Sauf mon cœur, tout va bien. Le dernier roman d’Héctor Abad

hector abad

Raconter l’histoire serait trop facile et risquerait de gâcher votre plaisir de lecture. Alors comment vous donner envie de le lire ? Je crains, si je vous parle de curés, même s’il s’agit des vrais par vocation et des faux par envie de pouvoir, que vous y regardiez à deux fois. L’église catholique n’est pas aujourd’hui et à bien des égards, pardonnez-moi le mot, en odeur de sainteté. Une anecdote toutefois pour commencer par quelques sourires dans ces temps qui les oublient trop. Je me souviens d’un hiver où tout gamin j’étais cloué au lit et qu’une âme charitable, ma tante Germaine je crois, m’avais mis entre les mains un livre intitulé Histoires de curés. Ces histoires étaient tellement drôles que ma maladie s’atténuait un fil des pages.

Quel rapport avec le roman d’Héctor Abad me direz-vous ? Aucun bien entendu. Enfin si, un peu. Quelques-uns des principaux personnages de son roman (inspiré de faits réels, nous dit-il) sont bien curés et, à part l’archevêque de Medellin gonflé d’ambition et bouffi de jalousie, respectueux de leur sacerdoce. Ce n’est pas pour autant que ce cher Héctor nous fait lire la Bible et évite de parler d’une réalité nous parvenant parfois sur la vie collective de séminaristes laissant la place à des plaisirs solitaires. Du salace, du coquin, du triste, toute la palette y passe, il y en aura ici, mais seulement de manière fugace. Par bonheur, il y a aussi ces curés de terrain, de ville et de campagne, exemplaires dans leur dévouement.

Voici quelques-uns des personnages. Luis Córdoba, familièrement surnommé le gros par certains, dont le cœur a quelques faiblesses. Lelo, son compagnon en tout bien tout honneur, ami, confident, complice, curé lui aussi. C’est lui qui nous raconte l’histoire. Joaquin, un laïc, mari infidèle d’une belle italienne, Teresa, et séparé d’elle après lui avoir fait deux enfants. Ces trois personnages, Luis, Lelo, Joaquin, vous intéresseront, j’en suis convaincu tellement leurs portraits et leurs traits sont admirablement rendus. Nous les voyons vivre, penser, sentir avec une finesse et une justesse qu’il est rare d’atteindre en littérature. Et cette peinture des individus en société est fidèle à notre humanité. Sombre, incolore et lumineuse.

Le personnage principal, celui dont le cœur lui aussi est si gros (il vous en livrera quelques secrets) qu’il menace d’éclater n’est pas n’importe qui. Musicologue averti, du Mozart et tutti quanti, fou de cinéma au point de chroniquer dans les journaux, participer à des émissions radiophoniques, rêver à des documentaires en Allemagne et sans doute toujours à la limite de l’inacceptable religieux, la preuve, sa passion pour Pasolini et Fellini. Le cœur gros – il l’aura d’ailleurs à de multiples titres – nous n’en entendrons vraiment parler qu’après avoir parcouru à moitié le livre. Quand Luis n’a pour se sauver que deux issues : le remplacer par un cœur compatible et aussi grand que le sien pour pulser le sang requis par son corps ou tenter une chirurgie toute nouvelle, rien de moins qu’une résection du ventricule gauche.

Et les femmes, me direz-vous ? Eh bien, tout est là. Luis le solitaire se voit compte tenu de son état généreusement accueilli dans une maison de plain-pied pour éviter tout excès de marche, plutôt une maisonnée à vrai dire où Teresa, connue de Luis bien des années avant, séparée de Joaquin donc, et Darlis, la femme à tout faire, aux doigts de fée et à la voix d’ange. Trois enfants à elles deux, une vraie famille où la jeunesse joue, court, fait trembler les murs et où règne la joie de vivre. Luis leur fait aimer les films, la littérature quand Doris lui fait découvrir le meilleur de la nourriture et de l’âme. Inutile de vous en dire plus. Vous imaginez déjà qu’une telle atmosphère et une pareille urgence amènent à s’interroger sur le sens de sa vie. Celle d’avant et celle qui attend Luis demain.

Je me souviens avoir lu dans Libération deux mots après les événements d’Ukraine où Héctor aurait pu perdre la vie et où une jeune écrivaine, Victoria Amelina y a laissé la sienne. Immense écrivain. Voilà ce qui était dit de lui après ce terrible 27 juin 2023. Je n’ai lu aucun de ses romans, mais celui-ci y répond en écho. Un roman superbement écrit. Et traduit.

Sauf mon cœur, tout va bien, roman, traduction et postface d’Albert Bensoussan, éditions La Part Commune, 448 pages, 24€

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Jean-Louis Coatrieux
Jean-Louis Coatrieux est spécialiste de l’imagerie numérique médicale, écrivain et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions La Part Commune et Riveneuve éditions.

1 COMMENTAIRE

  1. Un article qui vous met d’emblée en appétit! D’autant plus que les romans appétissants sont de nos jours, hélas, d’une afflgeante rareté. Et lorsqu’on sait que c’est Albert Bensoussant qui l’a traduit celui, on y va de tout coeur et on se prépare à un festin!

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