Petit matin grisâtre, j’ai eu l’idée saugrenue en ce dimanche de m’inscrire à Tout Rennes Court, compétition de course à pied.
Il est neuf heures. J’enfile mon short bleu, celui qui me porte bonheur, mes chaussettes de laine et un tee-shirt qui colle pas trop à la peau. Un conseil de ma vieille mère… Neuf heures et cinq minutes, je rejoins le départ des foulées rennaises (c’était leur ancien nom). Comme d’habitude, les concurrents sont déjà nombreux. Il y a les pros qui ont enfilé des sacs-poubelle pour se donner chaud. Il y a les frileux emmitouflés dans des hauts de « survêts » fermés jusqu’au cou. Il y a également les bimbos aux jolis gambettes qui trouvent le moyen d’être maquillées et…il y a moi. Je commence sérieusement à angoisser sur ma ligne de départ. Ai-je mangé assez de pâtes ? Ai-je assez bien dormi ? Ai-je de bonnes chaussures ?
Vers 9 h 55, le départ est encore donné un peu en avance. Il faut que je me faufile entre l’immense monsieur qui sent déjà la sueur et la jeune femme timide qui semble chercher son chemin. Mon ami de parcours, Fabrice, part déjà à grandes enjambées vers les sommets de la gloire. Moi, pas de chance, je suis bloqué par la compagnie des « Teufs-Teufs », des jeunes dames à la foulée misérable. « Pardon, pardon, mesdames, il faut que je passe. Je n’ai pas que cela à faire ! »
« Mais vous m’avez fait mal ! »
Deux minutes à peine de course et déjà moins de monde. Je me faufile encore une fois entre un monsieur et une dame à qui je donne un coup involontaire. « Mais vous m’avez fait mal ! » hurle-t-elle. « Excusez-moi, c’est ma montre,» lui crié-je. Il faudra vraiment que je pense à l’enlever la prochaine fois… À cet instant, il me reste encore neuf kilomètres à effectuer. Neuf kilomètres à mordre le pavé et à souffler comme un boeuf.
Aux deux kilomètres, je suis déjà tout rouge, d’un rouge pivoine, d’un rouge d’adolescent qui a trop chaud, un rouge de honte par rapport à mes congénères sautillants qui me doublent allégrement. Trois kilomètres enfin, j’ai désormais atteint ma vitesse croisière. À côté de moi, un gars de la Manche, un autre de Rezé et un dernier de Bruz sont essoufflés. Devant moi file bien vite un coureur avec un tee-shirt où il est écrit « finisher ». Finisher comme celui qui a achevé sa course….
La flamme des quatre kilomètres est devant moi. Mon ami Fabrice m’a déjà laissé tomber. Il court vers un temps record, vers le temps que je ne réaliserai sans doute jamais… Le long du parcours, je vois des pépés avachis sur le rebord de leur fenêtre et des enfants tenant des pancartes où il est inscrit : Allez tonton, allez papa ! C’est le Rennes populo qui descend dans la rue, c’est le Rennes des Bobos qui s’encanaillent…sur les pavés.
Cinq kilomètres, je suis toujours là, avec ma petite foulée de joggeur du dimanche
Des gens me doublent, mais qu’importe, je continue, je persévère… On ne pourra pas dire que j’ai abandonné. Deux amies, Gwen et Béné, viennent de m’encourager haut et fort. « Ca y est. Je suis une vedette ! Je fais le dix kilomètres, tout de même ! » Mais la star a bien failli louper le ravitaillement…du glucose à boire et des raisins à engloutir tant bien que mal. Loin de moi l’idée de snober ce casse-croûte des sportifs…je m’arrête même pour boire le sirop sucré devant le PMU du cimetière.
Moins de six kilomètres, des teufeurs poussent des cris d’encouragement le long du parcours à peine couverts par le bruit d’un âne. Que fait l’animal en pleine ville ? Je n’ai pas le temps de me poser la question ? Il faut que j’accélère ma foulée… J’ai l’impression étrange d’être en forme. Moi qui étais doublé, voilà que je double. Étrange impression d’être Abebe Bikila, le marathonien aux pieds nus en passant devant le vélodrome où je faisais de l’athlétisme étant jeune (si, si !).
Je ne m’appelle pas Héloïse
Un dernier tournant, j’arrive enfin sur ces interminables quais. L’année dernière, j’ai souffert, vraiment souffert. Cette année, pas de problème… Je suis au « taquet ». Ces longs mètres sont avalés, que dis-je, survolés au milieu d’une foule des supporters. Car c’est certain, ils sont venus pour moi… Sauf que je ne m’appelle pas Héloïse ! Ils ont dû se tromper…ce n’est pas possible. Qu’importe, je me console bien vite. Devant moi, une jeune femme à la silhouette longiligne égaie ma course. Elle me trouble tellement qu’elle finit par s’envoler…moi qui avais pensé un temps finir main dans la main avec elle à l’arrivée. L’année prochaine peut-être…
Deux kilomètres encore, il faut monter la rue de la Monnaie et ses pavés. Il faut descendre la place des Lices et rejoindre la place de Bretagne. Je regarde ma montre. Je vais peut-être battre mon record. J’accélère… un tout petit peu pour finir la course en beauté et montrer aux derniers spectateurs que j’ai encore de la réserve. Mais la mécanique a du mal à s’enclencher. Le sprint final sera pour les autres. J’arrive enfin. Je vois le gagnant interrogé par un gros et gras journaliste et j’entends 52’45. Mince, je ne serai pas en dessous des 50 minutes. Je suis un peu déçu…mais j’ai fini l’épreuve et je ne suis plus rouge pivoine. Et là est l’essentiel.
Jean-Christophe Collet