Adapter une série aussi subtile et enracinée dans une culture d’exception que Le Bureau des Légendes relève de l’acrobatie. Et c’est pourtant ce que les studios américains ont tenté avec The Agency, diffusée depuis le 22 mai 2025 sur Canal+. Portée par Michael Fassbender dans le rôle du pendant américain de Malotru (interprété à l’origine par Mathieu Kassovitz), la série opère un transfert délicat : celui de la clandestinité feutrée des services français de la DGSE vers les mécanismes plus expansifs de la CIA. Le résultat ? Une œuvre séduisante, efficace, mais à la saveur altérée au regard de l’exceptionnelle série originelle.
Un rythme plus haletant… et une perte de densité
Sans surprise, la version américaine adopte un tempo narratif plus soutenu. L’intrigue avance à pas de course, avec davantage de scènes d’action, de traques technologiques et de tensions musclées. Le spectateur habitué aux longs silences, aux lenteurs feintes et à la finesse du non-dit dans la version française s’en trouvera dérouté. De même, la psychologie des personnages, ici plus explicite, s’étale parfois au détriment de la suggestion. Bref, là où Le Bureau des Légendes excellait dans l’ellipse, The Agency choisit souvent l’explication.
Fassbender, un choix audacieux mais ambivalent
Michael Fassbender, intense et complexe, parvient à donner chair à un personnage tourmenté, tiraillé entre ses devoirs d’État et ses engagements affectifs. Néanmoins, l’acteur, tout en maîtrise, peine parfois à transmettre cette vulnérabilité trouble qui faisait la singularité du Malotru français. Son charisme hollywoodien, plus frontal, s’accorde moins bien avec l’opacité calculée du rôle. Là où Kassovitz campait un espion à l’effacement magnétique, Fassbender incarne un héros à la puissance affirmée.
La CIA à la place de la DGSE : un changement de décor, une autre idéologie
Ce qui change profondément, c’est le regard porté sur le renseignement. La DGSE de la série française était traversée par les conflits internes, les jeux d’influence feutrés, les erreurs humaines et les contradictions politiques. La CIA de The Agency, malgré une tentative de nuance, reste dans une esthétique de puissance et de légitimité. Loin de l’ambiguïté morale de la série mère, le remake se montre (beaucoup) plus manichéen. On ne philosophe plus sur la nature du renseignement ; on l’exécute, souvent sans état d’âme apparent.
Une adaptation bien réalisée… mais utile ?
Objectivement, The Agency est une série bien faite, bien interprétée, bien produite. Les décors sont soignés, les dialogues solides, la mise en scène fluide. Et pourtant, une question demeure : fallait-il adapter Le Bureau des Légendes ? Car en dépit de ses qualités propres, cette version américaine semble parfois suivre les pas d’un chef-d’œuvre dont elle gomme toute… la spécificité. Le remake se regarde avec intérêt, mais sans fascination. Il transforme une série d’initiés en produit calibré pour l’exportation ; en perdant, ce faisant, de son âme.
Pour autant, n’est pas une trahison, non. Mais ce n’est vraiment pas non plus un hommage vibrant. The Agency réussit à recycler intelligemment l’intrigue de Le Bureau des Légendes pour un public américain, sans sombrer dans la caricature. Pourtant, en polissant les aspérités et en gommant les lenteurs fertiles, la série trahit ce qui faisait la force de l’original : sa capacité à rendre le silence plus éloquent que le mot et l’ambiguïté plus captivante que l’action. Ceux qui découvrent la série sans connaître l’original y trouveront un solide thriller d’espionnage. Les autres, peut-être, verseront une petite larme de nostalgie plutôt que de déception.
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