Rennes. L’urbanisme expliqué par Marc Hervé

Unidivers – Marc Hervé, une première question en guise d’introduction à cet entretien urbanistique : quelle vision de la ville de Rennes vous faisiez-vous enfant, notamment à l’écoute de la conception de votre père, Edmond Hervé ? 

Marc Hervé* – Je me souviens précisément d’une discussion que nous avions eue à propos d’un terrain vague (qui deviendra l’opération autour du jardin de la Cantache) qui était pour nous un formidable terrain de jeu et qui allait malheureusement être aménagé. Je vous laisse imaginer la déception qui était la nôtre. Ce à quoi mon père m’avait répondu qu’il ne fallait pas être égoïste. Cette explication avait dû se terminer par une phrase du type : « t’es vraiment un petit bourgeois ». Il fallait selon lui se mettre à la place des petits enfants, de toute origine sociale, qui demain habiteraient ces logements et seraient tout aussi heureux de partager ces lieux réaménagés. J’ai compris concrètement ce qu’était le partage de la Ville et… la lutte des classes. De la même manière sa présentation du métro était avant tout, quand il nous l’expliquait, une question de justice sociale, d’égal accès à la Ville dans tous ses lieux, avec notamment le fait de relier les quartiers prioritaires au centre-ville. Il a toujours souhaité cette mixité, ce partage.

marc herve rennes
Marc Hervé

Unidivers — Bien des années plus tard, autrement dit aujourd’hui, le Programme Local de l’Habitat de Rennes Métropole a été revu. Cette révision a pour but notamment de redéfinir les objectifs de production de logements neufs dans les 43 communes en fonction du contexte et des perspectives démographiques. Quel en est l’enjeu principal ?

Marc Hervé – Le point essentiel à retenir est que les perspectives démographiques identifiées par le SCoT sont de 549750 habitants en 2040 dans RENNES Métropole (source : INSEE ANALYSE n°89), soit + de 100 000 habitants en 20 ans, autrement dit environ 5000 habitants de plus dans Rennes Métropole chaque année. Il est donc essentiel d’organiser le territoire et de répondre à cette perspective et aux besoins actuels qui sont déjà grands. Cette rentrée de septembre a encore prouvé que le nombre de logements à destination des étudiants ou des nouveaux actifs est à la peine…

Unidivers — Certains regrettent l’emballement du rythme de construction depuis 5 ans. Il s’opèrerait d’une façon qui contribuerait à la dégradation du cadre de vie des habitants. Selon l’AUDIAR, en 2018, il s’est construit 2844 logements soit presque le double de l’objectif fixé par le PLH (1500 logements/an). Rennes a ainsi construit en 4 ans, l’objectif de 6 ans. Le collectif Couddurrr craint que les chiffres de 2022 soient de nouveau à la hausse et milite en faveur de « Construire moins, mais mieux ». Que souhaitez-vous leur répondre ?

Marc Hervé – Je ne peux répondre que par les faits. Certes, la Métropole enregistre en moyenne un solde migratoire qui est « seulement » de 2200 personnes, mais auquel s’ajoute un solde naturel de 2800 personnes — soit 5000 par an. Au besoin de logements des arrivants s’ajoute celui des enfants des Métropolitains qui naissent ou quittent le foyer familial, les couples qui se séparent et l’augmentation de la durée de vie de nos aînés. Or, ce besoin s’opère dans un contexte où l’étalement urbain a atteint ses limites géographiques et que la politique d’accession sociale par les villes de la Métropole ne faiblit pas. Rennes pèse pour la moitié de la Métropole et n’absorbe qu’un tiers de cette population (le reste se distribuant dans les communes métropolitaines). Je ne vois pas d’autre solution que de continuer, tout en veillant à prévenir toute hyperconcentration démographique ou économique, à construire à un rythme soutenu. Sinon, il convient de cesser notre tradition d’accueil des populations et d’interdire aux entreprises de recruter et de mettre ainsi fin à la vitalité de notre tissu économique. Personne ne peut raisonnablement vouloir cette option…

Unidivers — Et votre réponse au versant « qualité de vie » ?

Marc Hervé – À propos de la qualité de vie et de la dimension de la nature en ville, je pense qu’une mise au point s’impose.

D’une part, concernant la qualité de vie, nombre d’indicateurs extérieurs et objectifs confortent Rennes comme « ville où il fait bon vivre ».

D’autre part, concernant la nature en ville, permettez-moi quelques chiffres. La Métropole affiche une superficie de 70 000 hectares, dont trois quarts de parcelles naturelles ou agricoles ; Rennes, quant à elle, comprend 30% de surfaces agronaturelles dont les deux tiers sont des parcs et jardins (soit près de 20% de la superficie totale). Le modèle directeur que nous suivons est celui de la ville-métropole-archipel où le dialogue ville-campagne-nature est constamment repensé ; et ce, bien loin d’un urbanisme en tache d’huile qui mène bien souvent à de sérieuses contradictions.

En pratique, Rennes a agrégé sa ceinture verte, c’est pourquoi les élus souhaitent désormais une ville compacte. De facto, toutes les terres disponibles par le passé ont été consommées ; les dernières parcelles agricoles de Beauregard ont été utilisées, restent quelques rares îlots intrarocade. Nous n’avons plus d’autre choix que de renouveler l’existant, autrement dit reconstruire des parcelles afin de les adapter aux enjeux démographiques — précisément l’accueil de nouveaux habitants. Aussi, si l’on veut répondre à la demande, n’y a-t-il pas d’autre réponse à apporter à l’équation que de compacter et augmenter les immeubles tout en aménageant au mieux les 860 hectares d’espaces verts.

Et c’est bien ce à quoi nous nous employons. Tout Rennais peut rallier à vélo en moins de 15 minutes l’un des 28 parcs que compte la ville, voire les grands espaces semi-domestiques tels que la Prévalaye, les Gayeulles ou les Prairies Saint-Martin.

La nature à Rennes est donc à portée de tous. Mais je reconnais que beaucoup de Rennais n’en ont pas conscience. Il y a là une question de diffusion de l’information, d’une communication que nous devons mieux traduire afin de promouvoir tout un réseau vert qui est parfois méconnu, voire littéralement inconnu.

Je pense qu’une sorte de révolution copernicienne doit avoir lieu : la ceinture verte n’est pas un cordon sanitaire ! Les habitants peuvent franchir la rocade à pied ou à vélo à travers de multiples passages, dont plusieurs encore peu connus. En un rien de temps, vous profitez du bonheur du halage de la Vilaine. J’en profite pour rappeler que la Vallée de la Vilaine se parcourt aussi bien à pied qu’à vélo, à cheval ou en canoë, à la découverte des étangs, forêts et chemins secrets qui bordent le fleuve.

Unidivers — La conception de la nature en ville par le socialisme rennais présente une dimension qui fait débat : celle d’une esthétique minérale (autrement dit, pas assez végétale) mise en place sous l’administration de votre père, Edmond Hervé…

Marc Hervé — Oui, dans le centre-ville. Mais ni au Landry, ni à Beauregard, ni au Blosne. Le minéral a été une réponse dans le centre de Rennes, car il est bien difficile de planter ou de replanter des arbres avec les développements continus du métro et des réseaux (fluides, internet…). C’est pourquoi on recourt à des fleurs en bac.

Historiquement, il y a eu durant les mandats de mon père la fin d’une vision horticole de la ville (notamment avec ses pots de fleurs accrochés aux balcons). Dans le même temps, il y a une augmentation considérable des surfaces vertes à gérer à travers la ville ; ce qui a imposé à la direction des jardins de gagner en productivité. Et comme les points de vue esthétiques ne sont pas figés, aujourd’hui, le balancier me semble être revenu à un point d’équilibre. Honnêtement, si nous avions dessiné le Mail Mitterand avec l’œil d’aujourd’hui, nous l’aurions davantage végétalisé. Désormais, nous travaillons à promouvoir au mieux – mais dans le respect des contraintes techniques notamment des vides et des canalisations qui passent sous le sol – la végétalisation. Que cela soit le végétal de pleine terre ou la végétalisation des murs. La future place du Champ Jacquet va ainsi restaurer un espace public bien vert.

Unidivers — Avec le réchauffement climatique, le modèle d’extension en hauteur cher à la municipalité rennaise n’est-il pas compromis, voire condamné ?

Marc Hervé – Au contraire, la question de notre siècle est celle des sols. De leur capacité à retenir l’eau, à végétaliser et, donc, rafraîchir la ville, à héberger une biodiversité essentielle à la vie. Mais si nous voulons en même temps répondre à la question sociale et éviter que la ville soit un lieu d’exclusion, alors la construction verticale est l’une des solutions. Ce n’est pas la seule forme possible ; elle doit être adaptée au contexte urbain de chaque situation, mais on ne pourra pas faire sans. C’est toute l’intention qui est la nôtre de réhabiliter la hauteur par l’architecture. 

Unidivers — Comment appréciez-vous l’un des modèles contraires, prisés dans le Nord de l’Europe et en Allemagne, qui préconise un étalage spatial en toile d’araignée sous forme de grands bourgs reliés par des petites lignes de trains et de transports doux et cerclés de zones maraîchères (une agriculture de proximité, durable et respectueuse) ?

Marc Hervé – Les morphologies urbaines sont le fait de l’histoire particulière de chaque territoire et des choix opérés au cours du temps. Pour ce qui nous concerne, nous aurons à la fin de la trajectoire du zéro artificialisation nette (ZAN) près de 80% de surfaces agronaturelles dans la Métropole. Cela permet une grande diversité agricole du maraîchage à l’élevage ; laquelle est de nature à éviter toute spécialisation. Par ailleurs l’aménagement des lignes de trambus, le développement du réseau express vélo, l’intensification de la desserte en TER, et les voies dédiées au transport en commun sur les quatre voies permettent le développement de communes en dehors du cœur de Métropole qui jouent d’ores et déjà un appui au développement du territoire brésilien.   

Unidivers — Un point isolé à clarifier : la rumeur circule que la Métropole se presse d’arriver à une population supérieure à un demi-million afin d’obtenir une dotation spécifique supplémentaire de l’État. Rumeur ou idée fondée ?

Marc Hervé — Pur fantasme. Le dépassement de la limite symbolique de 500 000 n’a aucun effet sur les dotations de l’État. Ce qui compte, c’est la vitalité des fonctions structurantes comme le tissu économique, les universités, les capacités d’accessibilité, les services, etc.

Unidivers — On constate à Rennes une lente affirmation du façadisme après tant de regrettables destructions. De nombreux Rennais ont été blessés par cette méthode de rouleau compresseur qui consiste à tout détruire sans prêter aucune attention à l’héritage mémoriel ou d’apparat. La liste est longue : la destruction des châteaux et manoirs de Bréquigny, de Maurepas, de la Motte-au-Chancelier, l’antique passage des Carmélites, la chapelle des Missionnaires de la rue de Fougères, l’ancien couvent des Visitandines du Colombier déplacé à Bourg-l’Evêque, puis la ferme du Grand Cucillé, les hôtels rue de Redon et du boulevard Volney… Le regret le plus récent : la destruction d’anciennes maisons typiques sises entre la gare, l’avenue Henri-Fréville et Euro Rennes ainsi que le coquet hôtel particulier du 69 avenue Aristide Briand.

Marc Hervé — Franchement, j’entends ces critiques. Encore faut-il les contextualiser. Elles s’inscrivent dans cette transformation urbaine qui a débuté dans les années 1970. Un vaste élan de modernité dénué d’appréciation des racines patrimoniales a promu une vision fonctionnaliste où la ville s’organisait autour des voitures. La ville, c’était le lieu de la modernité. La tour des Horizons consitue à ce titre le symbole de cette urbanisation victorieuse.

Avec la variation des points de vue, notamment de la mémoire patrimoniale, il est certain que nous serions aujourd’hui ravis de bénéficier au sein de notre patrimoine d’un des éléments que vous citez. Mais, que dire, c’est le cours de l’histoire. C’est comme cela.

Pour autant, aujourd’hui, la Ville s’emploie à restaurer ses héritages et promouvoir le façadisme — le Jeu de Paume rue Saint-Louis, la Folie-Guillemot, le rez-de-chaussée de l’immeuble situé 341 boulevard Delattre de Tassigny, la carrosserie Morin, rue Paul Bert, l’école Gurvan, la rue Dreyfus, quai Émile Zola, les Cartoucheries, les halles militaires, le Palais du Commerce, etc. Et, franchement, qui peut nier la réussite de la requalification du Couvent des Jacobins ?

Alors que l’expansion a désormais atteint ses limites, je vous assure que nous réinterrogeons attentivement et constamment cet héritage patrimonial. Densifier en respectant la ville, c’est difficile dans le concret. Densifier signifie remplacer une ou deux maisons par un immeuble ; à chaque fois, nous passons des heures afin de bien décider.

Unidivers — J’entends bien. Reste que les choix esthétiques retenus peuvent interroger. Par exemple, à titre personnel, j’estime que le Jeu de Paume – un élément rare en province, – aurait mérité une mise en valeur plus audacieuse… Quant à l’immeuble du métro place Saint-Germain, son intégration dans l’environnement interroge…

Marc Hervé — Personnellement, je trouve cet immeuble du métro très élégant. Pas vous ?

Unidivers — Franchement, non. Je le trouve dénué de dynamisme ; on dirait un cube de lignes mortes, un ensemble sans âme qui jure avec le beau style des immeubles environnant.

Marc Hervé — Tout est question de point de vue… Cela étant, ce type de construction est en passe de devenir un standard à Rennes.

Unidivers — …

Marc Hervé — …

Unidivers – Un point relatif à l’Esplanade Charles de Gaulle, anciennement place du champ de Mars. On m’a rapporté qu’elle avait été léguée par une riche propriétaire qui aurait imposé comme servitude une ouverture permanente au public. Confirmez-vous cette information ? Le cas échéant ou non, pourquoi ne pas  lancer une concertation afin d’imaginer une belle mise en valeur de cet espace ?

Marc Hervé — Car on a besoin de vide. Notamment pour de grandes réunions et autres manifestations populaires. Toute grande ville a besoin d’un vaste lieu où le vide peut être rempli par une concentration soudaine d’une partie de la population. Dès lors, si vous calculez toutes les dates d’événements (la portance de la dalle a été calculée en fonction du poids de la fête foraine), il ne reste pas tant de jours de libres. Quant à une végétalisation temporaire, cela demande d’énormes ressources techniques et un mobilier urbain dédié (avec un lieu de stockage à proximité). Ce n’est vraiment pas évident. Quant à ce legs, je n’en ai jamais entendu parler…

Unidivers — Autre point qui n’est pas évident : la requalification du Palais Saint-Georges. Tout était prêt pour entamer la phase de développement, mais un coup d’arrêt aussi soudain qu’inattendu est intervenu. Marc Hervé, quels sont les raisons et le montant de ce gâchis ?

Marc Hervé — Avec la crise, l’endettement étant ce qu’il est, nous avons dû faire le choix de la sécurité et de la sobriété. L’heure est à la priorisation en fonction des finances et des engagements existants. On a dû arbitrer. En défaveur du projet Saint-Georges. Cela étant, en pratique, toutes les études et les diagnostics ont été réalisés ; on les garde. La ville va le faire ce projet, mais peu à peu, le moment venu, au moment opportun. L’objectif est d’en faire une belle maison de la tranquillité avec notamment la Direction générale de la Culture. La caserne est destinée à accueillir des bureaux. Mais c’est une enveloppe de plus de 25 millions d’euros, ce n’est pas jouable pour le moment.

Unidivers — Rennes a aimé tout un moment se définir à travers des éléments de langages – ville rock, destination touristique ceci cela, Rennes où il fait bon vivre… Cette méthode appréciée par Destination Rennes (méthode Coué ou Couet ?) semble n’avoir que partiellement fonctionné (comme souvent les constructions artificielles plaquées sur le réel). En réalité, les caractéristiques et couches sédimentées sont multiples. Par exemple, pour Unidivers.fr, Rennes est une ville culturelle ; or cet aspect est peu mis en avant (est-ce la conséquence de rivalités idéologiques au sein de la majorité de gauche ?…) Bref, j’ai l’impression que Rennes est à la recherche de son identité. À votre avis, est-ce le cas, et comment la définiriez-vous pour votre part ?

Marc Hervé — Rennes durant le mandat de mon père s’est construite comme ville créative et solidaire grâce à une énergie forte composée d’humilité et d’ambition collectives. C’est ce terreau qui permet l’actuelle transition vers une inscription dans les grands défis du XXIe siècle en tant que ville durable du futur. Dans ce cadre, sa singularité est challengée. Notamment en raison d’une évolution et différenciation des usages de la ville par les nouvelles générations. De fait, dans les évolutions que l’on observe, la question des usages est celle qui est l’une des plus prégnantes. En pratique, nous ressentons un moindre attachement à la propriété et l’envie de pouvoir être mobile professionnellement et géographiquement en étant délié des contraintes. Cela se ressent dans le monde du travail et dans celui des mobilités. Le smartphone et un rapport au temps plus immédiat ainsi qu’un détachement des grandes idéologies politiques sont sûrement les éléments déclencheurs de ces évolutions sociologiques. Et pour les nouvelles générations les plus sensibilisées, bien évidemment la question du dérèglement climatique interroge le modèle de développement des générations qui les ont précédés. Cela peut conduire à plus de défiance. Et aussi à faire de notre société une société plus « liquide », avec moins de structures et d’institutions. Cela pousse à une créativité permanente, mais également à des formes de précarité plus grande. Toutes ces tendances concourent à repenser l’identité évolutive de Rennes et Rennes Métropole.

* En juin 2020, la Maire de Rennes, Nathalie Appéré, est réélue grâce à 65,35% des suffrages exprimés ; Marc Hervé est désigné 1er adjoint délégué à l’urbanisme. Il assume également à la Métropole la responsabilité de conseiller communautaire délégué aux formes urbaines.

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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