Russell Banks > American Darling > Un roman aux multiples facettes

Russelm Banks est un prestidigitateur. Les premières pages d’American Darling laissent présager une lecture facile et divertissante, peut-être même quelques longueurs. Et comme par magie, on se retrouve envoûté par ce roman fascinant, à l’intrigue aussi originale que touchante, au propos subtilement émaillé d’une critique politique qui fait mouche.

Résumé

Hannah Musgrave est une femme singulière dont personne ne connaît le passé. Elle revient en Afrique où elle a été conduite à s’installer pour fuir la justice fédérale des États-Unis à la suite de son engagement dans des mouvements anarchistes. Que s’est-il passé au Liberia, durant toutes ces années ? Pourquoi a-t-elle dû s’enfuir de nouveau et rejoindre son pays au risque d’y être emprisonnée ?

Un livre captivant et engagé

Sous la plume de Russell Banks, Hannah devient une antihéroïne antipathique et glaçante. Elle porte sur la vie un regard grave, froid, fataliste, presque dénué d’émotions. Elle est sans nouvelles de ses trois enfants, devenus des rebelles sanguinaires de la guerre civile libérienne; elle n’a ni famille ni amis proches, son mari, mort assassiné, était membre du gouvernement dictatorial du Liberia; et tout cela semble lui convenir.

On dévore American Darling, taraudé par une question lancinante : comment cette femme en est-elle arrivée là ? Hannah tente de répondre à cette question et nous entraîne dans un périple fascinant aux États-Unis et au Liberia, deux pays que tout semble opposer. C’est compter sans l’ironie grinçante de Russell Banks et l’activisme politique notoire de cet auteur furieusement opposé à la politique hégémonique et impérialiste de sa nation. Il dépeint les États-Unis comme une nation rigide et intolérante dans laquelle tous doivent parler d’une seule voix, unis par un consensus bien-pensant, prêts à combattre pour défendre leurs valeurs. Militante dans les mouvements révolutionnaires des années 1970, opposée à la guerre du Vietnam, en révolte contre son époque, Hannah Musgrave fuit les États-Unis, pays de la liberté, et trouve refuge dans une dictature africaine. Russel Banks marque un point.

Mais American Darling n’est pas une simple critique de la politique intérieure et étrangère américaine. Russell Banks façonne ses personnages avec soin et leur donne une véritable consistance. Le lecteur pénètre l’intimité de cette femme qui dévoile ses failles avec simplicité, sans chercher ni justification, ni absolution: son absence d’instinct maternel, son incompréhension des rites culturels et tribaux de sa belle-famille, sa passive complaisance envers les dirigeants d’un régime corrompu, sa grande solitude durant toute sa vie… Hannah se révèle dans toute son humanité et l’hostilité qu’elle suscite dans les premières pages se transforme en bienveillance. N’a-t-on pas porté un jugement un peu hâtif ?

À conseiller si…

…vous êtes en panne d’idées de lecture. American Darling est un livre aux multiples facettes qui s’adaptera à votre humeur: un roman captivant, l’histoire d’une femme, des considérations politiques sans complaisance, voire une invitation à l’introspection et à la réflexion.

Extraits :

Il ne fait pas bon de vieillir pour les femmes… selon un homme, en tout cas !

Il m’a fallu plus d’une décennie avant que je ne me sente en état de retourner à Monrovia pour affronter les conséquences de cette ultime nuit. Et j’avais alors cinquante-huit ans. Pas vraiment une vieille femme, en tout cas pas selon l’échelle d’aujourd’hui, mais pas mal décatie pour ce qui est du visage et du corps. […] Je ne suis que la coquille de ce que j’étais il y a douze ans. En vieillissant, nous devenons des animaux différents. Surtout les femmes. Et quand nous sommes devenues un animal qui n’a plus d’intérêt sexuel, les jeunes – parce qu’ils croient qu’ils ne seront jamais vieux – nous traitent comme si nous étions une autre sorte de primate. Comme si l’un de nous était un chimpanzé et l’autre un être humain.

Hélène

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Russell Banks, American Darling, Actes Sud, janvier 2007, 570 pages, 10,50€

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