Réouvertures des ambassades USA-CUBA : « Todos somos americanos »
54 ans que le drapeau cubain n’avait plus flotté à Washington D.C, depuis la rupture des relations diplomatiques en pleine guerre froide et à l’aune d’un débarquement raté1. 54 ans, jusqu’à ce que le lundi 20 juillet au matin, lors de la cérémonie d’ouverture de l’ambassade cubaine à Washington D.C il soit de nouveau hissé. Comme pour matérialiser le retour au dialogue annoncé le 17 décembre dernier. Une ouverture historique qui soulève de nombreuses interrogations sur le devenir de l’île.
Le symbole était fort ce 15 décembre 2013, le jour des funérailles de Nelson Mandela, celui de la poignée de main entre Raùl Castro et Barack Obama. L’image avait vite fait le tour du monde. Deux ans plus tard, il est facile d’y voir comme un prémice, le reflet des coulisses de l’Histoire, avant l’annonce en décembre dernier de la reprise des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba et la réouverture le 20 juillet dernier de l’ambassade cubaine à Washington D.C. Plus de 500 personnes étaient présentes ce lundi pour une cérémonie en grande pompe. Bruno Rodriguez, ministre cubain des Affaires étrangères, y aura hissé le drapeau de la République de Cuba, avant de rejoindre son homologue américain, pour une conférence de presse. Sur l’île, en revanche, le drapeau des États-Unis ne flotte pas encore. Il faudra attendre le 14 août prochain et la venue de John Kerry pour qu’il soit levé et officialiser définitivement l’évènement. On se presse pourtant déjà côté cubain pour faire sa demande de Visa, et espérer pouvoir quitter l’île le temps d’un aller-retour, revoir des parents et des amis partis depuis longtemps.
Le retour difficile et imparfait de la diplomatie
Le processus de normalisation des relations sera encore long, de l’aveu même du secrétaire d’États américain. Difficile en effet de croire que tous les points de désaccord entre les deux Nations, après un demi-siècle de silence radio diplomatique, aient été réglés. Sur le fond tout d’abord, on connait la défiance américaine vis-à-vis du régime castriste, encore loin de la démocratie libérale et de l’économie de marché. Le respect des Droits de l’Homme reste l’une des revendications majeures du gouvernement américain dans le cadre de normalisation des relations entre les deux États. Côté cubain, comme l’a déjà à maintes reprises annoncé Bruno Rodriguez, on ne demande ni plus ni moins que la fin de l’embargo économique, commercial, financier qui étouffe l’économie île (réduite dans certains secteurs à la subsistance). Entre autres points de friction, on trouve aussi le remboursement (à hauteur de plusieurs milliards) des Américains contraints par leur gouvernement à l’expatriation lors de la révolution ou le retour à la souveraineté cubaine de la base de Guantanamo. Cette dernière revendication, des plus sensibles, n’est pas sur la table pour le moment assure John Kerry alors que d’autres avancées en faveur du régime cubain ont déjà été faites, comme le retrait de Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme, liste sur laquelle l’île figurait depuis 1982.
À l’initiative de la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays, des décisions qui rappellent pourtant combien elles ont pu être dures. Ce n’est en effet qu’après l’annonce de la libération d’Alan Gross2, de 53 dissidents politiques et d’un agent des renseignements américains par les autorités cubaines, et celle de trois agents des renseignements cubains par les autorités américaines qu’un terme aura pu être mis à cette inimitié larvée, le fruit de mois de négociations difficiles secrètement tenues au Canada, et qui continuent encore aujourd’hui. Après avoir allégé les sanctions commerciales à l’encontre de l’île, le président américain s’est prononcé en faveur de la fin de l’embargo. Le Congrès, seul compétent à prendre une telle décision, reste néanmoins tenu par les Républicains, largement réticents à une quelconque ouverture à Cuba. À l’aune de la présidentielle, il n’est pas un seul candidat à la primaire républicaine qui ne le dénonce pas. Pour ne citer que Jeb Bush, frère de G. W. Bush et parmi les plus modérés des candidats aux primaires républicaines : « La hâte d’Obama à restaurer des relations diplomatiques avec Cuba est une erreur. L’ambassade permettra seulement de légitimer davantage un régime répressif ». D’autres ont bien évidemment déjà promis de revenir sur cette ouverture une fois élu. Ce n’est pourtant pas faute de les avoir ménagés. Pour ne pas froisser le Sénat, aucun ambassadeur n’a encore été nommé et seule une délégation limitée devrait se rendre pour l’instant à Cuba. Si sur le long terme, les lobbys devraient convaincre les parlementaires américains de la nécessité de mettre fin à l’embargo, ce n’est donc pas une décision qui sera prise du jour au lendemain.
Quoi qu’il en soit, cette ultime décision du président Obama s’inscrit dans la continuité de son mandat, marqué par la volonté de réorienter les équilibres géopolitiques et le refus permament de recourir à la force armée. Avant-hier l’ouverture à l’Asie, hier Cuba et aujourd’hui un accord avec l’Iran sur le nucléaire, pas de quoi faire oublier l’enlisement syrien ou les révélations d’Edward Snowden, mais de quoi nous interroger sur notre diplomatie en tant qu’Européens. C’est aussi un nouveau pied de nez à cette majorité républicaine incapable de le freiner sur de nombreux projets, tant géopolitique qu’économiques ou sociaux, l’ouverture à Cuba rejoignant l’Obamacare ou le mariage gay parmi les victoires d’Obama sur son congrès (3).
Une opportunité papale
Ce n’est certes pas une intervention divine qui fut à l’origine de la reprise des relations diplomatiques, mais on n’en pas loin. Remercié par B. Obama et Raùl Castro, le Pape a en effet joué un rôle clef dans les négociations. François Ier, dont on connait l’engagement en faveur des plus démunis et en Amérique latine, a écrit personnellement en effet à Barack Obama et à Raùl Castro, leur intimant de « résoudre les questions humanitaires latentes et notamment la situation de certains prisonniers » ; une correspondance qui a permis de donner un nouvel élan aux négociations entamées alors depuis presque un an. Sans compter l’accueil qu’il a réservé aux délégations des deux pays, réunies en secret au Vatican l’automne dernier. Aux dires des diplomates des deux Nations, ce fut cette réunion décisive qui permit d’aboutir à la conclusion de l’accord annoncée en décembre dernier.
On ne pourra tout de même s’empêcher de noter les hasards du calendrier. L’annonce du dégel américano-cubain semble en effet marquer une volonté d’amélioration des relations entre les États-Unis et l’Amérique latine. Une aubaine pour le camp démocrate alors que se profile l’élection présidentielle, car la nouvelle est particulièrement bien accueillie par l’électorat hispanique. Première minorité ethnique aux États-Unis, la communauté hispanique est relativement importante dans certains États comme la Californie, le Texas ou New York, mais aussi et surtout la Floride. Parmi les « swing states », il est un État clef pour la conquête de la Maison Blanche. Les Démocrates, Hillary Clinton en tête, savent donc qu’ils pourront tirer profit des avancées diplomatiques de l’actuel chef d’État.
L’avenir incertain de la société cubaine
La normalisation des relations entre Cuba et les États-Unis soulèvent tout de même de nombreuses questions sur le devenir de l’île. Du côté de l’administration américaine, on ne cache pas que l’on voit dans cette ouverture l’opportunité de changer les choses à Cuba, d’accélérer le processus timidement amorcé par Raùl Castro de libéralisation de l’économie, et pourquoi pas initier la marche vers la démocratie. Après 54 ans d’un blocus qui n’a jamais remis en cause le régime castriste, on espère que cette nouvelle stratégie permettra de faire évoluer la situation.
À La Havane, à l’inverse, on prend soin de ne pas se laisser enfermer dans une relation exclusive avec le géant américain. En témoigne, la récente visite de F. Hollande à Fidel Castro, lors de son voyage en Amérique latine et qui traduit aussi la volonté de Cuba de diversifier ses relations internationales, diplomatiques et commerciales. Déjà un des principaux partenaires commerciaux de Cuba au sein de l’UE (4), la France, historiquement appréciée à Cuba (5), pourrait bien devenir un contrepoids diplomatiques pour le régime castriste, du moins dans ses relations avec les USA.
Parmi les Cubains et les touristes non Etats-uniens, on a peur en revanche que l’île ne s’américanise à outrance et qu’elle perde son essence dans l’invasion par les grandes marques, avec en tête Burger King et Wal Mart. Depuis l’annonce par Barack Obama et Raùl Castro de la normalisation des relations diplomatiques, l’île a en effet déjà reçu de nombreuses délégations de firmes américaines à la recherche de nouvelles opportunités de marché. Certaines n’ont pas attendu la fin de l’embargo pour investir Cuba, à l’image de Netflix. Le géant américain de la diffusion de films et de séries TV s’y est déjà implanté, alors même que seulement 3.4% les foyers cubains qui disposent d’un accès à internet. La République castriste, sans remettre en cause le modèle économique qui a été le sien depuis un demi-siècle, n’a de cesse, depuis l’arrivée de Raùl Castro au pouvoir, de faire appel aux capitaux internationaux et son ministre du commerce international, Rodrigo Malmierca Diaz, d’appeler à assister Cuba « dans la construction d’une société socialiste ».
Une opportunité pour de nombreuses entreprises américaines alors que le tourisme ne cesse de grandir sur l’île. Suite aux déclarations du 17 décembre dernier, les conditions de voyage vers Cuba en partance des USA ont été allégées. Une simple motivation et un certificat signé permettent désormais de s’y rendre. Et si nombreux restent encore les touristes américains à s’y rendre en passant par un pays tiers (6), en tout et pour tout, les voyages vers Cuba en provenance des USA ont augmenté de 36% entre le 1er janvier et début Mai par rapport à la même période l’année passée. Les touristes ne s’en cachent pas. On se presse pour voir la Cuba révolutionnaire avant qu’elle ne soit dénaturée.
Les Cubains vont-ils laissé leur île se convertir tout entière à l’économie de marché et à la société de consommation ? Rien n’est moins sûr quand on connait la défiance des cubains vis-à-vis de leurs homologues américains et la volonté du régime et de l’armée de ne pas perdre le contrôle de l’économie de l’île, même au profit d’une ouverture à l’étranger. Il reste difficile toutefois de faire des prévisions quant à l‘avenir de Cuba tant que l’embargo ne sera pas tombé, une décision qui pourrait bien encore nécessiter quelques années.
1. Le débarquement de la Baie des Cochons
2. Humanitaire détenu depuis 5 ans par les autorités cubaines car accusés d’espionnage),
3. Le 26 juin dernier, la Cour Suprême des États-Unis a autorisé le mariage Gay sur l’ensemble du territoire américain, une décision soutenue par le Président Obama et qui n’aurait pu intervenir sans la nomination par lui de deux juges à tendance progressiste.
4. Avec l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas
5. De par la fascination pour son histoire et la Révolution française, mais aussi sa tradition de puissance indépendante au sein de l’occident
6. Par le Mexique, les Bahamas, ou la Jamaïque pour rejoindre certaines parties de l’île proscrites par les autorités U.S ou contourner les dernières restrictions américaines