Étonnant que cette association de deux termes : l’endocrinologie et la psychologie. Psychologie, oui, on voit. Mais l’endocrinologie ? C’est la science des glandes endocrines dont les sécrétions se déversent dans le sang pour influencer sa composition. Les endocrinologues reçoivent des patients reconnus comme des déséquilibrés sur le plan hormonal.
Contexte
On dénombre quatre glandes endocrines bien que la séparation d’avec les exocrines a pu être faite de façon un peu trop tranchée. Les glandes endocrines sont l’hypophyse située à la base du cerveau, la thyroïde au-devant du cou, les deux surrénales au niveau des reins, la glande dite tantôt « génitale » ou « interstielle » dans les testicules chez l’homme et dans les ovaires chez la femme. Ces endocrinologues étudient des maladies comme celle d’Hashimoto, de Basedow, l’acromégalie, mais acceptent le schéma livré par la médecine officielle qui a comme point de départ l’absolue prédominance du système nerveux. Le cerveau, les neurones dirigent d’après la Faculté l’ensemble biologique et son métabolisme. L’endocrino-psychologie affirme de son côté et à l’aide de quelques arguments, la prévalence du système endocrinien donc hormonal, glandulaire.
Il s’agit là d’une branche dissidente de la médecine qui assigne plutôt au cerveau un rôle de lieu d’enregistrement, impliquée certes dans les phénomènes biologiques et sous ce rapport indispensable à l’équilibre, mais le rôle moteur de ce cerveau se voit remis en question. Les prétentions de cette discipline dissidente apparaissent à première vue démesurées compte tenu du nombre de chercheurs en endocrino-psychologie. Ses ennemis sont par conséquent nombreux et il convient de mentionner les principaux.
Outre la médecine générale dans son ensemble qui croit à la primauté du système nerveux, l’endocrino-psychologie s’oppose aux neurosciences qui attribuent aussi un rôle essentiel au cerveau et aux neurones. D’autre part, certaines tendances des recherches en génétique sont condamnées par l’endocrino-psychologie, celles qui tendraient en particulier au tout-génétique interprétant l’Homme au regard exclusif de ce qui aurait été programmé par un patrimoine génétique. Au « genesis » dont parlait Aristote (dans la Physique) comme engendrement et de laquelle d’ailleurs l’étude des endocrines ne saurait être exclue s’ajoute la « kinesis » qui était pour le philosophe grec l’ensemble des changements d’un être dans sa vie aérienne. Interpréter la criminalité, l’intelligence, la mélancolie ou l’homosexualité par le prisme unique des gènes est pour l’endocrino-psychologie absurde.
Cette discipline suppose, dans son nom même, une attention particulière portée aux fonctionnements du corps, de la physiologie tout en étudiant les liens de celle-ci avec la psyché humaine. La conséquence est double : l’endocrino-psychologie rejette le strict physiologisme matérialiste qui tendrait à annihiler nos potentialités spécifiquement humaines, mais s’élève également contre les conceptions pan-psychologiques se centrant sur une psyché dont on ne saisirait jamais l’ancrage corporel. Sigmund Freud, pourtant docteur en médecine, est à l’évidence tombé dans ce travers.
Le point de départ des recherches
L’endocrino-psychologie est, en particulier à ses débuts, avant tout l’œuvre d’un homme dont le destin semble hors du commun. Jean Gautier est né dans une famille bordelaise de médecins à la fin du XIXe siècle (1889). Dans son enfance, il souffrait de ce que l’on désignait comme « mongolisme », terme qu’il a conservé par la suite et sur lequel il a par ailleurs écrit (dans l’enfant, ce glandulaire inconnu notamment). Il était certes atteint d’une forme relativement légère de mongolisme, mais cet état de pré-mongolien le ralentissait considérablement dans son apprentissage scolaire. Son apparence physique reflétant son intelligence d’alors, on le nommait à l’école « le petit Chinois ». Grâce à l’aide de son père et à ses efforts personnels obstinés, il parvint à obtenir son baccalauréat puis à devenir lui-même docteur en médecine. Arrivaient alors sur le marché pharmaceutique et médical, des extraits glandulaires, en particulier thyroïdiens qu’il eut l’idée de s’administrer. Il s’agit là de l’opothérapie, science qu’il pratiqua ensuite comme médecin . Or, l’influence de ces extraits était évidente et le faisait progresser intellectuellement, estimait-il. Il se sentait plus vif d’esprit, davantage capable d’enregistrements mentaux.
La thyroïde n’appartenant pas en propre à l’encéphale, il convenait pour Jean Gautier, récemment docteur en médecine, de s’interroger sur le rôle réel du cerveau à qui on attribuait les fonctions intellectuellement directrices. Il eut l’idée dès lors de se spécifier dans l’étude de ce qui était à l’époque l’endocrinologie commençante. L’état duquel il se guérissait progressivement par l’opothérapie fut défini par Jean Gautier comme « hypothyroïdie » dont il existe, il est vrai, de multiples causes et variantes. Celui qui devient jeune prix Nobel à 40 ans, en 1912, Alexis Carrel faisait partie des gens qui incitaient Gautier à se tourner vers de telles études. Carrel ne dépouillait pas l’encéphale de toutes ses supposées potentialités, mais avait développé une conception humorale du corps humain. Il s’agissait là d’une réhabilitation largement modernisée de l’ancienne théorie grecque des humeurs. À la lumière des découvertes successives, on savait que ces humeurs dépendaient des apports endocriniens dans le sang. D’autres endocrinologues avaient ouvert la voie d’une science nouvelle en cette première partie de vingtième siècle : citons Dominique Langeron et Simon Brouha (endocrinologie clinique), Léopold Lévi apportaient leurs pierres à la construction de l’édifice naissant. Concrètement, des opérations devaient entraîner des constatations d’importance de la part du docteur Gautier.
Les êtres humains opérés totaux de la thyroïde en raison des goitres que l’on constatait chez eux perdaient alors systématiquement toute adaptation, toute forme d’intelligence, toute capacité d’expression langagière et, de même, toute stimulation sexuelle. Ces opérés ressemblaient alors de plus en plus à l’Homme-Plante étudié par le Professeur Roesch, cas d’individus privés à la naissance de leur thyroïde. Par ailleurs, la castration physique des violeurs préconisée par des médecins allemands n’empêchait pas la récidive systématique des criminels en question. Jean Gautier, qui s’est toujours attaché à ces expériences d’ablation des organes, extrêmement fiables à ses yeux, se devait alors de procéder à des constats d’importance. La thyroïde permettrait l’intelligence, le langage, la vivacité et la sexualité alors que la glande « génitale » (mal nommée par conséquent) ou « interstitielle » (car se situant dans l’interstice des canaux séminifères) n’a pas le rôle que l’on croyait et aurait même plutôt un rôle freinateur de cette sexualité. À ces ablations que nous mentionnions s’ajoutent deux expériences de laboratoire sur des mammifères qui ont été fondatrices dans la prise de conscience de Jean Gautier.
D’abord, décrivons rapidement celle de Georgi Pavlovitch Zeliony, physiologiste de Saint-Pétersbourg qui avait opéré des chiennes. Le médecin soviétique était parvenu à prélever l’intégralité des deux hémisphères cérébraux et des constatations s’ensuivaient : les animaux vivaient encore et leurs corps respectifs remplissaient encore les fonctions essentielles malgré la diminution vitale logique que l’on peut imaginer. Par ailleurs, le célèbre physiologiste Walter Cannon avait fait des expériences sur des chats, mais souhaitant prouver lui la prévalence du système nerveux. Il a répété maintes fois les deux opérations suivantes qui ont été pour lui décevantes : la suppression de la surrénale du chat enlevait toute agressivité envers les chiens alors que le prélèvement des filets nerveux chez ces chats ne changeait pas de façon déterminante l’attention agressive et défensive des chats à l’endroit des chiens.
L’endocrino-psychologie pouvait alors naître, ses débuts se confondant avec les découvertes et interprétations du docteur Gautier. La prédominance qu’il attribuait au système endocrinien s’est vue renforcée par d’autres éléments comme la primauté chronologique de la formation des glandes dans le fœtus, dont la thyroïde, devançant nettement l’apparition de la myéline des nerfs.
Les terrains d’application de l’endocrino-psychologie
Le prix Nobel 1912 Alexis Carrel avait nommé son fameux livre L’Homme, cet Inconnu. Le ton est donné et le titre lui-même faisait polémique : Alexis Carrel, qu’affectionnait beaucoup le docteur Gautier, n’hésitait pas à proclamer le retard considérable de la biologie et de la médecine sur l’astronomie, la physique, la chimie et autres sciences. L’Homme aurait été porté selon Carrel à sortir de sa propre sphère pour aller rencontrer le monde, oubliant d’analyser les fonctionnements de son propre corps.
Pour Jean Gautier, les connaissances en science sont certes encore très parcellaires après le premier conflit mondial, mais les éléments qu’il observait plongeaient son esprit dans l’effervescence. Tout en recevant ses patients, et en les soignant par opothérapie et par Darsonvalisation (méthode d’électricité médicale), il écrivait beaucoup entre les deux guerres, croyant pénétrer les arcanes de l’Homme. En 1946, au lendemain de la deuxième boucherie mondiale, il fait paraître un ouvrage synthétique résumant ses thèses, ses travaux, ses expérimentations : Dernières et nouvelles connaissances sur l’homme.
Ce livre ne fut guère discuté et passa inaperçu. S’il avait eu tort, il aurait aimé qu’on le lui démontre. En 214 pages et 13 chapitres, Jean Gautier affirme éclairer des sujets aussi divers que le sommeil (qu’il décrit comme « hypofonction thyroïdienne »), l’évolution humaine, la « race » (qu’il définit comme « adaptation hormonale à un environnement fixe »), les sentiments (les hyperthyroïdiens étant hyperémotifs en outre), les relations du corps et de l’esprit, la sexualité (son équilibre et ses anomalies), le libre-arbitre (permis par un mode de vie sain et sur le plan endocrinien par une génitale préservée) l’hérédité (anticipant déjà les arguments du tout-génétique), les pubertés (notamment ladite « première puberté » commençant vers le 8e jour et durant 21 jours), les pathologies (et le rôle agissant de la sécrétion thyroïdienne pour y remédier).
Ses thèses sont très synthétiques, dans un style très neutre et ouvrent de nombreuses perspectives. De son vivant, il sera amené à préciser sa pensée en faisant paraître Révélations sur la sexualité, Freud a menti contre la psychanalyse, l’enfant, ce glandulaire inconnu (titre rendant hommage à Carrel) à propos de l’éducation et des changements métaboliques des enfants ainsi qu’un ouvrage sur l’équilibre glandulaire et son lien avec la beauté (Glandes endocrines et beauté de la femme).
L’endocrino-psychologie aujourd’hui
Jean Gautier a commencé à écrire tardivement, mais avec une rapidité semblable à celle de Balzac ou de Jules Verne. Il a laissé un fonds de plusieurs milliers de pages à son successeur et fils spirituel, Jean du Chazaud, leque, il y a environ un demi-siècle, avait été soigné par le docteur Gautier de sa maladie de Basedow que Gautier avait compris comme forme d’hyperthyroïdie. Guéri en quelques mois, le jeune homme s’est passionné pour le travail du médecin bordelais et le poursuit depuis la mort de son maître en 1968.
Ce fonds laissé par le docteur Gautier fut nommé « Endocrino-Psychologie » par son successeur qui a utilisé ces recherches pour écrire plusieurs ouvrages sur le fonctionnement global endocrinien (Ces glandes qui nous gouvernent) rêve et le sommeil (Le sommeil perdu et retrouvé), le bégaiement (Le bégaiement, son mécanisme psychophysiologique), la relation âme-corps (Le secret dévoilé du corps et de l’esprit) la sexualité également (Connaître l’harmonie et les dangers de la sexualité) préfacé par le professeur de philosophie Michel Bastit) et récemment un très épais livre sur l’Origine glandulaire des troubles mentaux (préface de David Mascré) qui paraît dégager de nouveaux chemins à la psychiatrie qui est selon lui prisonnière des thèses psychanalytiques d’une part, de la tendance au tout-génétique d’autre part. Récemment, l’institut Gautier-du Chazaud a été fondé par le fils spirituel du savant bordelais afin de propager les thèses du défunt docteur Gautier et de faire connaître cette discipline dissidente.
La fondation de cet Institut Gautier-du Chazaud et la présentation de ses objectifs peut apparaître arrogante, du fait du nombre restreint de chercheurs d’une part, mais aussi problématique d’autre part. Certains lecteurs ont sans doute l’impression d’une tentative grossière de réductionnisme matérialiste. J. Gautier en son temps ou J.dDu Chazaud aujourd’hui répondraient que la précision de phénomènes physiologiques n’exclut en rien la considération des hautes facultés spécifiquement humaines s’enracinant dans un libre-arbitre individuel aux prises avec la variété constante des influences extérieures. La prise en compte de cette « Kinesis » corporelle (comme l’écrivait Aristote dans la Physique) n’excluant pas à leurs yeux la considération des principes supérieurs extrahumains. Leur vision du monde se veut en conformité avec les enseignements chrétiens. S’il devait y avoir invalidation de leurs thèses, il faut que cela se fasse au terme de débats et de la présentation d’éléments scientifiques véritables.
Mathieu Gougay