Écrivain, Thomas B. Reverdy a fait de grands voyages. Ses précédents romans nous ont emmenés sur tous les continents. Professeur en Seine-Saint-Denis depuis les années 2000, il écrit cette fois sur son environnement quotidien. Face à l’actualité, Le grand secours, aux éditions Flammarion, est un roman éclairant, une fiction qui se rapproche du vrai.
Pour ce nouveau roman, Prix Landerneau des Lecteurs 2023, Thomas B. Reverdy utilise le classique de la dramaturgie : un lieu, une journée. Tout commence à 7h30 du matin, un lundi de janvier, sur le pont de Bondy. Là, un Carrefour tentaculaire et dangereux sous l’autoroute A3 brasse une circulation effrayante au milieu des entrepôts et des terrains abandonnés aux Roms et à leur casse. Là vont passer chacun des protagonistes que nous retrouverons ensuite au lycée du quartier nord de Bondy.
Ce matin-là, Mo, un jeune de la cité du Carré, accoudé à la balustrade du pont, est le témoin d’une altercation entre un jeune du lycée et un homme plus costaud. Plus tard, dans le bus, il prendra en photo cet homme affichant une carte de flic. Une photo postée sur les réseaux sociaux qui devient virale.
Candice, professeur de français, fait chaque jour le trajet à vélo depuis Pantin. Ce matin-là, elle pense à son père mourant. Elle ne voulait pas être prof. Mais à trente-cinq ans, parée de son rouge à lèvres, elle entre dans l’arène avec La princesse de Clèves ou Le Bourgeois gentilhomme, espérant conquérir l’attention de ceux qu’elle se refuse à appeler ses élèves.
Paul est un écrivain, poète. Vieillissant, désabusé et perdu depuis le départ de son amie, il a accepté d’animer un atelier d’écriture au lycée de Bondy. Le trajet de son appartement du XIIIe arrondissement à la banlieue nord est une épreuve malgré les explications précises de Candice.
Entre huit et neuf heures du matin, nous entrons dans le lycée. C’est un établissement abandonné par la République. Bâtiments vétustes, préfabriqués pérennisés, manque de manuels scolaires et de matériel informatique, photocopieuse et radiateurs en panne. Dans cette académie de Créteil peu cotée, les professeurs sont souvent inexpérimentés. Si certains désamorcent les conflits en abusant de la politesse et du protocole, Candice espère impliquer ses élèves grâce au théâtre. Lorsque les élèves applaudissent Mo lisant un poème écrit à la fille qu’il aime en secret, Candice peut être fière de leur avoir fait côtoyer la beauté. Car la beauté ne fait pas partie du quotidien de ces jeunes entre les violences des quartiers, le racisme et la ghettoïsation.
« C’est si facile de tomber quand tu as grandi là. Les voyous et les ennuis, il faudrait les éviter tout le temps, mais dans une cité où on vit tous les uns sur les autres, c’est mission impossible. »
Et l’on ne peut qu’admirer le sacerdoce de ces professeurs qui malgré le manque de moyens, les classes surchargées accomplissent leur mission. Paul se rend compte qu’il y a bien des manières d’être professeur. Avec son style bobo, il tente de les intéresser à la poésie, à la littérature contemporaine.
« Pour ce qui est de l’éducation, on est devenu un pays pauvre. »
Au fil des heures passées à découvrir la passion de Mo, les déboires des professeurs, l’espoir de Candice et de Paul à capter la sensibilité des élèves, la tragédie enfle. Vidéo virale, souci de vengeance contre les policiers, enrôlement des lycéens, l’excitation monte. Quelque chose de noir, de violent se prépare mais on ne sait pas bien où et quand cela va éclater.
« C’est une guerre entre la misère et l’ordre, et nos enfants, ils sont au milieu. »
En ouvrant les portes de ce lycée de banlieue, en parcourant les quartiers paupérisés, abandonnés, l’auteur pointe du doigt le problème que l’on impute facilement au communautarisme, à la mixité impossible des cultures et des religions. Avec l’obsession de la laïcité, la peur de l’amalgame, ne sommes-nous pas en train de créer le drame collectif ? Mais ce roman sombre laisse aussi apparaître quelques belles éclaircies avec un vol de pigeons, un poème en slam, l’analyse d’œuvres classiques ou les pensées éclairées de Paul. Et surtout, l’auteur nous convainc une fois de plus que la littérature nous aide à comprendre le monde. Qu’elle est peut-être notre grand secours, une porte ouverte vers davantage de beauté.
Thomas B. Reverdy est né en 1974. Il est l’auteur de sept romans, parmi lesquels La Montée des eaux (Seuil, 2003) et, aux Éditions Flammarion, Les Évaporés (prix Joseph-Kessel 2014), Il était une ville (prix des Libraires 2016), L’Hiver du mécontentement (prix Interallié 2018) et Climax (2021). Il vient d’obtenir ce 25 octobre 2023, le Prix Landerneau des Lecteurs pour Le grand secours.