La saga Maeght, Une Fondation en Yoyo…

La Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, a fêté en juillet dernier son demi-siècle. La parution d’un livre par la petite fille d’Aimé Maeght rappelle les étapes exceptionnelles de cette aventure artistique hors du commun. La saga Maeght. Passionnant et… glaçant.

La réussite sociale, intellectuelle, financière suscite souvent une question primordiale : quelle est la part du hasard, quelle est la part des qualités personnelles ? Quand il s’agit d’Aimé et de Marguerite Maeght, lesquels comptent parmi les plus importants marchands d’art du XXe siècle, cette question vient immédiatement à l’esprit.

saga maeghtComment en effet un garçon, pupille de la nation, du Nord de la France, sans richesse personnelle, parvient-il à créer sur la Côte d’Azur l’une des plus importantes fondations d’art au monde ? A devenir pendant plus de trente ans le plus important marchand de tableaux ? Sa petite fille Yoyo y répond dans ce livre.

Des qualités individuelles, il en faut indiscutablement. Yoyo les énumère avec avidité tout au long de l’ouvrage : une sensibilité enfantine certaine aux choses de l’art, une relation aux autres remarquable attentive et intense, des connaissances professionnelles indubitables, une passion et une vision des choses bien au-dessus des normes, l’envie permanente d’innover, des projets sans limites avec la présence d’une épouse tempérante et complémentaire. Toutes ces qualités le « Papy » de Yoyo les possède indiscutablement. Mais le destin a apporté finalement des coups de pouce indispensables : la Seconde Guerre mondiale qui a fait émigrer sur la Côte d’Azur des collectionneurs et des artistes, la présence de Bonnard, la rencontre de Marguerite Maeght avec Matisse dans la salle d’attente d’un médecin, et des tas de petites coïncidences qui ont placé les Maeght au bon endroit au bon moment. C’est la conjonction du talent et du hasard qui a ainsi fait d’Aimé et Marguerite Maeght des acteurs essentiels de l’histoire de l’art.

Fondation Maeght
Fondation Maeght

Tout se joue dans l’immédiat après guerre : un important marchand d’art trop proche de la collaboration avec les Allemands, une redistribution des rôles, les Maeght profitent du vide et de l’instabilité du moment pour tisser les liens avec des artistes déjà reconnus (Bonnard, Matisse, Braque) mais aussi avec des artistes en devenir comme Giacometti. En cinq ans tout est bouclé et l’amitié indestructible qui se met en place avec Miro assure définitivement le socle d’une fondation à venir. Mais Aimé n’est pas qu’un galeriste et l’on découvre avec Yoyo combien il diversifie les activités, créant l’évènement par des expositions dont on parle, même si elles se soldent par des échecs commerciaux, mais aussi en éditant inlassablement des revues ou des lithographies de qualité exceptionnelle. Lithographe de métier, Aimé Maeght a toujours considéré ce support comme l’avenir tant du point de vue de la diffusion des œuvres, de leur démocratisation que du succès commercial.

Yoyo Maeght
Yoyo Maeght

Yoyo dans ses pages s’enflamme et montre avec bonheur la passion de son grand-père pour l’art qui n’a d’égal que son propre grand amour à l’égard de ses grands-parents, si éloigné de la froideur des sentiments à son égard de ses propres parents, Adrien et Paule (elle n’a su qu’à dix-huit ans qu’elle n’était pas une enfant trouvée comment lui racontaient ses parents !). Elle montre à l’envi toute l’imagination, toute l’énergie déployée au cours de ses années essentielles par Marguerite et Aimé. Et l’on devine que rien ne se serait construit sans les qualités humaines de ce couple hors du commun, qualités d’écoute, de compréhension des artistes, qui trouvent en eux plus que de simples intermédiaires commerciaux.

Marguerité et Aimé Maeght
Marguerité et Aimé Maeght

C’est donc une partie de l’histoire de l’art du début de la moitié du XXe siècle, que l’on découvre, une période ou Yoyo rappelle avec nostalgie combien Paris était le centre du monde en la matière. Les discours de Bonnard qui ouvrent la voie à une réflexion sur le Tableau et son état d’inachèvement permanent, l’assurance de Giacometti, encore inconnu, qui exige d’Aimé de le choisir en exclusivité, la reconnaissance tardive de Calder que Marguerite aimait tant et à qui elle confiait devant ses sculptures : « tu as dû te racler la cervelle pour trouver ça ? » : tous ces moments privilégiés font l’intérêt majeur de ce livre.

Mais ce témoignage ne s’arrête pas là et il chavire complètement, comme la vie de la famille, après le décès d’Aimé. Cette rupture totale dans l’ouvrage correspond à un changement total dans l’univers des Maeght et dans l’affectif de Yoyo.

Fondation MaeghtTout n’est plus alors qu’antagonisme. C’est comme si avec la mort d’Aimé, tout basculait. Le monde de l’art passe d’une période de collectionneurs fortunés, mais passionnés et connaisseurs, à celui d’investisseurs, de spéculateurs. A l’image de cette mutation, la tête de la famille passe d’Aimé qui a cherché toute sa vie à comprendre les chemins menant de Lascaux à Kandinsky à Adrien le fils qui s’intéresse aux voitures et à ses « danseuses ». Lors de la mort à onze ans de Bernard, le second fils d’Aimé et de Marguerite, Giacometti, Miro et tous les artistes ont soutenu le couple meurtri. Tous refusent de travailler ensuite avec Adrien. Comme un symbole de cette déflagration, commence alors un immense déballage écrit et précis, qui peut donner la nausée, tant sont détaillés les malversations financières, les coups bas, les avilissements à peine imaginables dans une famille cultivée.

Adrien Maeght
Adrien Maeght

La lecture procure alors un certain malaise, celui de rentrer dans les coulisses de sombres histoires de famille. Les agissements d’Adrien le père et d’Isabelle, la sœur ainée, défient le sens commun. On découvre simultanément la face moins connue du monde de l’art mais bien réelle : ses enjeux financiers, ses stratégies commerciales, ses flagorneries, ses complicités, ses bassesses. Un univers dont René Char affirmait : « le monde de l’art n’est pas le monde du pardon ».

La Fondation Maeght, accuse finalement Yoyo, est devenue conforme à l’image de notre monde, celui de l’esbroufe, du superficiel. Un monde où il faut être vu. Un monde ou l’argent prime le Beau.

Aimé Maeght
Aimé Maeght

Alors en refermant l’ouvrage on préfère garder en mémoire les pages qui décrivent le destin d’un couple exceptionnel, de grands-parents qui vous permettent, à vous enfant, de prendre votre goûter sur les genoux de Picasso, de Prévert ou de Chagall. D’un couple qui vous fait oublier partiellement l’absence physique et affective des parents, mais qui vous ouvre les yeux sur les merveilles de la création artistique et vous permet de jouer à cache-cache derrière les sculptures de Miro. Et puis un Papy et une Mamy que l’on aime serrer dans ses bras, cela n’a pas de prix.

La saga Maeght Yoyo Maeght. Éditions Robert Laffont, juillet 2014, 336 pages, 21,50€

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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