Mettre en scène Shakespeare n’est jamais simple. Le TNB a pourtant invité le collectif OS’O à présenter les pièces Timon d’Athènes et Titus Andronicus. Pour contourner la difficulté, le metteur en scène David Czesienski choisit d’éluder le Barde immortel et… de décevoir l’attente du public. Vendredi, les Rennais étaient conviés à une création ; malheureusement, elle s’avéra très peu créative ; à peine récréative…
Shakespeare, j’inspire. Shakespeare, j’inspire. Et je me calme. Non, je ne suis pas un puriste, je n’attends pas d’une mise en scène de Shakespeare qu’elle soit en costume, ou mieux : dans le texte. Le Richard III de Thomas Jolly l’a rappelé en début d’année : rien n’interdit une mise en scène libre, décomplexée, personnelle. Actuel, en un mot.
Après tout, la présentation de la pièce Timon/Titus avait prévenu les spectateurs : il s’agit de s’emparer des textes de Shakespeare et de les croiser avec « les thèses de l’anthropologue David Graeber sur le rôle de l’argent dans l’histoire et l’effacement généralisé des créances ». David Graeber, c’est une pensée attrayante, stimulante, c’est Occupy Wall Street. C’est bien.
D’ailleurs, la pièce a remporté plusieurs prix au festival Impatience. Et de fait, cela propulse le collectif au rang de relève, de nouvelle scène théâtrale européenne. Mais suffit-il de croiser un classique et un penseur contemporain pour être irréprochable ? À quand Molière mâtiné avec Anselm Jappe ou Calderon rehaussé par Fredric Jameson ? Après Frédéric Lordon et « sa crise financière racontée en alexandrin », après Le Faiseur de Balzac mis en scène l’année dernière au TNB par Emmanuel Demarcy-Mota, la mode est à l’intrigue économique. Timon/Titus s’engouffre dans la brèche.
La pièce commence sur un arrêt sur image. Des comédiens sont morts sur la scène. Une sorte de personnage christique en pagne blanc comme crucifié en arrière-plan. La stratégie est simple : l’un d’eux se lève et vient, en guise de prologue, expliquer au public les intentions de cette création, ses mécanismes, ses retournements, sa portée théorique, son dénouement. On sait qu’elle durera 2 heures 15. Le métathéâtre, donc, primera sur le théâtre, et la réflexivité sur la réflexion. Après avoir assuré au public qu’ils ne joueraient pas Shakespeare, les comédiens se regroupent pour résumer les deux pièces du dramaturge. S’en suit une synthèse sanglante et grand-guignolesque des actions et exactions chères au théâtre élisabéthain : meurtres, trahisons, viols, successions. Et cetera. Une idée se profile : le collectif OS’O entendra sûrement respecter, non la lettre de Shakespeare, mais l’esprit. Garder le thème de la dette et l’irrévérence du dramaturge d’Avon.
La scénographie se découpe en deux espaces intriqués. Les comédiens, à leur table, disposés en un demi-rectangle, prennent chacun la parole comme dans un débat télévisé. Ils allument en vert ou en rouge leur lumière pour signifier leur accord ou désaccord. Puis ils illustrent leur controverse sur une scène centrale.
L’histoire est la suivante : dans un château, après la mort de leur père, des enfants attendent le testament. Deux enfants illégitimes, accompagnés d’un certain Milosh, débarquent pour profiter de l’héritage. Volontairement parodique, le cadre n’en est pas moins stéréotypé à l’extrême : une famille aristocratique, des prénoms composés genre Anne-Prudence, un décor kitcho-tendance : tapis persans manufacturés, tête de cerf empaillée, tourne-disque en mode électro…
L’idée, dans le premier cercle, serait de montrer les comédiens dans une posture théorique : sur leurs tables, ils débattent à tout-va. L’état de nature, le troc, le capitalisme primitif, le communisme primitif, le bien, le mal, la dette financière, la dette morale, la culpabilité. Chacun tient son rôle. Entre l’ultra-libéraliste et le chrétien conservateur, on ne sait plus où donner de la tête. Ok, on a compris que la logorrhée ennuyeuse du débat politique cacophonique fait ici l’objet d’une moquerie, presque d’une dénonciation. Si, entre deux bâillements, on émet un rire, cela reste ennuyeux. D’autant que certains comédiens ne peuvent s’empêcher de buter sur des phrases et ne réussirent pas toujours à porter suffisamment haut et loin leur voix.
L’intention était-elle de suggérer, par cette cacophonie, la complexité du débat actuel ? La profusion des opinions ? L’impasse du jeu démocratique ? Malheureusement, la création d’un débat, même factice, achoppe à produire des discours tiers différents. Tant par la forme que par le fond, ce Timon/Titus reste affreusement consensuel. Ce n’est partout qu’absurde intransitif, distanciation remâchée, références et citations à outrance, apostrophes permanentes.
La troupe est encore jeune, certes, mais la jeunesse empêche-t-elle l’humilité ? Dans le fond, la pièce choisit la facilité : faute de pouvoir conclure un débat séculaire, faute de maîtriser une dimension pédagogique, les comédiens réitèrent leur saynète en modifiant le dénouement. La fin est impossible, le débat interminable. Un téléphone sonne. On avait dit 2 heures 15, non ? Alors, on s’arrête. On remballe les tapis, et on plante les spectateurs.
L’avantage avec la mise en abyme et le métadiscours, c’est qu’ils permettent d’excuser tous les défauts et de se démettre de toute responsabilité. Regardez : ce que l’on fait est nouveau, avant-gardiste – proclament les comédiens ; mais ce que l’on fait est consciemment parodique. Résultat, ils veulent réjouir le public, le faire réfléchir, lui faire éprouver une catharsis salutaire et lui expliquer les mécanismes de cette catharsis. Résultat, la pièce est un fourre-tout. C’est Shakespeare et Brecht à la sauce tarantinesque. C’est Timon, Titus et Twin Peaks mêlés. C’est Timon ni mauvais. C’est tout et rien.
Timon/Titus de William Shakespeare un projet du Collectif OS’O
mise en scène David Czesienski
Assistante à la mise en scène Cyrielle Bloy
Dramaturgie Alida Breitag
Avec Roxane Brumachon, Bess Davies, Mathieu Ehrhard, Baptiste Girard, Lucie Hannequin, Marion Lambert & Tom Linton
Scénographie et costumes Lucie Hannequin
Lumière Yannick Anché & Emmanuel Bassibé
Musique originale Maxence Vandevelde
Production Collectif OS’O
Coproduction Scène nationale sud-aquitain ; Le Carré — Les Colonnes, Scène conventionnée de Blanquefort et Saint-Médard-en-Jalles ; Le Champ de Foire à Saint-André-de-Cubzac ; Espace Treulon à Bruges ; OARA (Office Artistique de la Région Aquitaine) ;IDDAC (Agence culturelle de la Gironde)
Avec le soutien de l’Adami et de la Spedidam
Timon/Titus a reçu le prix du jury et celui du public au Festival Impatience 2015