Saint-Grégoire près de Rennes. Joyeuses, des fleurs locales et de saison en circuit court

joyeuses fleurs rennes

Les fleurs Joyeuses ont éclos à l’été 2023 sur les terres des Vergers de l’Ille à Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine). Christine Charles, architecte reconvertie dans la floriculture, espère redonner une place à la fleur locale dans un marché dominé par l’importation et dans un pays où la filière horticole s’est presque éteinte il y a quelques années. Rencontre.

Il est 8 h et une belle lumière d’automne perce la brume qui enveloppe La Fouinardière, lieu-dit de Saint-Grégoire à 10 minutes en voiture de Rennes. Mardi matin, c’est le cash, une vente de fleurs et de feuillages aux fleuristes du coin. Christine Charles veille à ce que chacun et chacune reçoive sa commande exacte. Les derniers acheteurs partis, elle nous fait visiter le terrain sur lequel elle a lancé, en 2023, la production des fleurs Joyeuses.

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Christine Charles, nouvelle floricultrice

Joyeuses est une nouvelle branche des Vergers de l’Ille, ferme spécialisée dans la pomme, le jus et le cidre en agriculture biologique. Les fleurs, c’est la passion de Christine Charles. À 53 ans, après une carrière d’architecte en région parisienne, elle décide de changer de vie. Depuis 2019, elle vit avec son conjoint Étienne Lehuger à la ferme des Vergers. « Ça a été l’occasion d’une prise de conscience éthique et écologique par un apprentissage quotidien au plus près du vivant et de ce qui nous nourrit », déclare-t-elle. Ne souhaitant pas recommencer une carrière d’architecte en Bretagne, elle cherche à assouvir sa vieille passion pour les plantes. « Déjà quand j’étais étudiante en archi, je me suis souvent dit que j’aurais plutôt dû faire de l’horticulture », confie-t-elle. Les deux métiers peuvent paraître bien éloignés, pourtant « dans la fleur comme dans l’architecture, il y a l’envie de faire du beau. J’avais besoin de cette dimension esthétique, et d’esthétique offerte à tous. Je n’aimerais pas que la fleur devienne un privilège. Cette notion d’accessibilité du beau, c’est un discours d’architecte. »

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Christine Charles

Des fleurs aux Vergers de l’Ille

En reconversion tardive, Christine Charles ne veut pas perdre de temps. Elle apprend sur le tas, épaulée par les agriculteurs des Vergers de l’Ille qui disposent du matériel et des connaissances du sol et du terrain. Pour cette première année de test, elle se concentre sur des fleurs annuelles d’été et d’automne et commence également les vivaces. Le tout sur une parcelle de 1500 m2 cultivée qui devrait avoir la certification agriculture biologique d’ici deux ans. Cette année, Christine a cultivé des cléomes, des cosmos, des delphiniums, des glaïeuls, des gypsophiles, des immortelles, des marguerites, des nigelles, des fleurs de pavot, des reines-marguerites, des rudbeckias, des scabieuses, des tithonias, des soucis des jardins, des tournesols, des zinnias. Et côté vivaces, des dahlias, des asters, des anémones du Japon, des buplèvres, des échinops, des eryngiums, des gaillardes, des monardes, des échinacées, des lupins, de la verveine, des achillées, de la sauge, des cannas, des crocosmias. Elle s’est aussi spécialisée dans le feuillage comestible : aneth, basilic, shiso, roquette, coriandre, chia et fenouil.

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En septembre 2023, Christine Charles commence à commercialiser sa production. Les particuliers peuvent acheter bottes et bouquets directement à la ferme les mercredis et samedi après-midi (sur les mêmes créneaux que la vente de pommes, jus et cidre des Vergers de l’Ille) ou en commander tous les jours sauf le dimanche avec retrait à la ferme. Les fleurs Joyeuses se trouvent aussi dans les magasins de producteurs fermiers Brin d’herbe à Vezin-le-Coquet et Chantepie. Pour les fleuristes, ils peuvent se fournir via la plateforme Fleurs d’ici. De plus, un cash est organisé le mardi matin aux Vergers de l’Ille, en collaboration avec d’autres producteurs et productrices locaux. Un autre a lieu le jeudi à Noyal chez le producteur Jean-Michel Leven.

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Cette première année a conforté Christine Charles dans sa passion horticole et dans son envie de développer l’activité de Joyeuses. Elle prépare d’ores et déjà les prochaines récoltes : « Ça, c’est la planche de tulipes qu’on démarre ce matin. On en a déjà planté 900 la semaine dernière. On en aura 2500 cette année ». Cela dit, elle ne cache pas ses doutes quant à la viabilité du modèle économique. « Si on ne vend qu’aux fleuristes, on ne s’en sort pas économiquement », souligne-t-elle. Elle souhaite donc pousser la vente aux particuliers, par exemple en participant à un marché hebdomadaire. La parcelle exploitée cette année va être transformée en espace ouvert de cueillette. « C’est une façon de se faire connaître et c’est mon objectif depuis le début : faire de la fleur pour tout le monde. J’aurais rêvé d’avoir un lieu pas loin de chez moi où on peut cueillir des fleurs soi-même et les avoir à pas cher », explique Christine. Aux fleurs s’ajouteront des fruits rouges : framboises, groseilles, cassis et mûres. Aux feuillages annuels s’ajouteront des arbustes : lilas, céanothes, tamarix, romarins, camélias. Une autre parcelle de 2000 m2 sera ouverte l’année prochaine, réservée celle-là aux fleurs vendues aux fleuristes.

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Slow flower et fleurs Joyeuses

En devenant floricultrice, Christine Charles prend part à une dynamique qui cherche à ressusciter la filière horticole française. « À la fin des années 80, il y avait 8000 horticulteurs en France. Fin 2010, il n’y en a plus que 500. », rapporte-t-elle. C’est à peu près à cette période que le mouvement slow flower atteint la France, lui qui apparaît aux États-Unis dans les années 2000, sur le même principe d’agriculture raisonnée que la slow food. Le constat est éloquent : environ 85 % des fleurs coupées vendues en France, si ce n’est plus, sont issues de l’importation. La plupart transitent par les Pays-Bas en venant du Kenya, d’Éthiopie, d’Équateur ou de Colombie, entraînant des coûts de transport et énergétiques démentiels. 

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En 2017, deux structures militantes importantes voient le jour en France : le Collectif de la fleur française, association regroupant les fleuristes et producteurs engagés pour la fleur française, locale et de saison, et Fleurs d’ici, une boutique en ligne et marque qui met en lien producteurs et fleuristes locaux. Elles rappellent régulièrement des chiffres qui font peur : un bouquet de 25 roses importées représente la même quantité de CO2 qu’un trajet Paris-Londres en avion. Dans ce bouquet, on trouve jusqu’à 25 substances chimiques interdites en Europe. Au Kenya, les salaires dans les serres de roses se situent autour de 100 $/mois (source : Fleurs d’ici). « C’est indécent, on ne peut plus faire ça », s’indigne Christine Charles. La floricultrice en appelle à la même prise de conscience que pour l’alimentation. « Les gens commencent à comprendre que manger des tomates en hiver, c’est un problème. Ils imaginent les serres chauffées, les tomates qui voyagent en avion… Avec la fleur, on ne voit pas encore au-delà du bouquet qu’on achète », déplore-t-elle. 

Cet état de la filière horticole est dû notamment à la saisonnalité des fleurs. La difficulté, pour les fleuristes et les producteurs, c’est qu’il faut en vivre toute l’année. Christine Charles a bien quelques préconisations à ce sujet : « on peut faire durer les saisons en mettant sous serre ou sous tunnel, on peut faire un peu de fleurs l’hiver parce qu’il y en a quand même quelques-unes, on peut accepter d’avoir moins de fleurs de couleur mais plus de feuillages ou d’arbustes fleuris, on peut aussi travailler davantage avec de la fleur séchée ». Mais on ne peut pas laisser le marché dicter ses lois à la nature. « Si on veut arrêter d’acheminer des fleurs de l’autre bout du monde, il faut se rendre à l’évidence qu’on n’aura pas toutes ces jolies fleurs l’hiver. Mais c’est pas grave, elles reviennent », relativise Christine.

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« Fleuristes, évoluez ! »

Dans le changement d’habitudes que Christine Charles appelle de ses vœux, les fleuristes ont un rôle clé. Or, pour le moment, ils sont assez peu à avoir répondu présent au cash des Vergers de l’Ille. « On est six producteurs à avoir mis nos énergies en commun pour avoir une offre conséquente et diversifiée à destination des fleuristes de Rennes. Sur les 50 qu’on contacte chaque semaine, il n’y en a que sept à être venus régulièrement… » La floricultrice est consciente que la filière, en pleine renaissance avec une centaine de fermes florales qui ouvrent chaque année en France, doit se structurer, se professionnaliser, être soutenue par les pouvoirs publics si elle veut perdurer face au marché de l’importation. Certes, les fleuristes trouvent un certain confort pratique dans le fait de travailler avec un seul et même grossiste conventionnel. Mais à quel prix pour notre planète ? « Il y a des fleuristes très engagés qui viennent toutes les semaines, d’autres qu’on ne voit jamais mais qui commencent à s’intéresser à la fleur locale parce que la clientèle leur demande. Il faut que ces fleuristes sautent le pas et viennent nous voir. Fleuristes, évoluez ! », exhorte Christine.

Pauline Gaudré, fleuriste chez Naturellement Fleurs à Rennes, est venue régulièrement au cash de Joyeuses depuis septembre. Au-delà d’un engagement pour une production plus raisonnée et de la réponse à des demandes de plus plus récurrentes de la part de la clientèle, elle explique que le coût des fleurs importées a flambé depuis le Covid, rendant la fleur française plus abordable, « qui plus est chez Joyeuses où il y a moins d’intermédiaires ». Le feuillage est même moins cher que dans le circuit conventionnel, indique-t-elle. 

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On en profite pour l’interroger sur la qualité des fleurs Joyeuses. « On a un produit coupé la veille. En termes de fraîcheur, on ne peut pas faire mieux. Les fleurs sont plus fragiles car moins traitées, mais elles ont une durée dans le temps à peu près équivalente et on peut avoir des fleurs beaucoup plus délicates. Ça permet de proposer des choses qui sortent de l’ordinaire, par exemple la fleur de basilic qu’on ne trouve jamais dans les produits importés. Les fleurs locales sont moins normées aussi, il y a plus d’aléatoire dans les couleurs et les formes, elles peuvent avoir plus de défauts mais aussi plus de caractère. S’approvisionner chez des producteurs locaux est aussi un moyen d’avoir davantage de signature dans sa boutique. En ayant des produits que tous les fleuristes n’auront pas, on peut s’exprimer plus personnellement à travers ces fleurs. »

Aujourd’hui encore, la France est reconnue comme un des pays qui cultivent le plus l’art floral. Pourquoi ne pas aller au bout des choses et cultiver nos propres fleurs ?

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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