Disparue à Rome le 17 octobre 2025, à 91 ans, la pédagogue italienne Sofia Corradi laisse derrière elle l’une des plus belles inventions européennes du XXe siècle : un cadre simple, juridiquement solide et humainement décisif pour que les études réalisées à l’étranger soient pleinement reconnues. De son combat est né un rite de passage pour plusieurs générations : Erasmus.
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- Une idée née d’une injustice : des études effectuées à l’étranger non reconnues au retour.
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- Du mémo administratif à la révolution tranquille : poser des accords écrits, des crédits reconnus, des référents identifiés.
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- Un impact sociétal massif : carrières, couples, citoyennetés européennes vécues.
Juriste formée à l’université La Sapienza, boursière Fulbright à Columbia à la fin des années 1950, Sofia Corradi rentre en Italie avec un diplôme que son université d’origine refuse de reconnaître. De cette humiliation académique, elle tire une idée d’une simplicité redoutable : anticiper la mobilité par des conventions signées, encadrer la formation par des plans d’études clairs, reconnaître les crédits obtenus sans refaire les examens. Pendant des années, elle rédige des notes, rencontre des recteurs, convainc des ministres. En 1987, la Commission européenne lance officiellement Erasmus : l’utopie de Corradi a trouvé sa procédure.
Erasmus, un visage concret de l’Union
Depuis 1987, Erasmus est devenu l’un des programmes les plus identifiables de l’Union européenne. Des millions d’étudiants ont suivi des semestres ou des stages à l’étranger avec, à la clé, une reconnaissance académique automatique et un accompagnement administratif renforcé. Au-delà des CV, Erasmus a tissé des biographies transnationales : des amitiés, des couples, une habitude de la différence et de la coopération.
« Rendre la mobilité évidente : si l’étudiant sait quoi suivre, qui signer, combien de crédits, alors il peut apprendre à vivre ailleurs. » — S. Corradi (propos rapportés)
Pour les diplômés, l’expérience Erasmus renforce les langues, le réseau et la confiance. Pour les établissements, elle impose la transparence des maquettes et une culture de la qualité. Pour la société, elle crée une génération qui a expérimenté le continent de l’intérieur, loin des frontières symboliques.
Les 3 questions que Corradi posait à chaque université
1) La reconnaissance est-elle écrite à l’avance ?
Existe-t-il une convention bilatérale qui précise noir sur blanc les cours suivis, les modalités d’évaluation et le nombre de crédits transférés à l’Université d’origine ?
2) Qui signe et qui répond en cas d’imprévu ?
Un référent pédagogique et un référent administratif sont-ils identifiés des deux côtés, avec des délais de réponse garantis pour adapter le contrat d’études si nécessaire ?
3) Quelles preuves de qualité et d’équité ?
Les critères d’admission, les prérequis linguistiques, les barèmes d’évaluation et les dispositifs d’inclusion (boursiers, étudiants en situation de handicap) sont-ils publiés et accessibles aux étudiants ?
Repères chronologiques
Nom : Sofia Corradi — Surnom : « Madame Erasmus ».
Profil : juriste, pédagogue, figure de la mobilité étudiante en Europe.
Idée clé : anticiper, encadrer, reconnaître — faire d’un séjour d’études à l’étranger un parcours reconnu, pas une parenthèse.
- 1934 : naissance à Rome.
- 1957-1958 : bourse Fulbright à Columbia (États-Unis).
- 1969 : premières notes administratives en faveur de la reconnaissance des études à l’étranger.
- 1976-1986 : expérimentations de programmes d’études conjoints et de reconnaissance des crédits.
- 1987 : lancement officiel d’Erasmus par la Commission européenne.
- 2016 : distinctions européennes et nationales (dont le prix Charles-Quint).
- 2024 : doctorat honoris causa (Paris-1 Panthéon-Sorbonne).
- 17 octobre 2025 : décès à Rome.