« Dehors, ça envoie du pâté, dedans aussi ! » Le 28 janvier 2021, Jean Le Cam arrivait quatrième d’un Vendée Globe empreint de galères, de solidarité et de surprises. Avec humour et légèreté, le dessinateur Emmanuel Guiavarc’h retrace le parcours de cet inconditionnel de la compétition, paru aux éditions Coop Breizh.
« Un roi », c’est comme ça qu’est surnommé Jean le Cam, 62 ans, depuis des années. Un palmarès aussi imposant que son voilier « Yes we cam » – 18 mètres de long et pesant 8 tonnes – et une vie entière passée sur les flots. On se demanderait presque s’il ne pousserait pas des écailles sur cet homme chevelu féru d’échappées et d’océan.
Le Vendée Globe du roi Jean Le Cam d’Emmanuel Guiavarc’h raconte le parcours d’un mastodonte de la compétition maritime. Il s’agit de la suite d’un premier ouvrage, fruit de la rencontre entre l’artiste et le matelot, paru en 2017 chez l’éditeur breton Coop Breizh et aujourd’hui épuisé. La bande-dessinée prend appui sur la participation de Le Cam au Vendée Globe entre le dimanche 8 novembre 2020 et le 28 janvier 2021. 80 jours en mer racontés et dessinés par « Manu » et Jean, une nouvelle fois publiés par Coop Breizh.
Cet ouvrage respire l’autodérision et l’amour de la mer. On y découvre l’épopée furieuse et heureuse d’un bateau ivre – comme dirait Rimbaud. Cet engin, à l’image de son capitaine, est lancé depuis le départ aux Sables-d’Olonne, dans une course folle sur les océans Atlantique, Indien et Pacifique. Mais il ne faut pas s’y méprendre, si Jean est ivre, ce n’est pas d’alcool – ou peut-être
d’un peu de pinard, comme il l’avoue lui-même. Mais bien de liberté, d’aventure, de paysages fantasmés et sûrement un peu aussi de ris de veau, gourmand qu’il est. « Yes we Cam », en référence au « Yes we can » d’Obama, c’est le mantra d’un skippeur volontaire. Lui, « he Can », avec un C majuscule, le C de Cheveux, qu’il a touffus et sauvages, mais aussi de Coopératif, – il est élu marin solidaire de l’année – et celui de Confiant. De la confiance, il en faut pour décider de mener de front l’une des courses les plus difficiles de la planète. Et ce depuis plus de quinze ans – Jean Le Cam a participé à son premier Vendée Globe entre 2004 et 2005. Pas du pâté – Hénaff – donc, ce tour du monde.
La légèreté, on la ressent dans le dessin simple et énergique de Guiavarc’h, mais aussi dans les réflexions de ces deux amis bien décidés à communiquer leur passion pour le Vendée Globe. Que ce soit les proverbes locaux – « Un Breton sans beurre, il pleure, un Breton sans pinard se barre. » – ou les évocations directes et équivoques aux plaisirs des sens – quand Le Cam atteint le point Nemo et qu’il le compare au point G…, la BD respire la joie. Celle de partager des moments vécus en solitaire.
Au-delà de cette insouciance, on y entrevoit les galères de cette longue traversée de 44 996 kilomètres autour de la planète. Y participent 33 skippers, « qui ne mollissent pas » comme dirait Jean, et c’est le moins que l’on puisse dire. L’embarcation de Le Cam a beau s’appeler « Hubert », le Vendée Globe ne s’apparente pas pour autant à une promenade tout confort en Uber. Il y côtoie les dangers de la houle, du vent, de conditions météo parfois capricieuses. Après presque trois mois de navigation, le capitaine du « Yes we cam » doit combattre un océan Pacifique qui ne porte pas bien son nom. Il lutte contre « les bascules de vents, les molles et les vents plus soutenus ». Le 6 décembre, Jean s’aperçoit qu’une avarie au niveau de la coque risque de faire couler le bateau. Ni une ni deux, il répare les pots cassés. Pas de quoi s’inquiéter, il a tout prévu : le radeau et la combinaison de survie, la matériel de survie et le plus important, son beurre demi-sel.
Cependant, comme souvent dans ce circuit hors du commun, c’est aussi l’occasion de se retrouver après les déboires. Le 30 novembre 2020, Kevin Escoffier, un autre prétendant, lance un appel de détresse car son foiler, voilier monocoque utilisé par les participants, prend l’eau. Le Cam, notre loup de mer breton, le sauve le 1er décembre et l’invite dans sa « 4L », à prendre un petit café. On est donc loin d’un périple en solitaire, comme le remarque Guiavarc’h : « Dans la catégorie « marin solitaire, il est hors-concours » – en référence à son prix de « Marin solidaire de l’année ». Le surnom de « 4L », Jean l’a trouvé en constatant que son vieux bateau n’avait rien à voir avec les « Ferrari » des autres marins : des machines modernes ultra-équipées et rapides. Lui, il vogue dans une vieille titine depuis des années qui lui convient très bien. En tout cas, sa « place du con », quatrième tout de même, il l’a bien méritée. Ça n’est pas donné à tout le monde d’arriver dans une telle position sur un rafiot – plus résistant que n’importe quelle Ferrari.
L’œuvre prend la forme d’une invitation au voyage et donne la sensation d’un bol d’air frais. Guiavarc’h nous donne à voir les différentes dimensions de cette aventure inoubliable : le danger, la peur, le plaisir, la beauté, la liberté. Le lecteur y sent même un peu de poésie, comme une pause dans le comique souvent subtil, et parfois moins, des deux collaborateurs. « Un ciel étoilé comme jamais, une mer plate », la magie. Notre héros à l’humour quelquefois potache se serait-il transformé en Victor Hugo ? À méditer. En tout cas, sa « meilleure place de parking », à l’arrivée, on la lui réserve bien chaudement. Avec un petit pinard, du chocolat et de fines crêpes au beurre demi-sel.