Les Editions de Juillet publie une collection de livres dédiés aux villes. Parmi eux, Saint-Nazaire, un voyage immobile. À travers celui-ci, la photographe rennaise Laure Bombail et l’écrivain Jean-Bernard Pouy nous transportent dans l’atmosphère pittoresque de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Le petit format de cet ouvrage (140 x 180 mm) et sa couverture toilée invite le lecteur à se plonger dans un journal intime. Comme si au fil des pages, les deux artistes façonnaient le creux intérieur de Saint-Nazaire.
L’atmosphère qui règne à Saint-Nazaire est unique. Cette ville témoigne en effet d’un passif qui ne laisse personne indifférent. Comme l’écrit Jean-Bernard Pouy, “Saint-Nazaire a été, une fois, rayée de la carte”. Pendant la Seconde Guerre mondiale, de violents bombardements anglo-américains ont entièrement détruit la ville. Ceux-ci avaient pour but de rendre la vie impossible aux Allemands qui occupaient la ville et avaient bâti une gigantesque base sous-marine sur le site de l’ancienne darse de retournement des paquebots. Or, “[…] après le passage des avions anglais, il n’y avait plus de Saint-Nazaire, seule, la base était intacte.”, souligne l’écrivain.
Saint-Nazaire a donc dû se reconstruire progressivement mais le “chancre de béton” qu’est cette base construite par l’Allemagne nazie est toujours indemne. Quant aux Nazairiens, ils ont eux dû apprendre à vivre avec la matérialisation de leurs malheurs passés sous leurs yeux. Leurs portraits forment d’ailleurs une part importante du travail de la photographe.
Saint-Nazaire, un voyage immobile constitue le paroxysme d’une relation particulière entre Laure Bombail et la cité portuaire. De 2014 à 2017, la jeune Rennaise a développé un sentiment qu’elle qualifie “d’amoureux” à l’égard de Saint-Nazaire. Afin de transmettre à ses lecteurs cette singulière sensation de proximité, c’est avec ses différents iPhones (iPhone 4 puis iPhone 6) que Laure a capturé au fils des jours, des mois et des années, l’âme de Saint-Nazaire.
À travers une sélection de 45 clichés mêlant représentations des immensités, portraits et détails pittoresques, c’est un parcours on ne peut plus poétique que Laure Bombail nous propose. À la manière des Nazairiens, qui, selon Jean-Bernard Pouy ” n’ont pas besoin de voyager. Ils savent bien qu’il faudrait partir ailleurs, et donc, ont pris l’habitude de voyager sur place “, les photographies nous transportent les unes après les autres dans un univers qui semble immobile et insondé, nous invitant par là même à un étonnant voyage émotionnel.
« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux »
Marcel Proust
Le livre s’ouvre sur un cliché particulièrement percutant. Ici, les dualités qui fondent l’identité de Saint-Nazaire sont très bien représentées. D’un côté, le camaïeu des lumineux bleus du ciel et de la mer instaure une atmosphère sereine et incite aux rêves. De l’autre, l’obscurité qui recouvre la plage et les nombreux cailloux blancs qui s’assimilent à des confettis de papier, font écho au passé destructeur de ce lieu. À ce propos, Jean-Bernard Pouy rappelle : ” Les gens d’ici n’ont presque plus de passé, ville rasée, martyre […] “.
J’ai été saisie par la poésie de Saint-Nazaire, son architecture, sa plasticité, le gigantisme des chantiers navals, ses dualités. (Laure Bombail)
Présentés à la manière de polaroïds, les clichés suivants sont souvent regroupés en fonction des couleurs prédominantes qui les composent. À titre d’exemple, constatons avec émerveillement les trois ambiances drastiquement différentes qui émanent des trois doubles-pages exposées ci-dessous : le gris l’emporte dans un premier temps, évoquant l’industrialisation, ainsi qu’une morosité certaine.
Une alliance de bleus surgit quelques pages plus tard, rappelant cette fois-ci le caractère maternel et rassurant qui sommeille en Saint-Nazaire. C’est en effet dans cette cité portuaire que sont construits nombre de bateaux qui partent naviguer d’un bout à l’autre de la planète. Une ” ville-mère ” pour beaucoup de navires et de marins donc.
Enfin, la couleur jaune est mise à l’honneur. Celle-ci transperce l’intimité des nuits de Saint-Nazaire, invitant le lecteur à interpréter ces clichés telles de véritables mises en exergue de l’espoir permanent qui y réside. Malgré les silences assourdissants des nuits sombres, le vide omniprésent des immensités nazairiennes, ou encore, la présence d’une base sous-marine ennemie aux aspects titanesques.
Saint-Nazaire est une mère tragique. (Jean-Bernard Pouy)
En outre, ces caractéristiques, quelque peu oxymoriques, créent l’identité d’une ville aux mille facettes où patience, exploration et curiosité sont requises afin d’apprécier cette mystérieuse cité à sa juste valeur. Finalement, comme l’exigerait la découverte d’une lointaine, très lointaine contrée…
Saint-Nazaire, un voyage immobile. Photos Laure Bombail. Texte Jean-Bernard Pouy. 76 pages – ± 45 photographies. Couverture toilée Format 140 x 180 mm. Impression en quadrichromie. 25 €.
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