Repose-toi sur moi a reçu le Prix Interallié 2016, les jurés l’ont élu au premier tour par six voix contre 3 à Eric Vuillard pour « 14 juillet » et deux à Gaël Faye pour « Petit pays ». Serge Joncour succède à Laurent Binet. En 2015, il a obtenu le prix des Deux Magots pour « L’Écrivain national ».
Dans Repose-toi sur moi, Aurore et Ludovic n’étaient pas faits pour se rencontrer. Elle styliste reconnue, mère de deux enfants, mariée à Richard un américain fortuné. Lui ancien agriculteur reconverti dans le recouvrement de dettes, veuf depuis trois ans. Ils habitent tous deux à Paris, une courette divise leur immeuble, elle le A lui le B ; ils sont voisins, mais ne le savent pas. Un arbre au milieu de cette cour abrite deux oiseaux, pas n’importe lesquels, deux corbeaux qui convoqueront le destin de ces deux êtres que tout oppose.
Alors qu’Aurore se trouve à la caisse d’un supermarché, un incident banal, une panne informatique qui immobilise toutes les caisses, va remettre en question le cours de sa vie.
« Cet incident est à l’image de sa vie, dernièrement. Depuis septembre ses journées sont faites de ça, de temps qu’on lui vole, de temps qui ne lui appartient pas. Celui qu’ils lui prennent tous au bureau, et ces minutes englouties dans les couloirs du métro, même ses enfants elle les voit comme deux petits voleurs égoïstes, y compris Victor, son beau-fils qui s’efface le plus possible et qui se renfrogne, à la limite c’est pire, il lui vole un temps qui ne lui demande même pas, simplement en étant là, en ne faisant rien, ni son lit ni ses devoirs, en se vautrant avec sa console dans ce canapé blanc où elle rêverait de se poser un soir, rien qu’un soir, jeter ses affaires dans l’entrée et s’installer dans le profond cuir blanc , et que tout se fasse sans elle. »
Elle a pourtant tout ce dont elle voulait, des responsabilités, un bel appartement, une famille c’est juste que depuis quelque temps tout se dérègle. Elle se sent fragile, inconfortable et pour accentuer le malaise, elle doit affronter sa peur des corbeaux qui ont élu domicile dans cette cour qu’elle traverse tous les jours, la boule au ventre. C’est devenu obsessionnel.
« Ces deux corbeaux sont à l’image de toutes ces peurs qui l’encerclent en ce moment, ces choses qui se détraquent, ces dettes qui s’accumulent, et son associé qui ne lui parle plus depuis septembre tout concourt à l’affoler. »
Ludovic, cet homme de quarante-six ans, baraqué, rustre, posé dans son attitude a quitté sa vallée du Célé après le décès de sa femme Mathilde. Il décide de quitter sa vie d’agriculteur, sa campagne et d’accepter un travail sur Paris, en qualité de recouvreur de dettes, de se confronter à la ville et permettre ainsi à ses parents, sa sœur et ses neveux de vivre sur l’exploitation « ce n’est jamais facile de quitter sa terre » il a le sens du sacrifice. Ludovic est un sauveur, il incarne la solitude, mais aussi la présence, celle qu’il offre à Aurore en soignant sa peur des corbeaux. Radicalement, il va les éliminer pour permettre à cette jeune femme de ne plus entrer en collision avec elle-même.
À partir de cet acte, Aurore va se livrer, délivrer et permettre également à Ludovic de se décharger de l’image d’un homme solide et froid. Ils vont se confronter, choquer leur vie, avancer et, enfin, se retrouver avec soi-même.
L’auteur Serge Joncour sait mobiliser nos sens dans Repose-toi sur moi : tout semble conduire à un roman d’amour, mais il ne s’agit pas que d’amour. L’auteur nous met face à la réalité, celle qui nous entoure qui nous oppresse parfois, à la société dans laquelle nous évoluons et tentons de trouver notre place.
« Parfois, à de petits carrefours inattendus de la vie, on découvre que depuis un bon bout de temps déjà on avance sur un fil, depuis des années on est parti sur sa lancée, sans l’assurance qu’il y ait vraiment quelque chose de solide en dessous, ni quelqu’un, pas uniquement du vide, et alors on réalise qu’on en fait plus pour les autres qu’ils n’en font pour nous, que ce sont eux qui attendent tout de nous, dans ce domaine les enfants sont voraces, avides, toujours en demande et sans la moindre reconnaissance, les enfants après tout c’est normal de les porter, mais elle pensa aussi à tous les autres, tous ceux face auxquels elle ne devait jamais montrer ses failles, parce qu’ils s’y seraient engouffrés, ils ne lui auraient pas fait de cadeaux. Ils sont rares ceux qui donnent vraiment, ceux qui écoutent vraiment. »
Serge Joncour embarque le lecteur à travers cette histoire intrigante, séduisante. Repose-toi sur moi est complet, construit et abouti à la prose délicate. Serge Joncour parvient à mettre à nu le mystère de la vie avec beaucoup de pudeur.
Repose-toi sur moi, Serge Joncour, Flammarion, août 2016, 427 pages, 21 €