Thanksgiving 2025 : la dinde, les embouteillages… et quelques vérités sur une fête très américaine

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Chaque quatrième jeudi de novembre, les États-Unis se figent (presque) pour célébrer Thanksgiving. En 2025, ce sera le jeudi 27 novembre : un jour férié sacré, coincé entre le mythe des Pères pèlerins, la réalité des peuples autochtones, la dinde farcie et les promotions du Black Friday, dès le vendredi 28.

Vue d’Europe, la fête ressemble à un mélange étrange de repas de famille XXL, de match de football américain en boucle et de grand-messe consumériste. Mais Thanksgiving, c’est d’abord une histoire très politique : comment un pays se raconte sa naissance… et comment il tente, tant bien que mal, de la revisiter.

D’où vient Thanksgiving ? Entre légende dorée et histoire compliquée

La version carte postale, apprise dans les écoles américaines, tient en quelques images : en 1621, les colons anglais de Plymouth partagent un repas de remerciement avec les Amérindiens Wampanoag pour célébrer la récolte et la survie à un hiver redoutable. On se sourit, on partage la table, tout le monde est content. Fin du conte.

La réalité est plus rugueuse : alliances fragiles, conflits ultérieurs, spoliations, épidémies. Ce n’est qu’en 1863, au cœur de la guerre de Sécession, qu’Abraham Lincoln décrète un jour national d’action de grâce pour « rassembler une nation brisée ». La date définitive — le quatrième jeudi de novembre — n’est fixée qu’en 1941, sous Franklin D. Roosevelt.

Depuis les années 1970, certains militants autochtones organisent en parallèle un National Day of Mourning (« Jour national de deuil »). Deux récits coexistent désormais : celui de la gratitude, et celui de la mémoire des violences coloniales.

À quoi ressemble un Thanksgiving typique en 2025 ?

Dans les faits, Thanksgiving est surtout un immense rituel domestique, parfaitement rôdé :

  • La dinde, reine absolue de la journée : farcie, rôtie, nappée de gravy. On l’entoure de purée, de patates douces parfois recouvertes de marshmallows (personne n’a jamais vraiment assumé l’invention de cette recette) et de la célèbre cranberry sauce qui sort de sa boîte de conserve en un bloc tremblotant mais fier.
  • Les desserts se battent en finale : pumpkin pie, pecan pie, parfois apple pie. Le sucre gagne toujours.
  • Le football américain occupe l’après-midi. La NFL diffuse traditionnellement trois matchs : un pour discuter, un pour digérer, un pour faire la sieste.
  • Les parades, comme celle de Macy’s à New York, offrent leur défilé télévisé de ballons géants, fanfares et stars pop.
  • Et puis il y a Friendsgiving : la même fête, mais avec des amis, pour ceux qui vivent loin de leur famille — ou qui préfèrent éviter l’éternelle dispute politique du dessert.

Nombreuses aussi sont les initiatives caritatives. À New York, par exemple, la police distribue des milliers de dindes et poulets à des familles modestes, une manière d’associer solidarité et communication institutionnelle (le costume de dinde géante n’est toutefois pas fourni avec le badge).

Thanksgiving 2025 : ce qui fait la spécificité de cette année

1. Une dinde qui coûte (toujours) cher… mais pour des raisons contradictoires

En 2025, les Américains retrouvent un classique désormais bien ancré : le dîner de Thanksgiving coûte plus cher. La hausse concerne surtout les produits transformés — conserves, desserts, légumes préparés — qui flambent parfois à +15 ou +20 %.

La dinde, elle, est un cas d’école : le cheptel est fragilisé par la grippe aviaire et d’autres maladies, ce qui augmente les coûts de production. Pourtant, paradoxalement, certaines grandes surfaces affichent des prix en baisse par rapport à 2024. Pourquoi ? Car elles utilisent la dinde comme produit d’appel pour attirer les clients, compensant les marges sur d’autres articles. Le résultat est simple : la dinde ne ruine pas, mais tout ce qu’on met autour, si.

2. Des déplacements records (et des embouteillages quasi philosophiques)

Thanksgiving, c’est la grande transhumance routière des États-Unis. En 2025, près de 82 millions d’Américains sont attendus sur les routes ou dans les aéroports, un record.

Dans le ciel, la Federal Aviation Administration prévoit l’une des périodes les plus chargées depuis quinze ans, avec un pic dépassant les 50 000 vols en une seule journée. Sur la route, les embouteillages commencent dès le mardi et se dissolvent péniblement le dimanche soir. Une sorte de pélerinage national où chacun médite longuement sur la notion de patience — ou sur les choix de carrière du GPS.

Particularité 2025 : un long shutdown fédéral intervenu quelques semaines plus tôt a semé un certain désordre dans les réservations aériennes. Beaucoup d’Américains se sont rabattus sur le train et le bus, entraînant des records de fréquentation chez Amtrak et les compagnies interurbaines.

3. Le climat s’invite à table

Thanksgiving 2025 arrive après un été marqué par de violents incendies et plusieurs tempêtes côtières. La conversation environnementale prend donc plus de place sur les tables familiales. Certains optent pour des menus plus végétariens ; d’autres privilégient les dindes issues d’élevages locaux. Rien de révolutionnaire, mais la tendance est perceptible.

Météorologiquement, la fête s’annonce fraîche et parfois neigeuse sur le nord du pays, ce qui pourrait compliquer les trajets. La tradition veut qu’un Américain sur trois passe une partie de Thanksgiving dans une file de voitures ; 2025 ne dérogera probablement pas à la règle.

4. Une fête rediscutée : gratitude et mémoire

Thanksgiving reste une fête controversée pour les peuples autochtones. De plus en plus d’écoles et de musées proposent une pédagogie plus honnête sur le banquet de 1621 et ses suites coloniales. Dans certaines familles, on lit des textes autochtones, on fait une minute de silence, on discute du National Day of Mourning. Dans d’autres, la conversation se concentre sur la dinde, le football et les promotions du lendemain. Et chez beaucoup, c’est un mélange des deux — ce qui résume assez bien la culture américaine.

Pourquoi Thanksgiving 2025 nous intéresse aussi, vus d’Europe ?

Parce qu’il s’agit d’un miroir grossissant :

  • des tensions économiques (inflation alimentaire persistante) ;
  • des mobilités modernes (avions saturés, routes encombrées, trains débordés) ;
  • des récits nationaux (mythes fondateurs vs mémoire coloniale) ;
  • et même des gestes de solidarité (distributions alimentaires massives).

Thanksgiving 2025, c’est finalement cela : une Amérique généreuse mais fatiguée, divisée mais attachée à ses rituels, capable de partager une tarte au potiron avant de se battre pour un écran géant le lendemain. Une contradiction, certes, mais une contradiction chaleureuse.

Et peut-être une question, au fond, que chacun peut se poser : de quoi — ou de qui — avons-nous envie d’être reconnaissants cette année ?