Bien peu évident d’écrire quelques lignes de plus sur Sérotonine, le dernier roman de Michel Houellebecq, sorti début janvier chez Flammarion. D’autant plus si on se risque à consulter toute la presse qui entoure ce nouveau récit. Depuis des années, d’aucuns écrivent tout et son contraire à propos des livres de Houellebecq. En moins de vingt ans, l’écrivain dépressif est devenu la coqueluche des médias ; il faut dire qu’avec sa gueule et son phrasé, il est plutôt bon client et si bon communicant par sa non-communication récente.
Comme Houellebecq ne veut voir ni rencontrer personne, tout le monde le sollicite ou le traque, c’est encore plus idoine à l’époque cette manie de vouloir tout savoir de quelqu’un. Enfoirés de voyeurs ! Mais le bougre est malin. Sitôt la sortie de son nouveau livre effectuée, il disparaît, protégé tant par son éditrice que par son agent. N’a-t-il pas raison au fond de fuir le petit cénacle médiatique ? Chacun jugera. Après tout, Houellebecq fascine encore plus quand il se tait. Houellebecq fascine certaines et certains par ses livres, parce qu’il a son style bien à lui, qu’on aime ou qu’on déteste. Houellebecq est un écrivain du moment. Traversera-t-il les époques, laissera-t-il un réel souvenir via ses écrits ? C’est une autre histoire… Et probablement s’en moque-t-il d’ailleurs, cet éternel provocateur qui est si bien élevé qu’il en paraît suspect.
Sérotonine… Les uns se pâment devant ce nouveau roman ; les autres crachent dessus ou jurent avec dédain que pas même ils ne se torcheraient le cul avec. Mais de quoi traite réellement Sérotonine ? De l’histoire d’un type qui va mal, très mal (thématique chère à Michel Houellebecq), et qui se décide à prendre un antidépresseur pour tenter non pas d’aller mieux, mais d’aller moins mal en attendant la mort. De l’Espagne à Niort, de Niort à Paris, de Paris au Cotentin et à la Suisse romande, le personnage traîne son ennui, sa solitude et son chagrin (si si il est capable de chagrin) en se rappelant ses amours défuntes, toutes celles qu’il a vécues et détruites parce qu’il n’allait pas bien, parce qu’il se pensait incapable d’aimer, de partager avec une autre, l’être « aimé ». Inapte au bonheur.
Passons sur le sexe et les pulsions provoquées par des lolitas (souvent asiatiques)… Avec les doses de médocs qu’il s’envoie, son appendice reste désespérément mou. Passons sur son empathie, elle semble être totalement absente de son registre de vocabulaire comme d’esprit… Passons sur sa propension à la sociabilité, il en est sauvagement dépourvu, seulement ou presque enclin à avancer seul face à lui-même. D’hôtels de deuxième zone, de chaînes de restaurant en zones commerciales, ce cadre agronome aisé s’emmerde sans emmerder les autres. Il attend quoi au juste pour se jeter un coup de pied au cul pour rebondir ? On ne sait pas ; on ne saura pas… Crever, peut-être… Se foutre en l’air ? Pas même. Il n’a pas ce courage, car il faut du courage pour s’ôter la vie ou même parfois celle des autres, celle de celles et ceux qui vous auraient offensé.
Ce roman est une photo longue à dérouler (le rythme est volontairement lent)… Un travelling de 350 pages sur l’état d’esprit d’un type d’aujourd’hui qui aurait réellement pris conscience du monde dans lequel il vit. Un désenchantement permanent dans une société qui meurt à petit feu. C’est cynique ? C’est tragi-comique ? C’est souvent cynique avec Houellebecq parce que nos vies actuelles sont cyniques. Et nous sommes si pathétiques que cela pourrait presque en devenir comique si nous avions réellement conscience de notre décadence, de notre pathos, de notre vulgarité…
Tout y passe ou presque : les familles décomposées jamais recomposées, les campagnes abandonnées, l’ultralibéralisme qui conduit à toutes les folies, l’abandon de l’agriculture, la malbouffe, la pornographie, la mort du romantisme (car oui oui, Houellebecq est un romantique), la puissance de l’argent qui nous ronge, la course au pouvoir, le désespoir intergénérationnel et transgénérationnel, la religion qui ne tient plus les peuples, la politique qui a disparu ou encore la nécessité de ne plus se reproduire parce que tout est foutu, parce que plus rien ne vaut le coup… à part peut-être quelques cachetons de Captorix (nom fictif de l’antidépresseur que prend le narrateur comme on boufferait des Smarties) pour contempler un pays décrit comme étant au bout du rouleau. Le tout arrosé de quelques verres d’alcool, de centaines de clopes, tant qu’à faire…
Et si Houellebecq était plus visionnaire qu’il ne s’en défend ? Et si Houellebecq était un fin observateur de notre époque ? Et si Houellebecq racontait mieux que personne en sociologue aiguisé, avisé et déguisé en écrivain l’état dans lequel est la France du moment ? Et si c’était vrai ?
Sérotonine – Michel Houellebecq – Éditions Flammarion – 350 pages. Parution : janvier 2019. Prix : 22,00 €.
Michel Houellebecq est romancier, essayiste, poète, considéré par de nombreux critiques comme l’écrivain français le plus marquant de notre époque, il est lu dans le monde entier depuis Extension du domaine de la lutte (1994). Il a reçu le prix Goncourt pour son roman La Carte et le territoire, en 2010. Soumission, paru en 2015, a suscité admiration et polémique ; il a été un best-seller dans la plupart des pays européens.