Véronique Ovaldé > Des vies d’oiseaux > A embrasser en vol

C’est en effet une vie d’oiseau que subit Vida… Elle a pourtant eu une « chance folle » de se marier très au-dessus de sa condition, de pouvoir quitter son village natal perdu au fond d’une pampa pauvre et violente, de quitter sa famille vraiment lourde à porter. Son mari est un homme influent, beau et très riche. Ils habitent une maison de rêve sur la colline des gens aisés, face à la baie et elle mène une existence facile, oisive.

Mais voilà, même si cela est bien agréable de ne pas avoir à se soucier des contraintes matérielles, Vida se sent comme encagée, enfermée dans la voie qu’elle a pourtant choisie elle-même. Un oiseau en cage… même si celle-ci est dorée.

Sa fille l’a bien senti, qui a quitté le nid familial à sa majorité et s’est envolée on ne sait où… Elle est partie avec le bel Adolfo, un homme trouble et inquiétant que sa mère regrette tant de lui avoir présenté. La mère voudrait retrouver sa fille, lui parler…

Quand les Izarra s’aperçoivent que quelqu’un est entré chez eux, sans y avoir cependant rien volé, le mari de Vida veut absolument contacter la police. C’est le lieutenant Taïbo qui se chargera de cette enquête de routine.

Vida et Taïbo se rendent vite compte qu’ils viennent du même village. Et en discutant avec lui, Vida prend enfin conscience du vide de sa vie, et de son enfermement intérieur, aussi bien que physique dans cette belle maison dont elle ne peut ouvrir aucune fenêtre à cause de la climatisation. Elle réalise qu’elle se sent mal, pas à sa place dans ce monde, un peu potiche en face de ce mari séduisant qui ne se soucie que de son apparence extérieure et la montre à ses amis, auxquels elle n’a strictement rien à dire. L’irruption de cet homme taciturne, de ce lieutenant un peu atypique dans sa vie la déstabilise et elle sent monter en elle les souvenirs d’enfance. La nature au milieu de laquelle elle a vécu, mais aussi la pauvreté, la violence.

Elle va parcourir à l’envers, accompagnée de Taïbo et dans le but de rechercher sa fille, le chemin franchi il y a des années pour atterrir sur la colline aux dollars. Elle va retourner aux sources, comprenant qu’elle s’est elle-même enfermée dans la cage, se coupant les ailes en choisissant un mode de vie qui ne lui convient pas, malgré l’argent et le confort.

Paloma, sa fille, bien que toute jeune semble l’avoir compris, qui avec son ami squatte les maisons inhabitées des gens riches, volant son confort mais n’acceptant pas de s’y soumettre, refusant de se laisser enfermer dans la vie toute tracée qui l’attend. Les deux jeunes gens se jouent du monde clinquant de l’argent et du pouvoir et s’amusent à en renverser les habitudes. Ainsi ils cambriolent une bijouterie pour ne rien y voler, mais juste flanquer un bazar terrible en intervertissant les bijoux, en mélangeant tout…

De ce pays qui pourrait se situer en Amérique du Sud, nous découvrons les odeurs, les bruits, les cris aussi. Nous parcourons tour à tour les beaux quartiers et les coins sordides et dangereux. L’auteur a un réel talent pour nous immerger totalement dans un monde que nous ne connaissons pas et dont nous ne faisons qu’entreapercevoir certaines facettes. C’est un monde sauvage et rude, mais aussi beau et chaleureux. À l’image de ces femmes qui se cherchent, et fuient pour finalement trouver leur voie, le chemin qui leur correspond le mieux.

Un roman remarquable

Le style oscille entre poésie et réalisme dans un monde un peu fantastique, hors du temps. Remarquable ces portraits de femmes, mères et filles unies mais n’arrivant pas à se parler, ces hommes et ces femmes déracinés, presque étrangers à eux-mêmes, fourvoyés ou engloutis qu’ils sont par leur quotidien. Le lecteur est plongé dans un monde tout à la fois idyllique et noir, une terre aussi accueillante qu’elle peut être néfaste. Mention spécial pour le personnage du lieutenant Taïbo, délicat et rêveur, mais aussi enquêteur pugnace et patient. Chacun des personnages cultive son ambivalence, porte son destin parfois comme une charge, avant d’enfin se laisser porter et – peut-être – de commencer à vivre réellement.

Alix Bayart

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