Le duo, à la ville comme à la scène, The Limiñanas et le pianiste et compositeur Pascal Comelade entrent sur la scène de l’Ubu samedi 19 mars. Précédés par un DJ set de l’équipe de Gonzaï. Une bonne dose de dérision, du rock, un parfum des années 60, le tout sur l’instrumentation folle et géniale de Comelade : en voilà une sacrée rencontre transmusicale ! Nous avons interviewé les musiciens : où l’on parle riffs, situationnisme et match de football à trois équipes…
D’un côté, on a Pascal Comelade, dont le parler et l’attitude pourraient paraître, eu égard au compositeur, « satierik ». Mais ses influences vont de la musique répétitive au rock’n roll. Sans compter la muzak, sorte de musique d’ambiance née en Amérique du Nord. De l’autre, le groupe The Limiñanas au succès fulgurant et mérité, aux titres truculents. Pensons à Votre côté yé-yé m’emmerde ou Je ne suis pas très drogue. Le duo sort le 15 avril un nouvel album, Malamore, sur le label Because. Le résultat de la collaboration ? Cet album au nom très évocateur : Traité de guitares triolectiques (à l’usage des portugaises ensablées). Samedi, l’UBU offrait à Rennes l’occasion (assez rare) de les voir ensemble en concert.
Unidivers : Comment vous êtes-vous rencontrés, tous les trois ? Quel est le fruit de cette rencontre musicale ?
Pascal Comelade : Ça fait des années qu’on se connaît. On est pratiquement voisins. C’est ultra-local, très simple.
U : Sur quels projets avez-vous travaillé ensemble ?
Pascal Comelade : Plusieurs. Par exemple sur un ballet à Barcelone. On a fait une performance – enfin c’est un bien gros mot – au musée d’art moderne de Céret. À l’arrivée, c’est vraiment ce disque qu’on a fait l’an dernier. Sur Malamore, qui sort en avril, j’ai juste fait un titre [NDLR : The Train creep a-loopin]. Sur le disque qu’on a fait ensemble, c’est le résultat de point commun, par exemple le riff, le riff dans l’histoire du rock, la répétition et la musique instrumentale. A priori, on va emprunter des chemins différents. Moi je peux être considéré comme un type qui fait de la musique instrumentale un peu je-ne-sais quoi… Tu peux mettre les qualificatifs que tu veux, on peut tout dire, ça me fait gerber, ça me fait rêver : c’est le problème inhérent à la musique instrumentale, à la muzak. Moi je fais de la muzak, je me considère comme un producteur de musique instrumentale qui est dans la ligne de la musique d’ambiance, dans la post-guerre des années 50, la muzak, la vraie. Par rapport à eux qui sont passés par plusieurs groupes de rock, le point commun ce sont tous les orchestres de musique instrumentale des années 60 dans le champ du rock, comme la Surf Music ou des guitaristes comme Dick Dale. Il y a eu dans l’histoire du rock des années 60 une grande production de musique instrumentale. Ensuite, l’autre point sur lequel on se rejoint ce sont les arrangements. Dans le rock ou dans la pop ou dans la variété si l’on peut dire, ce qui nous intéresse – parce qu’on est amateurs de musique, musiciens et amateurs de musique et obsédés par la musique – ce qui nous intéresse c’est ce qu’il y a derrière. Que ce soit une chanson, du rock de la pop des années 50, 60 ou 70 ce qui nous intéresse c’est de disséquer la chose, ce qu’il y a derrière la mélodie et la voix, la petite architecture qui se tient derrière. À l’arrivée on a énormément de points communs, ce qui nous a permis de faire ce disque, qui sont des instrumentaux plus ou moins courts, basés sur le riff et la répétition, la musique répétitive…
U : D’où le titre Louie Louie sur la pochette de l’album ?
Pascal Comelade : Oui c’est ça. Et je vais arriver à leur disque. Dans leur nouveau disque, il y a un titre qu’on a fait ensemble, qui est à la fois la continuation et… on en rajoute une couche, si tu veux, sur le riff, la répétition. C’est un mille-feuille de riff.
U : Continuez-vous sur ce projet, sur le riff ?
Pascal Comelade : En parallèle, on a un groupe sporadique de guitares où l’on fait que des riffs. Ce n’est pas nouveau, tu sais, ça ne date pas d’aujourd’hui. Il y a un compositeur américain qui s’appelle Glenn Branca [NDLR : l’un des maîtres inspirateurs du groupe Sonic Youth, entre autres], qui a fait, dans les années 70, des symphonies pour guitares électriques.
U : Le fait qu’il y ait le terme de « traité » dans le titre de l’album, est-ce important ? Une manière de définir votre vision de la musique ?
Pascal Comelade : Non, c’est de l’autodérision. Mon avant-dernier disque, il s’appelle Méthode de rock & roll [NDLR Mètode De Rocanrol]. Ça ne veut rien dire. C’est de l’auto-ironie. C’est une façon de dire, tout ça n’est pas bien sérieux. Tout ça est une vaste farce. Il fallait trouver un titre avec trois. La méthode triolectique, ça vient d’Asger Jorn, un danois, qui a inventé une méthode de football à trois équipes pour en finir avec le système binaire. Il y a des clubs, des matchs, des championnats. Et c’est la parodie, la référence à un livre situationniste très célèbre à la fin des années 60 qui s’appelle Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, qui est un classique du situationnisme, avec la société du spectacle et le bouquin de Riesel sur les mouvements d’occupation en 68.
U : Le titre est très riche, en effet…
Pascal Comelade : À l’usage des portugaises ensablées, c’est une expression qui a disparu. En argot, « avoir les portugaises ensablées » c’est être sourd, malentendant. Il y a énormément de choses dans le titre.
U : The Limiñanas, comment est-il né, cet album, Malamore ?
Lionel Limiñanas : Nous, on enregistre un peu près tout le temps. On s’est équipé de manière à avoir un petit studio à la maison, à pouvoir enregistrer quand on en a envie. Pour cet album, on est allé dans un lieu qui s’appelle la Casa Musicale à Perpignan, qui nous a prêté un grand studio, dont on a seulement utilisé la pièce, mais pas le matériel. On a bossé sur le riff pendant 8 jours, on a enregistré des riffs et des gimmicks pour faire une base de travail. Une fois qu’on a eu ces 25 démos, on a tout rapatrié à la maison pour bosser de manière assidue. Et la maquette est née comme ça. En même temps, on écrivait des textes, mon frère Serge en écrivait aussi. Il en ressortait des références au cinéma italien et aux histoires d’amour contrariées, d’où Malamore qui est un nanar érotique italien des années 80, inregardable, mais dont on trouvait que le titre correspondait à ce qu’on voulait faire. Après, on a structuré l’album comme un film à sketches italien, comme Les Monstres de Dino Risi. Le principe c’est d’avoir plusieurs histoires avec un début, une fin et un personnage récurrent qui n’évolue pas forcément dans le même univers. Ce n’est pas un concept-album, mais on a fait le disque de cette façon-là.
U : Vos titres sont toujours aussi décalés…
Lionel Limiñanas : On pensait beaucoup à Alberto Sordi en écrivant ces histoires. Il y a une histoire de drague à la plage qui s’appelle El Beach, on pensait à un personnage comme Sordi.
U : Au niveau des textes, est-ce le même principe ? D’autres personnes viennent-elles chanter ?
Lionel Limiñanas : Sur ce disque, tout ce qui est talk over, c’est moi, Marie en chante quelques-unes, Nika Leeflang, qui est sur scène avec nous, aussi. On a invité une copine à nous qui s’appelle Sarah McCoy, une chanteuse américaine qui était à la maison. On fonctionne comme ça. J’ai déjà fait chanter des rencontres de boulot. Une fille avec un très bel accent italien qui travaillait à la com’ à la Fnac : en l’entendant, je l’ai invitée à la maison pour qu’elle fasse un track. On fonctionne beaucoup sur les opportunités. Il n’y a pas de plan de travail.
U : Il y a des musiques purement instrumentales. Est-ce un élément que vous partagez avec Pascal Comelade ?
Lionel Limiñanas : Oui, sur les références dont parlait Pascal tout à l’heure. Qui peuvent être la BO de film ou la musique Surf.
U : La bande originale de films vous intéresse-t-elle ? Le cinéma vous a-t-il contactés ?
Lionel Limiñanas : Personnellement, j’aime profiter de la musique de film au cinéma. On a fait un truc avec Gossip Girl il y a quelques années. L’abominable série pour adolescentes…
Marie Limiñanas : On a aussi bossé sur le court métrage d’un auteur de polar anglais qui s’appelle Kirk Lake, un copain de Nick Cave. C’est un film qui s’appelle The Mirror. Il a envoyé les images, et on a fait la musique dessus.